Cour eur. D.H., 8 mars 2016, I.A.A. et autres c. Royaume-Uni, req. n° 25960/13

Louvain-La-Neuve

Quel poids conférer à l’intérêt supérieur de l’enfant dans la balance à effectuer entre protection de l’intérêt général et protection de la vie familiale ?

L’article 8 CEDH n’impose pas au Royaume-Uni de réserver une réponse positive à la demande de regroupement familial formée par cinq enfants, majeurs pour certains, mineurs pour d’autres, visant à rejoindre leur mère et certains des frères et sœurs qui y sont autorisés au séjour. L’intérêt supérieur de l’enfant ne signifie pas un droit d’entrée sur le territoire. Il y a lieu de prendre en compte, d’une part, le fait que la maman et ses enfants sont séparés depuis plus de 11 ans suite à la décision de celle-ci de se remarier et de rejoindre son époux au Royaume-Uni, dont elle est aujourd’hui séparée. D’autre part, les enfants ne sont plus tout jeunes et leur ancrage culturel et social se situe en Ethiopie où ils résident. En outre, le fait que leur vie serait plus confortable au Royaume-Uni n’est pas un motif suffisant pour qu’ils bénéficient d’un visa dans le cadre du regroupement familial.

Article 8 C.E.D.H. – Requête manifestement mal fondée – Vie familiale- Intérêt supérieur de l’enfant – Contrôle de l’immigration – Test de proportionnalité.

A. La décision de la Cour

I. Les faits et procédure

Les requérants sont une fratrie de cinq jeunes, majeurs et mineurs, nés en Somalie, vivant en Ethiopie et souhaitant rejoindre leur mère somalienne établie au Royaume-Uni. Ils ont à la date de l’examen de l’affaire 22, 20, 19, 15 et 14 ans. Ils appartiennent à une grande fratrie comptant neuf enfants nés d’un premier père, un d’un second père et une adoptée.  Les deux ainés issus du premier mariage ont vécu et vivent encore avec leur tante paternelle en Somalie. 

En 2004, la mère des requérants quitte la Somalie pour rejoindre son second mari réfugié au Royaume-Uni. Elle laisse les neuf enfants à la garde de leur tante maternelle en Somalie. En 2005, elle parvient à obtenir un titre de séjour pour l’enfant issu du second mariage. En 2006, la tante maternelle s’installe en Ethiopie avec les huit enfants restant. En 2007, la mère divorce de son second mari. En 2008, la mère obtient le droit d’être rejointe par deux autres de ses enfants au motif que l’un est le plus jeune de la fratrie et que l’autre est en mauvaise santé. Pendant ce temps, la tante maternelle retourne en Somalie et laisse les six enfants en Ethiopie. L’aîné des six frères et sœurs, alors âgé de 16 ans, se retrouve en charge des cinq plus jeunes. 

Ensemble, ils sollicitent, auprès des autorités britanniques, le droit de rejoindre leur mère. Le 9 février 2009, leur demande est rejetée, au motif qu’ils ne remplissent pas les conditions fixées par le droit interne. En degré d’appel, le juge saisi considère, par un jugement du 23 février 2010, que si ce refus constitue effectivement une entrave à l’article 8 C.E.D.H., celle-ci n’est pas disproportionnée. Ce jugement est confirmé le 26 janvier 2012. En mai 2012, l’aîné quitte la fratrie sans plus donner de nouvelles. Le 16 octobre 2012, le dernier appel en cours est rejeté. Les cinq enfants saisissent la Cour eur. D.H. Ils invoquent une violation de l’article 8 C.E.D.H. en ce que le refus opposé par le gouvernement britannique de faire droit à leur demande de regroupement familial constitue une atteinte à leur droit au respect de leur vie de famille.

II. La décision de la Cour

La première question qui se pose est celle de l’existence d’une vie familiale (§ 42). Dès lors que le gouvernement britannique ne l’a pas contestée, la Cour retient qu’il y a bien vie familiale, signalant au passage que la mère de famille n’est pas partie à la cause.

S’il y a vie familiale, la question à trancher est celle de savoir si l’Etat en cause est parvenu à réaliser un juste équilibre entre, d’une part, l’intérêt personnel des requérants à développer une vie de famille au Royaume-Uni et, d’autre part, l’intérêt général que constitue le contrôle de l’immigration (§ 42).

Pour réaliser ce test de proportionnalité la Cour procède par un raisonnement en trois temps.

Premièrement, elle note que cette affaire concerne une hypothèse où le parent est parti s’installer dans un autre pays laissant ses enfants dans le pays d’origine. La Cour doit alors se demander si le parent a entendu abandonner tout espoir de réunification familiale ou non (§ 43). La Cour ne présume pas un abandon définitif du simple fait qu’un parent ait quitté ses enfants, mais indique qu’elle procède au cas par cas. En l’espèce, la mère ne semble pas avoir été forcée de quitter la Somalie en raison du conflit armé. Elle a plutôt choisi de s’installer au Royaume-Uni avec son second mari. Ce dernier s’opposait fermement à ce que ses enfants issus du premier mariage la rejoignent. Sachant cela, elle ne pouvait pas nourrir l’espoir que ses enfants puissent la rejoindre un jour, tant qu’elle resterait avec son second mari. Enfin, la Cour relève que même après avoir divorcé du second mari, la mère a attendu deux ans avant de tenter toute procédure de réunification familiale.

Deuxièmement, la Cour détermine si le fait pour la famille de se réunir dans le pays d’accueil constitue la manière la plus adéquate d’y développer une vie de famille. La Cour recoure au test désormais établi par sa jurisprudence. Existe-t-il un obstacle insurmontable s’opposant à ce que la vie de famille se poursuive dans le pays d’origine (§§ 44-45). S’il existe un obstacle majeur empêchant la famille de se réunir dans le pays d’origine, alors la réunification sur le territoire européen sera considérée comme étant le moyen le plus approprié pour poursuivre la vie de famille. La Cour estime qu’il ne serait guère approprié pour la mère et ses enfants de rejoindre les requérants en Afrique. Pour autant elle conclut que cette option reste possible.

Troisièmement, la Cour rappelle que lors de l’examen du test de proportionnalité, il convient de prêter une attention toute particulière à l’intérêt supérieur de l’enfant. Il est de l’intérêt des requérants que le regroupement familial se réalise au Royaume-Uni. L’existence d’un tel intérêt n’est pas suffisante:

« However, while the Court has held that the best interests of the child is a “paramount” consideration, it cannot be a “trump card” which requires the admission of all children who would be better off living in a Contracting State » (§ 46).

Nous mettons cette phrase en exergue car elle est neuve dans la jurisprudence la Cour. Même s’il est plus « enviable » pour les enfants de vivre au Royaume-Uni, la Cour ne semble pas lier cet intérêt à la vie de famille projetée. Elle souligne que les requérants ne sont plus des jeunes enfants ; ils sont de plus en plus indépendants. Cela fait onze ans qu’ils n’ont pas vécu avec leur mère. De surcroît, les requérant n’ont aucune attache avec le Royaume-Uni. Ils n’ont pas plus d’intérêt à vivre au Royaume-Uni que n’importe quels autres enfants isolés d’Ethiopie.

Au vu de ces trois étapes de son raisonnement, la Cour juge que le gouvernement britannique a établi une balance équitable entre les intérêts des requérants et l’intérêt général que constitue le contrôle de l’immigration.

B. Éclairage

I. Une solution s’inscrivant dans la jurisprudence de la Cour

L’arrêt commenté concerne une situation où un étranger sollicite l’admission sur le territoire national d’un Etat partie à la Convention dans le but de rejoindre sa famille. En la matière, l’affaire de Grande Chambre, Jeunesse c. Pays-Bas, peut être considéré comme l’arrêt de principe ; il fournit une grille de lecture de l’article 8[1].

En ce qui concerne la vie familiale, l’arrêt ne comporte pas de décision, le point n’étant pas contesté. Il faut néanmoins rappeler la jurisprudence de la Cour selon laquelle la vie familiale entre un parent et ses enfants mineurs est présumée, sauf circonstances exceptionnelles[2].

La Cour rappelle le principe selon lequel un Etat a le droit de contrôler l’immigration sur son territoire[3]. Son rôle n’est pas de se substituer à l’Etat en matière de politique migratoire, dès lors ce dernier dispose d’une certaine marge d’appréciation. Ainsi le droit à une vie familiale ne saurait constituer une obligation pour l’Etat de respecter le choix, par les familles étrangères, de leur pays de résidence et de permettre le regroupement familial sur le territoire de cet Etat[4]. Il s’en suit que la Cour s’emploie à vérifier si la vie de famille peut se faire dans l’Etat d’origine du requérant. S’il n’existe pas d’obstacle majeur à ce que la famille s’installe dans le pays d’origine, alors l’Etat d’accueil n’aura pas pour obligation de respecter le choix de la famille. Des obstacles majeurs peuvent se déduire du fait que le regroupant est reconnu réfugié[5] ou alors de l’intérêt supérieur d’enfants présents dans le pays d’accueil[6]. Au contraire s’il n’existe pas un tel choix, alors l’Etat sera lié. En d’autres termes, l’article 8 ne garantit pas un droit au respect de la vie familiale uniquement sur le territoire des Etats membres, mais bien « no matter where »[7].

La Cour ajoute que l’étendue des obligations tirées de l’article 8 dépend de deux éléments. L’intérêt du requérant et l’intérêt général que poursuit l’Etat. Il s’agit alors de faire une mise en balance des intérêts en présence[8]. Pour y parvenir, il convient de prendre en considération l’existence d’un obstacle insurmontable à l’établissement de la famille dans le pays d’origine[9], les attaches des personnes concernées avec les pays en cause[10] et lorsque des enfants sont concernés, leur intérêt supérieur[11].

Dans l’arrêt Jeunesse, la Cour substitue au critère de l’existence d’obstacles insurmontables un critère plus souple de faisabilité. Elle estime ensuite que les autorités nationales n’ont pas accordé suffisamment de poids à l’intérêt supérieur des enfants dans l’analyse de cette faisabilité.

La présente décision vise une hypothèse différente de l’affaire Jeunesse, où la mère postulait le droit de rejoindre sa fille en séjour légal. Ici c’est l’inverse. Le parent a laissé son enfant pour s’établir dans un autre pays et l’enfant souhaite le rejoindre.[12] C’est d’ailleurs pour intégrer cette hypothèse, que la Cour se réfère notamment à l’affaire Berisha, dont les faits d’espèce sont similaires. Il s’agissait également d’enfants étrangers souhaitant obtenir un titre de séjour afin de vivre avec les membres de leur famille installés en Suisse. Dans de telles situations, la Cour vérifie si le parent a choisi de laisser son enfant derrière lui et s’il a, toutefois, toujours entendu être rejoint par son enfant. En l’espèce, la Cour s’est rapidement prononcée sur la question, sans plus détailler les faits de la cause. Elle affirme que, la mère ne semble pas avoir fui le conflit armé mais plutôt fait le choix de retrouver son second mari, qui était fermement opposé à la venue des requérants. Ce faisant, la Cour ne développe pas les éléments l’ayant amené à retenir une telle interprétation. En outre, elle semble conclure que la mère n’a pas toujours cherché à être rejointe par ses enfants, du simple fait qu’elle ait préféré retrouver un homme ne voulant pas de ses enfants. L’on peut s’interroger sur le caractère réaliste de l’interprétation retenue par la Cour. En effet, la Cour évoque un choix. Mais de quel choix réel dispose une femme somalienne, habitant un pays en conflit, et qui souhaite offrir un meilleur environnement à ses enfants ? Compte tenu de son environnement culturel et de son autonomie financière, pouvait-elle s’installer légalement au Royaume-Uni avec ses enfants, sans passer par l’entremise de son mari, qui lui y réside légalement ? Dès lors, tirée des seuls faits portés à notre connaissance, la conclusion selon laquelle la mère n’a pas toujours cherché à être rejointe par ses enfants manque de motivation.

II. Une solution plus restrictive que la jurisprudence du Royaume-Uni

La Cour souligne utiliser un critère plus strict que les autorités britanniques. Celles-ci ont analysé si la maman pouvait “reasonably relocate”, standard plus favorable que celui assumé par la Cour qui exige le test des “insurmountable obstacles” ou des “major impediments”. La Cour relève que le juge britannique a appliqué une exigence moins forte, « a lower standard »[13].

III. Une solution en décalage avec le droit de l’Union

La décision commentée ne permet pas de déterminer si le droit de l’Union a été invoqué au niveau interne. Toutefois, cette affaire illustre une fois de plus l’écart entre le droit au regroupement familial au sens de l’article 8 C.E.D.H. et en droit de l’Union européenne. Ce dernier garantit le droit au regroupement familial sur la base de critères objectifs et définis. Si les conditions sont satisfaites, le requérant obtient, de droit, le regroupement familial. Tel n‘est pas le cas au sens de l’article 8 où le droit au regroupement familial n’existe que lorsque la vie de famille n’est pas possible à l’étranger.

IV. Les modalités de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant par la Cour : au service d’une politique migratoire restrictive

La décision rappelle qu’il est de jurisprudence bien établie que l’intérêt de l’enfant doit être une « considération primordiale ».[14] Si cet intérêt n’est pas déterminant à lui seul, il faut toutefois « lui accorder un poids important ». Pour ce faire, en matière de regroupement familial, doivent être pris en compte, l’âge de l’enfant, son degré de dépendance au parent et sa situation dans le pays d’origine.[15]

La Cour examine l’intérêt de tous les enfants en cause dans cette affaire, c’est-à-dire celui des enfants requérants, mais également celui des enfants déjà présent et résidant légalement sur le territoire britannique. La Cour reconnait qu’il en va de l’intérêt des requérants de rejoindre leur mère au Royaume-Uni, tout comme il en va de l’intérêt des autres membres de la fratrie de rester au Royaume-Uni avec leur mère. Mais bien que cet intérêt existe, il faut juger s’il est décisif dans le cas présent. La réponse de la Cour est négative.

a. Examen de l’intérêt supérieur des requérants

Les enfants requérants sont jugés trop âgés, et corrélativement bien trop peu dépendants de la mère comme le souligne la Cour :

« the children concerned have in the meantime reached an age where they were presumably not as much in need of care as young children and are increasingly able to fend for themselves »[16]

Cette expression fait partie du langage jurisprudentiel de la Cour. Elle est employée lorsque la Cour souhaite conclure à l’absence de dépendance économique et affective du requérant envers sa mère, alors même que celui-ci est mineur[17].

En outre, les requérants n’ont aucun lien avec le Royaume-Uni. Une même réflexion avait été retenue dans l’affaire Berisha où la Cour, employant les mêmes expressions, avait conclu que les enfants Berisha étaient suffisamment indépendants de leurs parents et qu’ils n’avaient pas de lien suffisant avec la Suisse. En l’espèce, les enfants avaient dix-neuf, dix-sept et dix ans. La Cour estimait que les deux ainés pouvaient prendre soin de la petite. De plus, les enfants avaient de la famille dans leur pays d’origine. La Cour va plus loin que dans l’affaire Berisha et assimile sans autre précision ou critère de comparaison la situation des requérant à celle de tout autre enfant qui « would be better off living in a Contracting State » (§46).

Par conséquent, ce n’est pas l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que tel qui est pris en compte par la Cour, mais plutôt l’intérêt de l’enfant en lien directe avec la réalisation de la jouissance de sa vie de famille. Le fait qu’il soit incontestablement dans l’intérêt supérieur de l’enfant requérant d’aller vivre au Royaume-Uni, cela ne suffit pas pour justifier le regroupement familial à l’aune de l’article 8.

La solution de la Cour peut laisser les lecteurs sur leur faim. La décision reconnaît, certes succinctement, l’existence d’une vie de famille mais refuse de relier l’intérêt supérieur des requérants à cette vie de famille. Le motif retenu serait l’absence de lien suffisamment fort entre la mère et les enfants. La Cour ne fait aucune mention du lien existant entre les requérants et leurs frères et sœurs ? Pourtant, elle a reconnu que la cellule familiale pouvait être celle qui réunit une fratrie[18]. Or la Cour passe sous silence les liens existants entre les frères et sœurs, paraissant a priori particulièrement forts. Ils ont toujours habité ensemble jusqu’en 2009 et ont  vécu ensemble le départ de leur mère.

Dès lors, conclure que l’intérêt supérieur des requérant ne saurait être en lien avec  leur vie de famille, et les comparer à tout autre enfant qui  « would be better off living in a Contracting State » semble un peu court.

b. Examen de l’intérêt supérieur des enfants vivant légalement sur le territoire britannique

La Cour a par le passé estimé que l’intérêt supérieur des enfants vivant légalement sur le territoire européen imposait à l’Etat l’obligation de permettre un regroupement familial sur son territoire. Ainsi la famille Sen a pu être réunie, car l’enfant étrangère, souhaitant bénéficier du regroupement familial, avait une fratrie en bas âge née et ayant toujours vécu sur le territoire hollandais[19]. L’intérêt supérieur des enfants de cette fratrie s’opposait à ce que la famille aille s’installer dans un pays étranger avec lequel ils n’avaient aucun lien.

Dans l’affaire commentée, la Cour examine l’intérêt des frères et sœur des requérants résidant légalement au Royaume-Uni avec leur mère. Deux enfants ne sont plus mineurs, leur intérêt est écarté. Reste le dernier enfant, la Cour souligne :

« Her youngest child, who is twelve years old, spent the first six years of his life in Somalia before relocating to the United Kingdom in 2009. Therefore, while he is undoubtedly well-integrated into life in the respondent State, the Court does not consider that it would be unduly difficult for him to relocate to Ethiopia ».

La Cour reconnait que l’enfant est parfaitement intégré au Royaume-Uni, mais que puisqu’il a vécu six ans en Somalie, il ne doit pas être excessivement compliqué pour lui de vivre en Ethiopie. Or, l’enfant dont il est question n’a vécu que 4 ans en Somalie, puis 3 ans en Ethiopie et enfin 6 ans en Angleterre. Dès lors le pays avec lequel l’enfant à le plus d’attache est bien le Royaume-Uni. La Cour observe la situation dans un sens, mais aurait pu le faire dans l’autre. L’enfant a vécu au Royaume-Uni durant la seconde moitié de sa vie, il a donc noué des liens avec le Royaume-Uni. En revanche, la Cour n’établit aucun lien d’attache entre l’enfant et l’Ethiopie. Ainsi, l’intérêt supérieur d’un jeune enfant, dépendant économiquement et affectivement de sa mère et ayant de forts liens d’attache avec le pays d’accueil, mais dont il n’est pas démontré de liens d’attache avec le pays de relocalisation, ne s’oppose pas à ce que la Cour considère la relocalisation en Ethiopie possible. Dans l’affaire Sen, la Cour estime qu’une relocalisation de la famille en Turquie n’est pas envisageable, au motif que les enfants hollandais n’ont pas de lien avec la Turquie. Ici, la Cour ne reconnait aucun lien entre l’enfant et l’Ethiopie, mais estime tout de même sa relocalisation en Ethiopie envisageable.

La position de la Cour serait-elle que ce n’est que lorsque l’enfant est né et a toujours vécu sur le territoire d’un Etat parti à la convention que son intérêt supérieur s’opposerait à une relocalisation vers un Etat étranger avec lequel il n’a pas de lien. En conséquence, ce n’est que lorsque l’enfant est né et a toujours vécu sur le territoire d’un Etat parti à la Convention, que son intérêt supérieur prendrait un poids suffisamment important pour faire pencher la balance en faveur d’un regroupement familial. Cette hypothèse se vérifie dans les affaires Nunez et Jeunesse; les requérantes adultes avaient pu obtenir une régularisation de leur séjour dans la mesure où les expulser vers leur pays d’origine était jugé trop perturbant pour leurs enfants nés et ayant toujours vécu sur le territoire européen.

L’arrêt pose dès lors la question de savoir si l’intérêt supérieur d’un enfant vivant sur le territoire européen est plus important que celui de l’enfant vivant à l’étranger ? De même, l’intérêt de l’enfant né et ayant toujours vécu sur le territoire européen serait-il plus lourd que celui de l’enfant vivant sur le territoire européen et qui y est parfaitement intégré.

K.L.

C. Pour aller plus loin

Consulter l’arrêt :

Cour eur. D.H., 8 mars 2016, I.A.A. et autres c. Royaume-Uni, req. n° 25960/13.

Jurisprudence :

Cour eur. D. H. [G.C.], 3 octobre  2014, Jeunesse c. Pays-Bas, req. n° 12738/10.

Cour eur. D. H., 28 novembre 1996, Ahmut c. Pays-Bas, req. n° 21702/93.

Cour eur. D. H, 19 février 1996, Gül c. Suisse, req. n° 23218/94.

Cour eur. D. H., 20 juillet 2002, Al-Nashif c. Bulgarie, req. n° 20/06/2002.

Cour eur. D. H., 21 décembre 2001, Sen c. Pays-Bas, req. n° 31465/96.

Cour eur. D.H., 10 juillet 2014, Mugenzi c. France, req. n° 52701/09.

Cour eur. D.H., 28 juin 2011, Nunez c. Norvège, req. n° 55597/09.

Cour eur. D.H., 31 juillet 2008, Darren Omoregie et autres c/ Norvège, req. n° 265/07.

Cour eur. D.H., 30 juillet 2013, Berisha c. Suisse, req. n° 948/12.

Cour eur D.H., 12 octobre 2006,  Mubilanzila Mayka et Kaniki Mitunga c/ Belgique, req. n° 13178/03.

Cour eur. D.H, 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, req. n° 60665/00.

Cour eur. D.H., 18 février 1991, Moustaquim c. Belgique, req. n° 12313/86.

Pour citer cette note : Katia Lallam, « Quel poids conférer à l’intérêt supérieur de l’enfant dans la balance à effectuer entre protection de l’intérêt général et protection de la vie familiale ? », Newsletter EDEM, avril 2016.   


[1] Cour eur. D.H. [G.C.], 3 octobre  2014, Jeunesse c. Pays-Bas, req. n° 12738/10. Dans cette affaire, Mme Jeunesse, de nationalité surinamaise, résidait illégalement aux Pays-Bas. Menacée d’expulsion, elle fait valoir son droit au respect de la vie de famille, invoquant notamment l’intérêt supérieur de ses enfants hollandais ayant toujours vécu aux Pays-Bas. La Cour condamne les Pays-Bas au regard de l’article 8.

[2] Cour eur. D. H., 28 novembre 1996, Ahmut c. Pays-Bas, req. n° 21702/93 § 59; Cour eur. D. H, 19 février 1996, Gül c. Suisse, req. n° 23218/94 § 32; Cour eur. D. H., 20 juillet 2002, Al-Nashif c. Bulgarie, req. n° 20/06/2002, § 112; Cour eur. D. H., 21 décembre 2001 Sen c. Pays-Bas, req. n° 31465/96, § 28.

[3]Cour eur. D.H. [G.C.], 3 octobre  2014, Jeunesse c. Pays-Bas §100 ; Cour eur. D.H., 8 mars 2016,  I.A.A. et autres c. Royaume-Uni, req. n° 25960/13, §39.

[4] Cour eur. D.H. [G.C.], 3 octobre  2014, Jeunesse c. Pays-Bas §107 ; Cour eur. D.H., 8 mars 2016,  I.A.A. et autres c. Royaume-Uni, §39.

[5]Cour eur. D.H., 10 juillet 2014, Mugenzi c. France, req. n° 52701/09

[6] Voir en ce sens Cour eur. D.H., 28 juin 2011, Nunez c. Norvège, req. n° 55597/09 ; Jeunesse c. Pays-Bas précit.; pour un contre-exemple : Cour eur. D.H., 31 juillet 2008, Darren Omoregie et autres c/ Norvège, req. n° 265/07

[7] JACOBS and WHITE, The European Convention on Human Rights, 4ème ed., Oxford University Press, 2006

[8]Cour eur. D.H. [G.C.], 3 octobre  2014, Jeunesse c. Pays-Bas §107 ; Cour eur. D.H., 8 mars 2016,  I.A.A. et autres c. Royaume-Uni,.§42.

[9] Cour eur. D.H. [G.C.], 3 octobre  2014, Jeunesse c. Pays-Bas §107 ; Cour eur. D.H., 8 mars 2016,  I.A.A. et autres c. Royaume-Uni §40.

[10] Cour eur. D.H. [G.C.], 3 octobre  2014, Jeunesse c. Pays-Bas §107 ; Cour eur. D.H., 8 mars 2016,  I.A.A. et autres c. Royaume-Uni, §§44, 46.

[11] Cour eur. D.H. [G.C.], 3 octobre  2014, Jeunesse c. Pays-Bas §109 ; Cour eur. D.H., 8 mars 2016,  I.A.A. et autres c. Royaume-Uni, § 41.

[12] Voir en ce sens, Cour eur. D. H., 21 décembre 2001 Sen c. Pays-Bas, §40 ; Cour eur. D.H., 30 juillet 2013, Berisha c. Suisse, req. n° 948/12, §54

[13] Cour eur. D.H., 8 mars 2016,  I.A.A. et autres c. Royaume-Uni § 44.

[14] Voir en ce sens : Art 3 C.I.D.E. «l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale»; Cour eur D.H., 12 octobre 2006,  Mubilanzila Mayka et Kaniki Mitunga c/ Blegique, req. n° 13178/03, qui se réfère plus précisément à « l'intérêt supérieur de l'enfant garanti par l'article 3 de la CIDE » ; Berisha c. Suisse, précit., § 50, qui emploie le terme « paramont element »

[15] Pour l’arrêt de référence, Cour eur. D.H, 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, req. n° 60665/00 ; voir aussi, Cour eur. D.H. [G.C.], 3 octobre  2014, Jeunesse c. Pays-Bas., §118 ; Cour eur. D.H., 30 juillet 2013, Berisha c. Suisse, §50

[16] Cour eur. D.H., 8 mars 2016,  I.A.A. et autres c. Royaume-Uni, §46 ; voir également en ce sens, Cour eur. D.H., 30 juillet 2013, Berisha c. Suisse§56 ;

[17] Voir en ce sens, Cour eur. D.H., 30 juillet 2013, Berisha c. Suisse

[18] Cour eur. D.H., 18 février 1991, Moustaquim c. Belgique, req. n° 12313/86

[19] Cour eur. D. H., 21 décembre 2001 Sen c. Pays-Bas.

Publié le 09 juin 2017