Cour eur. D.H., Mohammed Hussein c. Pays-Bas et Italie, 18 avril 2013, req. n° 27725/10

Louvain-La-Neuve

Le renvoi d’une demandeuse d’asile somalienne, ainsi que ses deux enfants, des Pays-Bas vers l’Italie en vertu de l’application du règlement Dublin II, ne les exposerait pas à un risque de traitement inhumain ou dégradant.

La Cour eur. D.H. a déclaré, à l’unanimité, la requête irrecevable. Le renvoi demandeuse d’asile somalienne, célibataire et mère de deux enfants, des Pays-Bas vers l’Italie en vertu de l’application du règlement Dublin II, ne viole pas l’article 3 CEDH. Une baisse des conditions de vie matérielles et sociales à la suite d’une expulsion d’un État contractant ne suffit pas, à elle seule, à constituer une violation de l’article 3 sauf dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l’expulsion sont impérieuses. La requérante a bénéficié des conditions d’accueil en Italie (logement, soins médicaux) et a reçu un permis de séjour d’une durée de trois ans, après l’acceptation de sa demande de protection internationale. La requérante n’a pas démontré qu’elle et ses enfants ne bénéficieraient pas à nouveau du même soutien. En outre, malgré certains défauts, il n’est pas démontré de lacune systémique en Italie quant aux prestations offertes aux demandeurs d’asile vulnérables.

Art. 3 CEDH – Règlement n° 343/2003 – Renvoi – Niveau des conditions d’accueil – Détérioration prévisible des conditions de vie (irrecevabilité).

A. Arrêt

La requérante est une mère célibataire somalienne, demandeuse d’asile, accompagnée de ses deux enfants. Ayant fui la Somalie, où elle a été maltraitée par un membre de sa famille pour avoir transgressé des normes de son clan en se mariant à un homme d’un clan inférieur, elle entre en Italie clandestinement en août 2008. Elle est enregistrée comme immigrante illégale et transférée dans un centre d’accueil. Elle dépose une demande d’asile. En janvier 2009, un permis de séjour, valable pour une durée de trois ans, lui est accordé au titre de la protection subsidiaire. En avril 2009, la requérante quitte la structure d’accueil, entre clandestinement aux Pays-Bas, enceinte de sept mois, et y introduit une demande d’asile en mai 2009. Elle donne naissance à son fils en août. Elle allègue qu’elle n’a pas demandé asile en Italie et qu’elle n’a jamais bénéficié des conditions d’accueil. Elle soutient que, n’ayant reçu aucune aide, elle était censée habiter dans une gare où elle a été violée, ce qui explique sa grossesse. Les autorités néerlandaises rejettent sa demande en mars 2010, concluant qu’il revenait à l’Italie de la traiter, conformément au règlement n° 43/2003 (ci-après le « règlement Dublin II »). Le recours formé par la requérante ainsi que sa demande de mesures provisoires ont été rejetés par les juges nationaux. La suspension n’étant pas accordée, son transfert vers l’Italie fut fixé au 17 juin 2010. La requérante a ensuite saisi la Cour eur. D.H. qui lui a accordé une suspension sur la base de l’article 39 du règlement intérieur de la Cour. En février 2011, elle a donné naissance à sa fille.

Dans sa requête, Mme Hussein invoque que son renvoi vers l’Italie violerait les articles 3 et 13 CEDH, en raison de l’absence d’accueil, de l’impossibilité de déposer une demande d’asile et partant de l’absence d’examen du besoin de protection internationale. Ils risqueraient de devoir vivre dans la rue et d’être expulsés arbitrairement vers la Somalie, où elle risquait d’être victime d’un crime d’honneur par des membres de son clan. Elle invoque également la méconnaissance du droit à un recours effectif en Italie, du fait du défaut d’accès à la procédure d’asile, à l’assistance juridique et à un interprète. Finalement, elle indique qu’en Italie, elle risque d’être séparée de ses enfants qui seraient placés dans un foyer vu qu’elle ne serait pas en mesure de subvenir à leurs besoins.

La Cour rappelle que l’appréciation du risque doit se focaliser sur les conséquences prévisibles du renvoi de la requérante et de ses deux enfants en Italie, compte tenu de la situation générale dans ce pays ainsi que des circonstances propres au cas de la requérante[1]. Une baisse des conditions de vie matérielles et sociales à la suite d’une expulsion ne suffit pas, à elle seule, à constituer une violation de l’article 3, sauf dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l’expulsion sont impérieuses[2].

La requérante a immédiatement bénéficié des conditions d’accueil en Italie (logement, soins médicaux) au sein d’un centre d’accueil ; sa demande d’asile a été examinée et un permis de séjour d’une durée de trois ans lui a été octroyé, lui permettant de bénéficier du régime général en matière d’assistance sociale[3]. La requérante n’a pas demandé d’aide pour trouver du travail ou un autre logement et ainsi pallier le risque de se retrouver sans abri et dans le dénuement absolu[4]. La Cour conclut, donc, que le traitement de Mme Hussein en Italie n’a pas atteint le degré minimal de gravité pour relever de l’article 3[5].

Étant donné que son permis de séjour en Italie a expiré entre-temps, la Cour procède ensuite à l’examen de la situation de la requérante en cas de renvoi en Italie par les autorités néerlandaises. Même si la requérante doit entamer des démarches pour renouveler son permis de séjour, les autorités néerlandaises donneraient à leurs homologues italiens un préavis pour le transfert de la requérante[6]. En outre, la requérante, mère célibataire de deux enfants en bas âge, pourra être considérée éligible pour bénéficier des conditions d’accueil en qualité de personne vulnérable dans le sens de la loi nationale[7]. Concernant la situation générale en Italie sur le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile, il ressort de rapports rendus par des organisations gouvernementales, internationales ainsi que non-gouvernementales, que malgré certains défauts, il n’y a pas de lacune systémique en Italie[8]. La requérante ne démontre donc pas, qu’en cas de renvoi en Italie, elle risquerait de subir des traitements inhumains ou dégradants[9].

En ce qui concerne l’article 13 CEDH par l’Italie, la requérante n’a pas cherché à contester les actions, ni la décision des autorités italiennes dans le cadre de la demande d’asile déposée en Italie et ne démontre donc pas que l’accès à un recours effectif y est illusoire[10]. De surcroît, la requérante avait la possibilité de contester les décisions des autorités néerlandaises[11]. Finalement, la Cour juge que les allégations de la requérante sous l’angle de l’article 8 sont non-corroborées et doivent être rejetées pour défaut manifeste de fondement[12].

B. Éclairage

La Cour note que la situation de la requérante était distincte de la situation dans laquelle se trouvait le requérant dans l’affaire M.S.S.[13]. La Cour y avait souligné que « l’obligation de fournir un logement et des conditions matérielles décentes aux demandeurs d’asile démunis fait à ce jour partie du droit positif et pèse sur les autorités grecques en vertu des termes mêmes de la législation nationale qui transpose le droit commun »[14]. En constatant que la situation dans laquelle le requérant s’était trouvé était d’une gravité particulière (il avait vécu pendant des mois dans le dénuement le plus total sans avoir pu faire face à aucun de ses besoins les plus élémentaires : se nourrir, se laver et se loger)[15], la Cour a condamné la Grèce ainsi que la Belgique pour violation de l’article 3 CEDH.

En espèce, un logement a été fourni à la requérante et celle-ci a pu bénéficier des soins de santé. Sa demande d’asile a été examinée et elle a obtenu le statut de bénéficiaire de la protection subsidiaire. La Cour a également procédé à l’examen d’une série de rapports, issus de différents acteurs, ainsi qu’à des observations du gouvernement italien au sujet de la situation actuelle sur le terrain[16]. Par conséquent, l’analyse de la Cour tient compte de la situation générale ainsi que des circonstances propres au cas de la requérante[17]. La Cour a énoncé, à des nombreuses reprises, que « l’appréciation […] est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime »[18]. D’un autre côté, dans des cas extrêmes de situation générale de violence[19]où des faits sérieux et avérés attestant des violations généralisées ciblées à un groupe, par exemple des migrants irréguliers[20], la Cour a jugé que « rien ne change au caractère individuel du risque allégué dès lors qu’il s’avère suffisamment concret et probable »[21].

Au niveau national, la jurisprudence du C.C.E. concernant la situation en Italie a évolué d’un non-pris en considération des rapports internationaux vu qu’ils ne démontrent pas un risque concret pour le requérant[22] vers une position plus nuancée. En particulier, le C.C.E. a jugé que l’O.E. ne peut pas écarter les divers rapports internationaux sans donner de raisons valables pour lesquelles il estime que le requérant connaît une situation différente de celle des demandeurs d’asile mentionnés dans les rapports[23]. Dans un arrêt du 12 février 2012, le C.C.E. réuni en trois juges, a qualifié ce raisonnement en énonçant que les déficiences du système d’accueil italien touchent uniquement les demandeurs d’asile les moins informés[24]. Une telle interprétation ne semble pas à être conforme avec les prononciations de la Cour eur. D.H.

La jurisprudence de Strasbourg exige un examen concret des faits de chaque cas en tenant compte de la situation générale. Les défaillances systémiques dans le système d’asile ou dans le dispositif de leur accueil ne sont pas des éléments indispensables pour atteindre le seuil de gravité qui est nécessaire selon l’article 3. L’appréciation relative demande l’examen rigoureux des particularités du cas de chaque requérant ; les facteurs tels que l’âge, la vulnérabilité, l’état de santé peuvent être déterminants, même en défaut des lacunes systémiques. D’un autre côté, les défaillances systémiques dans un système d’asile national, telles qu’elles sont observées en Grèce, peuvent rendre tous les renvois incompatibles avec l’article 3 ; le fait que le risque touche tous les demandeurs d’asile ne change rien au caractère individuel de celui-ci.

L.T.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Mohammed Hussein c. Pays-Bas et Italie, 18 avril 2013, req. n° 27725/10.

- NA c. Royaume-Uni, 17 juillet 2008, req. n° 25904/07.

- N. c. Royaume-Uni, 28 mai 2008, req. n° 26565/05.

- Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, 28 juin 2011, req. n° 8319/07.

- Kudła c. Pologne, 26 octobre 2000, req. n° 30210/96.

- M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, req. n° 30696/09.

- Hirsi Jamaa et autres c. Italie, 23 février 2012, req. n° 27765/09.

- Saadi c. Italie, 28 février 2008, req. n° 37201/06.

- C.C.E., arrêt n° 59637 du 6 avril 2011.

- C.C.E., arrêt n° 70391 du 22 novembre 2011.

- C.C.E., arrêt n° 75471 du 12 février 2012.

- HCR, UNHCR Recommendations on Important Aspects of Refugee Protection in Italy, juillet 2012.

- Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe, Rapport concernant l’Italie au cours de la visite du 3 au 6 juillet 2012, CommDH(2012)26, septembre 2012.

- European network for technical cooperation on the application of the Dublin II Regulation, National Report : Italy, decembre 2012.

- Conseil Suisse des Réfugiés, Asylum procedure and reception conditions in Italy: Report on the situation of asylum seekers, refugees, and persons under subsidiary or humanitarian protection, with focus on Dublin returnees, mai 2011.

- L. Leboeuf et E. Neraudau, La réception du droit européen de l’asile en droit belge : le Règlement Dublin et la Directive Qualification, sous la direction de S. Saroléa, Louvain-la-Neuve, CeDIE (UCL), 2012, en particulier pp. 189-193.

Pour citer cette note : L. Tsourdi, « Le renvoi d’une demandeuse d’asile somalienne, ainsi que ses deux enfants, des Pays-Bas vers l’Italie en l’application du règlement Dublin II, ne les exposerait pas à un risque de traitement inhumain ou dégradant », Newsletter EDEM, avril 2013.


[1] Mohammed Hussein c. Pays-Bas et Italie, 18 avril 2013, req. n° 27725/10 (def.), § 69 (disponible seulement en anglais) ainsi que NA c. Royaume-Uni,17 juillet 2008, req. 25904/07, § 113.

[2] Mohammed Hussein c. Pays-Bas et Italie, op. cit., § 71 ainsi que N. c. Royaume-Uni, 28 mai 2008, req. n° 26565/05, § 42 et également Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, 28 juin 2011, req. n° 8319/07, § 281-292.

[3] Mohammed Hussein c. Pays-Bas et Italie, op. cit., § 72-73.

[4] Ibid., §74.

[5] Ibid., §75.

[6] Ibid., §77.

[7] Ibid.

[8] Ibid., §78.

[9] Ibid.

[10] Ibid., §82.

[11] Ibid., §83.

[12] Ibid., §85.

[13] Ibid., §72 ainsi que M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, req. n° 30696/09.

[14] M.S.S. c. Belgique et Grèce, op. cit., § 249.

[15] Ibid., § 254.

[16] Mohammed Hussein c. Pays-Bas et Italie, op. cit., § 43-49 ainsi que HCR, UNHCR Recommendations on Important Aspects of Refugee Protection in Italy, juillet 2012; Rapport du Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe, concernant l’Italie au cours de sa visite du 3 au 6 juillet 2012,CommDH(2012)26, septembre 2012 ; European network for technical cooperation on the application of the Dublin II Regulation, National Report : Italy, decembre 2012 ; Conseil Suisse des Réfugiés, Asylum procedure and reception conditions in Italy: Report on the situation of asylum seekers, refugees, and persons under subsidiary or humanitarian protection, with focus on Dublin returnees, mai 2011.

[17] Nous soulignons.

[18] Voy, p.ex. Kudła c. Pologne, 26 octobre 2000, req. n° 30210/96, § 91.

[19] Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, op.cit.

[20] Hirsi Jamaa et autres c. Italie, 23 février 2012, req. n° 27765/09.

[21] Saadi c. Italie, 28 février 2008, req. n° 37201/06, § 132.

[22] C.C.E., arrêt n° 59637 du 6 avril 2011.

[23] C.C.E., arrêt n° 70391 du 22 novembre 2011 ainsi que L. Leboeuf et E. Neraudau, La réception du droit européen de l’asile en droit belge : le Règlement Dublin et la Directive Qualification, sous la direction de S. Saroléa, Louvain-la-Neuve, CeDIE (UCL), 2012, en particulier pp. 189-193.

[24] C.C.E., arrêt n° 75471 du 12 février 2012.

Publié le 20 juin 2017