Cour eur. D.H., S.H.H. c. Royaume-Uni, 29 janvier 2013, req. 60367/10 (non définitif)

Louvain-La-Neuve

L’expulsion d’un demandeur d’asile handicapé en Afghanistan ne l’exposerait pas à un traitement inhumain ou dégradant.

L’expulsion en Afghanistan d’un demandeur d’asile débouté, M. S.H.H., souffrant de handicaps physiques ne violerait pas l’article 3 CEDH (interdiction des traitements inhumains ou dégradants). La Cour rappelle que seulement dans des cas très exceptionnels de violence généralisée, il existe un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants par le seul fait d’être expulsé vers le pays d’origine, ce qui n’était pas le cas pour l’ Afghanistan au moment de la détermination des faits. En outre, le requérant n’a pas démontré que son handicap l’exposerait à un risque de violence supérieur au risque auquel est confrontée la population afghane en général. En ce qui concerne la détérioration prévisible des conditions de vie du requérant, en appliquant les principes énoncés dans N. v. UK, la Cour estime que cet élément ne saurait à lui seul être déterminant sauf dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l’expulsion sont impérieuses.

Art. 3 CEDH – expulsion – demandeur d’asile souffrant de handicaps physiques - violence généralisée - détérioration prévisible des conditions de vie (non-violation)

A. Arrêt

Dans cette affaire, la Cour eur. D.H. examine la compatibilité de l’expulsion en Afghanistan d’un demandeur d’asile débouté souffrant de handicaps physiques, M. S.H.H. Gravement blessé par un tir de roquette, en Afghanistan, en 2006, et handicapé à la suite de plusieurs amputations, il arriva au Royaume-Uni en août 2010. Le ministre rejeta sa demande en septembre 2010 et le Tribunal de première instance (First-tier Tribunal/Immigration and Asylum Chamber) rejeta son recours en octobre 2010. Le même mois, le tribunal supérieur (Upper Tribunal) refusa au requérant l’autorisation d’introduire un recours.

Au cours du même mois, la requête a été introduite devant la Cour eur. D.H. Le requérant alléguait que son renvoi en Afghanistan emporterait la violation de l’article 3 sur deux fondements liés à son handicap. Tout d’abord, il affirmait que les personnes handicapées couraient un risque accru de subir des violences dans le cadre du conflit armé sévissant actuellement en Afghanistan. À cause de leur handicap, ils seraient incapables de s’éloigner rapidement du danger ; de plus, il est probable qu’ils se trouvent sans domicile fixe et par conséquent sujets à des violences aveugles qui se produisent dans les rues de l’Afghanistan[1]. Ensuite, il affirmait qu’ayant perdu le contact avec sa famille il serait confronté à une absence totale de soutien ainsi qu’à une discrimination générale dans des conditions proches de celles de l’arrêt MSS c. Belgique et Grèce[2].

La Cour commence par réaffirmer qu’une situation générale de violence présente une intensité suffisante pour créer un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 uniquement « dans les cas les plus extrêmes »[3]. Le requérant n’a pas allégué que la violence était d’une telle intensité en Afghanistan. Ce préalable posé, la Cour examine si le handicap du requérant constitue un facteur qui l’expose à un risque de violence supérieur au risque auquel est confrontée la population afghane en général. La Cour estime que M. S.H.H. n’a pas suffisamment démontré que son handicap augmente le risque de violence dans son cas ; les sources disponibles ne contiennent pas plus d’informations capables de confirmer ses allégations qui, par conséquent, restent spéculatives[4].

La Cour évalue ensuite si la détérioration prévisible des conditions de vie du requérant entraîne une violation de l’article 3 de la Convention. Premièrement, elle observe qu’en l’espèce, les principes énoncés dans N. c. Royaume-Uni[5] sont applicables, plutôt que ceux énoncés dans M.S.S. c. Belgique et Grèce[6]. Dans N., la Cour a conclu que « l'article 3 ne fait pas obligation à l'État contractant de pallier des disparités de niveau de traitement disponible en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son territoire »[7]. Même si la Cour a reconnu que le handicap du requérant n’est pas « une maladie physique survenant naturellement », elle a considéré qu’était significatif le fait que le préjudice futur allégué proviendrait non pas d'actes ou d'omissions intentionnels des autorités publiques ou d'organes indépendants de l'État, mais de l'absence de ressources suffisantes pour faire face à son handicap dans le pays de destination[8].

La Cour souligne que le requérant n’a jamais avancé aucun motif pour lequel, dans l’hypothèse de son renvoi, il ne serait pas en mesure de reprendre contact avec ses deux sœurs en Afghanistan[9]. En constatant que le cas n’est pas marqué par des circonstances très exceptionnelles, comme lorsque les considérations humanitaires militant contre l’expulsion sont impérieuses[10], la Cour conclut que la mise à exécution de la décision d'expulser l'intéressé vers l'Afghanistan n'emporterait pas la violation de l'article 3 de la Convention.

B. Éclairage

Dans Sufi et Elmi, la Cour a suivi l’approche adoptée dans M.S.S.[11] en estimant que, lorsqu’une crise est due essentiellement aux actions directes et indirectes des parties à un conflit – et non à la pauvreté ou au manque de ressources d’un État pour faire face à un phénomène naturel tel que la sécheresse – cette approche était à privilégier pour déterminer si des conditions humanitaires désastreuses atteignent le seuil requis par l’article 3[12]. Dans le cas d’espèce, la Cour a considéré nécessaire de partir de cette approche en constatant que, malgré leur niveau de gravité, les conditions en Afghanistan n’étaient pas comparables[13].

Nous estimons que, même si tel est le cas, l’approche adoptée dans l’arrêt N. n’est pas non plus adéquate. La Cour admet que le handicap du requérant, qui a résulté d’un tir de roquette, n’est pas « une maladie physique survenant naturellement ». Nous ajoutons que les disparités de niveau de traitement disponible et le manque de ressources ne sont pas dus essentiellement « à la pauvreté », mais ils sont les résultats d’un conflit de longue durée caractérisé par des niveaux de violences élevées et généralisées, même si la situation n’est pas comparable avec Mogadiscio en Somalie.

Quoique le handicap ne soulève pas, per se, l’applicabilité de l’article 3 de la Convention, la Cour devrait examiner, d’une manière plus approfondie, le caractère de ce handicap dans le contexte spécifique[14]. Vu la nature grave de son handicap, les liens familiaux limités avec ses deux sœurs mariées en Afghanistan et la situation humanitaire à laquelle les personnes handicapées doivent faire face dans un contexte de conflit, les conclusions de la Cour semblent contestables.

L.T.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : S.H.H. c. Royaume-Uni, 29 janvier 2013, req. n° 60367/10.

Pour citer cette note : L. Tsourdi, Cour eur. D.H., S.H.H. c. Royaume-Uni, 29 janvier 2013, req. no 0367/10 (non définitif): « L’expulsion d’un demandeur d’asile handicapé en Afghanistan ne l’exposerait pas à un traitement inhumain ou dégradant », Newsletter EDEM, février 2013.


[1] S.H.H. c. Royaume-Uni, 29 janvier 2013, req. n° 60367/10, § 56.

[2] Ibid., § 57 ; voy. également M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, req. n° 30696/09.

[3] S.H.H. c. Royaume-Uni, op. cit., § 73, ainsi que Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, 28 juin 2011, req. n° 8319/07, § 218, 248.

[4] S.H.H. c. Royaume-Uni, op. cit., §§ 86-87.

[5] N. c. Royaume-Uni, 28 mai 2008, req. n° 26565/05.

[6] S.H.H. c. Royaume-Uni, op. cit., § 89.

[7] N. c. Royaume-Uni, op. cit., § 44.

[8] S.H.H. c. Royaume-Uni, op. cit., § 89 ainsi que N. c. Royaume-Uni, op. cit., § 43.

[9] Ibid., § 93.

[10] Voy. D. c. Royaume-Uni, 2 mai 1997, req. n° 30240/96.

[11] Dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce, op.cit, la Cour a tenu compte de la capacité du requérant à subvenir à ses besoins les plus élémentaires (se nourrir, se laver et se loger), de sa vulnérabilité face aux mauvais traitements et de la perspective de voir sa situation s’améliorer dans un délai raisonnable.

[12] Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, op.cit., § 282.

[13] S.H.H. c. Royaume-Uni, op. cit., § 91.

[14] Opinion dissidente commune jointe des juges Ziemele, Björgvinsson et De Gaetano, S.H.H. c. Royaume-Uni, op. cit., § 4.

Publié le 21 juin 2017