Cour européenne des droits de l’homme, 28 février 2019, H.A. et autres c. Grèce, req. n° 19951/16

Louvain-La-Neuve

Primauté du statut d’enfant à celui de mineur étranger isolé en situation irrégulière : oui, mais…

Convention européenne des droits de l’homme – Art. 3 et 13 – Art. 5 – Détention dans des postes de police – Conditions – Mineurs étrangers non accompagnés – Convention internationale des droits de l’enfant – Art. 3 et 37 – Conditions inadaptées – Extrême vulnérabilité du mineur isolé – Absence d’information sur la durée de la détention – Absence de recours contre la détention – Condamnation.

Les conditions de détention de plusieurs mineurs étrangers isolés dans des postes de police de Grèce ont été assimilées à des traitements inhumains et dégradants en raison des conditions de vie y subies et de la durée de la détention. En outre, la détention de ces mineurs a été considérée comme irrégulière parce qu’il s’agit d’une mesure de dernier ressort qui ne peut être appliquée de manière automatique aux mineurs. La Cour rappelle que le statut d’enfant isolé doit prendre le dessus sur le statut d’étranger en séjour irrégulier et qu’il faut tenir compte de son extrême vulnérabilité.

Christine Flamand

A. Arrêt commenté

1. Faits

Les requérants sont neuf mineurs étrangers non accompagnés (MENA), âgés de 14 à 17 ans (six Syriens, deux Iraquiens et un Marocain). Ils ont quitté leur pays d’origine pour se rendre en Europe en vue de rejoindre leurs familles. Dès leur entrée sur le territoire grec, ils ont été arrêtés par les autorités de police grecques. N’ayant pas accès aux structures d’accueil pour mineurs, ils ont été placés dans différents postes de police de Grèce du Nord. Ils n’ont pas reçu de notification de leur détention, et n’ont pas été informés des raisons ni de la durée de celle-ci. Dans les postes de police, ils ont été placés dans des cellules avec des détenus adultes de droit commun. Ils décrivent des cellules surpeuplées, non chauffées, mal aérées et mal éclairées, sans possibilité de sortie ni de promenade. Ils disent y avoir reçu une alimentation de mauvaise qualité et des couvertures crasseuses et avoir dormi par terre. Ils y ont été détenus pour une durée de 18 à 33 jours. Deux jeunes invoquent avoir été battus par la police et ne pas avoir fait l’objet d’un examen médical.

Ils ont ensuite été placés dans le centre d’hébergement de Divata, une caserne désaffectée et transformée en camp de réfugiés, gérée par une ONG, où ils ont reçu de l’aide pour introduire une demande d’asile. Ils dénoncent, là aussi, les conditions de vie inadéquates, notamment le partage des sanitaires avec les adultes.

Devant la Cour européenne des droits de l’homme, ils se plaignent des conditions de détention et de l’absence de régularité de leur détention comme MENA, de ne pas avoir été informés des motifs de leur détention ni de la durée de celle-ci, de ne pas avoir eu accès à un avocat ou à un interprète, et d’avoir été dans l’impossibilité d’introduire un recours pour contester la légalité de la détention.

2. Raisonnement du juge

La Cour s’est prononcée sur la violation de trois dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Violation de l’article 3

La Cour estime que la détention de MENA dans différents postes de police, pendant des périodes allant jusqu’à 33 jours, constitue une violation de l’article 3 de la CEDH. Elle fonde son constat de violation sur la nature même des postes de police, où les conditions de vie ne sont pas adaptées à l’âge des requérants et qui sont destinés à accueillir des adultes pour une courte durée (§168). Le fait qu’ils n’aient pas eu la possibilité de sortir ni de se divertir aggrave ce constat. La Cour considère que la détention dans les postes de police pourrait faire naître chez les intéressés un sentiment d’isolement du monde extérieur, avec des conséquences potentiellement négatives sur leur bien-être physique et moral (§168). Elle condamne la Grèce en raison de son inaction s’agissant de mineurs isolés détenus pour une longue durée dans des postes de police (de 21 à 33 jours). S’agissant de la catégorie la plus vulnérable de la société, la Cour estime qu’il appartenait à l’État de prendre des mesures adéquates pour les protéger (§171).

La Cour estime que le seuil de gravité est atteint pour les mineurs lors de leur détention dans les postes de police. La Cour se réfère à l’affaire Rahimi c. Grèce (2011) et rappelle que pour tomber sous le coup d’une violation de l’article 3 de la CEDH, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum dépend des circonstances individuelles de chaque situation, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. La Cour juge qu’un traitement est « dégradant » en ce qu’il est de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir. Par contre, la Cour ne retient pas les allégations de mauvais traitements invoqués par deux requérants, considérant qu’ils ne sont pas suffisamment étayés. Cette violation est combinée avec la violation de l’article 13, puisque la Cour constate l’absence de recours disponible pour contester les conditions de détention.

La Cour estime par contre que dans le cadre de leur séjour au centre d’hébergement de DIVATA (safe zone), le seuil de gravité de la violation de l’article 3 n’a pas été atteint. Ce centre, créé pour répondre aux besoins des mineurs non accompagnés, est une structure ouverte où les requérants pouvaient entrer et sortir comme ils le souhaitaient. Même si les conditions de vie n’y étaient pas considérées comme optimales, elles ne rencontrent pas le seuil de gravité requis pour constituer un traitement inhumain et dégradant.

Violation de l’article 5

La Cour examine dans un premier temps si le maintien dans un poste de police s’apparente à une détention. La Cour relève à cet égard que les MENA n’avaient pas la possibilité de quitter ni les postes de gardes-frontières ni les postes de police et que cette situation s’analyse en une privation de liberté au sens de l’article 5, § 1er, de la CEDH (§198).

La Cour rappelle dans un second temps la liste des exceptions au droit à la liberté au regard de l’article 5 de la CEDH. Elle écarte l’application de l’article 5, § 1er, d) car il ne s’agissait pas d’une détention aux fins de l’éducation surveillée d’un mineur mais retient l’application de l’article 5, § 1er, f), s’agissant d’étrangers ayant tenté de pénétrer irrégulièrement en Grèce. Elle rappelle que pour que la détention ne soit pas arbitraire, elle doit être étroitement liée au motif de détention invoqué par le gouvernement (§195). De plus, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés. Elle ne peut excéder le délai raisonnable. La Cour ajoute que les mesures de détention s’appliquent à des ressortissants étrangers qui n’ont pas commis d’autres infractions que celles liées au séjour, ce qui semble indiquer un degré de prudence supplémentaire.

La Cour admet donc le principe de la détention des mineurs mais exige, en invoquant la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et des articles 5 et 17 de la Directive Retour, que celle-ci soit une mesure de dernier ressort et la plus brève possible. En effet, la Cour estime que cette détention pouvait uniquement être justifiée pour une courte période, dans le cadre de la recherche d’une structure d’accueil adaptée pour les accueillir.

Or, la Cour constate que la détention a été appliquée de manière automatique, en méconnaissance du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette application automatique d’une mesure de détention la rend irrégulière et arbitraire au sens de l’article 5 de la CEDH. Même si le placement des mineurs a été réalisé dans l’attente de trouver des structures d’accueil destinées à l’hébergement des mineurs, le texte de loi utilisé sur la garde protectrice (article 118 du décret no141/1991), n’est pas adapté à la situation des mineurs non accompagnés et ne prévoit pas de limite temporelle (§202). Ceci peut conduire à de longues détentions. De plus, ils n’ont pas été informés des raisons de leur détention ni de la durée de celle-ci. Pour toutes ces raisons, la Cour conclut à la violation de l’article 5.

Violation de l’article 13

Enfin, la Cour constate l’absence de recours effectif, tant pour contester les conditions de vie dans les postes de police que pour contester la décision relative à la détention et sa durée (violation combinée des articles 3 et 13 CEDH).

B. Éclairage

Cet arrêt n’est pas sans rappeler des arrêts de la Cour dans des affaires similaires de détention d’enfants mineurs isolés où les modalités de l’enfermement et la durée de celle-ci sont visées. Un des principaux enseignements de cet arrêt est de rappeler que le mineur étranger est avant tout un enfant et qu’il appartient à une catégorie de personnes extrêmement vulnérables. Cet enseignement fera l’objet d’un premier point. Un second point abordera le fait que la jurisprudence de la Cour met en cause les modalités de la détention plutôt que la détention même de mineurs étrangers. Enfin, nous ferons, dans un troisième point, un état des lieux de la détention des mineurs en Belgique.

1. Mineur étranger et intérêt supérieur de l’enfant

Un des principaux acquis de cet arrêt est de souligner et de rappeler la double vulnérabilité des mineurs isolés en séjour irrégulier (§171) :

  • il s’agit de mineurs livrés à euxmêmes, isolés, sans relais au niveau familial ;
  • ces mineurs se trouvent en situation irrégulière dans un pays qui n’est pas le leur et soumis à une législation spécifique.

La Cour rappelle que l’État doit prendre les mesures pour empêcher que les mineurs ne soient exposés à de mauvais traitements, même s’ils s’y trouvent en situation irrégulière. La Cour souligne cette obligation positive de l’État également dans l’arrêt Kahn c. France, pris le même jour que l’arrêt commenté, qui concerne la situation d’un enfant vivant seul dans un abri de fortune près de Calais (qualifié de bidonville par la Cour) et vis-à-vis duquel une mesure de placement du juge n’avait pas été exécutée. Ces arrêts soulignent que les MENA en situation irrégulière relèvent de la « catégorie des personnes les plus vulnérables de la société ».

Citant l’arrêt Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique (2006), la Cour souligne que le souci des États de déjouer les tentatives de contournement des restrictions à l’immigration ne doit pas priver le mineur étranger, de surcroît non accompagné, de la protection liée à son état (§204). Pour cette raison, les mineurs étrangers en situation irrégulière doivent être considérés comme des enfants plutôt que comme des étrangers.

Il y a donc une nécessité de concilier la protection des droits fondamentaux et les impératifs de la politique de l’immigration des États. Outre le respect des droits fondamentaux compris dans la CEDH, il y a ceux compris dans la CIDE. La Cour applique le raisonnement qu’elle a tenu préalablement dans l’arrêt Rahimi c. Grèce (2011), selon lequel les autorités nationales doivent se pencher sur la question de l’intérêt supérieur du requérant en tant que mineur ou sur sa situation particulière de mineur non accompagné. Cet arrêt insiste sur l’application de l’article 3 de la CIDE qui dispose que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale, entre autres, des autorités administratives dans toutes les décisions qui les concernent. L’article 37 de la même Convention prévoit que la mise en détention d’un enfant doit constituer une mesure de dernier ressort. Enfin, la Cour rappelle sa jurisprudence sur l’article 8 de la CEDH et la protection de la vie familiale. Elle a admis qu’il existe un large consensus autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (Neulinger et Shuruk c. Suisse, 2010, §135). Prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant signifie donc que lorsqu’on met en balance l’intérêt de l’enfant et celui de l’État (par exemple contrôler ses frontières), le premier a plus de poids. Il n’exclut pas l’intérêt de l’État mais est plus fort.

Or, en l’occurrence, en ordonnant la mise en détention des MENA dans les postes de police, les autorités nationales ne se sont aucunement penchées sur la question de son intérêt supérieur en tant que mineur. Le statut d’étranger en situation irrégulière a prédominé sur celui de l’enfant.

2. La détention des enfants, non mais…

Si l’on peut se réjouir du raisonnement de la Cour, ne peut-on pas pousser plus loin la logique et admettre qu’en raison de la double vulnérabilité du MENA en séjour irrégulier et de son intérêt supérieur, le principe même de la privation de liberté en raison de son séjour irrégulier doit être remis en cause ? Ne peut-on pas reprocher à la Cour d’avoir une vision contradictoire en insistant sur la primauté du statut de l’enfant sur le statut d’étranger en séjour irrégulier au vu de sa grande vulnérabilité et de continuer à admettre la détention de ces enfants ? Ceci pose la question de l’application par la Cour de l’article 5, § 1er, f) aux mineurs et à la question des conditions de vie adaptées aux mineurs en centre fermé. La Cour a, jusqu’à présent, considéré que la privation de liberté des enfants était compatible avec la CEDH.

La Cour ne pourrait-elle pas interpréter différemment l’article 5, 1er, f) quant à son applicabilité aux mineurs ? Cet article stipule que la détention est conforme aux droits fondamentaux s’il s’agit de la détention d’une personne pour l’empêcher de rentrer irrégulièrement dans le territoire. Or, peut-on considérer le mineur comme une personne lambda ou part-on du principe qu’il nécessite une approche particulière en raison de sa vulnérabilité ? En d’autres mots, un enfant qui tente de pénétrer le territoire illégalement devient-il une personne comparable à un adulte ou reste-t-il un enfant vulnérable ayant des besoins spécifiques ? L’article 5, § 1er, d), se réfère explicitement à la situation du mineur et autorise sa détention si elle est décidée dans le cadre de son éducation surveillée. L’article 5 § 1er, f) quant à lui ne mentionne pas le mineur. Le fait qu’il ne soit pas explicitement mentionné n’implique-t-il pas que le mineur n’est pas visé par cette disposition ? Ou ne donne-t-il pas l’occasion à la Cour de se prononcer différemment dans le futur et de faire le choix de privilégier le raisonnement qu’elle a tenu dans cet arrêt sur la vulnérabilité spécifique d’un enfant en séjour irrégulier ? Jusqu’à présent, la Cour n’a pas franchi ce pas. Ainsi, dans l’affaire Tabitha (2006) qui concernait la détention d’une fillette de 5 ans, l’avocat avait demandé à la Cour d’interpréter cet article comme n’autorisant la détention qu’en cas de mesure « protectrice » au sens de l’article 5, § 1er, d). Mais la Cour ne l’a pas suivi… (§100).

Quant aux conditions de détention, il semble difficile de considérer qu’un centre fermé puisse être adapté aux enfants, au vu des conséquences néfastes de l’enfermement, notamment sur leur santé mentale, démontrées par de nombreux rapports. La Cour ne définit d’ailleurs pas quelles sont les conditions adaptées à la détention des enfants, si ce n’est par la négative. Le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (2015) a affirmé que « dans le contexte de la répression administrative de l’immigration [...] la privation de liberté des enfants fondée sur le statut migratoire de leurs parents n’est jamais dans l’intérêt supérieur de l’enfant, ne répond pas à une nécessité, devient excessivement disproportionnée et peut constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant des enfants migrants » (§80).

Plusieurs autres rapports dénoncent la détention des enfants et encouragent les États à trouver des alternatives à celle-ci, qu’il s’agisse de mineurs accompagnés ou non, au vu de ses conséquences négatives. Ainsi, le Plan d’action du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants réfugiés et migrants en Europe (2017-2019) prévoit des actions concrètes pour trouver des alternatives à la détention et éviter qu’un enfant ne soit détenu en raison de son statut de migrant (point 2.4). D’autres recommandations, notamment du Comité des droits de l’enfant encouragent l’interdiction de la détention d’enfants en raison de leur seul statut migratoire. Dans l’observation générale n° 6, il souligne que la détention ne saurait être justifiée par le seul fait que l’enfant est séparé ou non accompagné, ni par son seul statut au regard de la législation relative à l’immigration ou à la résidence ou à l’absence d’un tel statut (§61). Ceci est également rappelé récemment dans l’observation générale n°22 (2017), qui prévoit que « tout type de détention d’enfants liée à l’immigration devrait être interdit dans la loi et cette interdiction devrait être pleinement mise en œuvre dans la pratique ». Un rapport récent de la plateforme Mineur en Exil donne un aperçu des positions des institutions internationales sur la détention des mineurs.

La Cour pourrait, dans un souci de cohérence et en prolongement de son propre raisonnement et des outils du Conseil de l’Europe, interpréter l’article 5, § 1er, f) différemment, au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant.

3. La détention des mineurs en Belgique

Si la Grèce a été épinglée à plusieurs reprises sur la question de la détention des mineurs, la Belgique n’est pas en reste. Elle a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour de Strasbourg en raison de la détention de mineurs, qu’ils soient accompagnés ou non. Hélène Gribomont avait longuement décrit cette situation dans la newsletter de l’EDEM en décembre 2017. Depuis lors, les choses ont évolué.

Détention de MENA

En Belgique, la détention des MENA est interdite par l’article 74/19 de la loi du 15 décembre 1980. Si le MENA arrive à la frontière ou sur le territoire sans être muni des documents requis, il sera transféré dans un centre d’observation et d’orientation (COO) (article 41, § 2, de la loi accueil). La seule exception concerne le cas où il y a un doute sur l’âge invoqué par le MENA. Dans ce cas, il pourra être maintenu dans le centre fermé pendant une période de 3 jours ouvrables de l’arrivée à la frontière. Si l’examen ne peut pas avoir lieu en raison de circonstances imprévues endéans ce délai, il peut être prolongé exceptionnellement de trois jours ouvrables (article 41, § 1er, de la loi accueil).

Détention de mineurs accompagnés

Suite à différentes condamnations de la Belgique sur base de l’article 3 de la CEDH, la détention de familles a fait place à un système d’alternative à la détention, en maison de retour. Toutefois, depuis 2016, sous l’impulsion du Secrétaire d’État à l’asile et la migration, la détention des familles est à nouveau autorisée par la loi. En effet, les articles 74/8, § 4, et 78/9 de la loi du 15 décembre 1980 autorisent le placement des familles dans des centres fermés. Ceux-ci doivent être adaptés aux besoins des familles avec enfants et le placement d’une durée aussi courte que possible.

L’arrêté royal du 22 août 2002 (art. 83/4 à 83/11) a également été modifié par l’arrêté royal du 22 juillet 2018 pour réglementer la détention des familles en centre fermé. La « maison familiale » est définie comme « lieu se trouvant dans un centre et adapté aux besoins d’une famille avec enfants mineurs ». Selon l’article 83/4, « ces maisons familiales sont implantées dans une zone déterminée dans l’enceinte du centre, afin que les familles soient séparées des autres occupants ».

Cette décision de permettre à nouveau la détention des familles a suscité de nombreuses réactions notamment du Comité des droits de l’enfant (pt. 43), de l’UNICEF ainsi que de nombreuses ONG investies dans la défense des droits de l’enfant (notamment via la campagne « On n’enferme pas un enfant. Point. »). Le Comité des droits de l’enfant a rappelé que la détention est toujours contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Malgré ces protestations, le centre a été inauguré. Il se trouve dans l’enceinte du centre 127bis, en bordure de piste de l’aéroport national. Plusieurs familles y ont été détenues, suscitant de nombreuses contestations. Le Comité des droits de l’enfant, saisi par une famille détenue, a imposé à l’État belge une mesure provisoire le 25 septembre 2018. Il a mis en avant l’impact irréversible de la détention sur le bien-être et le développement des enfants, et le fait que cette détention était contraire à l’intérêt supérieur des enfants concernés. Malgré cette injonction, l’Office des étrangers a refusé de libérer la famille, au motif que le Comité des droits de l’enfant n’était pas compétent. Rappelons que l’État belge a ratifié en 2014 le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, qui a instauré ce mécanisme de plainte et qui prévoit en son article 1er que « tout État partie au présent Protocole reconnaît au Comité la compétence que lui confère le présent Protocole ».

À l’initiative de nombreuses associations et de l’Ordre des Barreaux francophones et germanophone, l’arrêté royal du 22 juillet 2018 a été contesté en extrême urgence près du Conseil d’État. Par un arrêt du 4 avril 2019, celui-ci vient d’en suspendre l’application de l’article 13. Le Conseil d’État estime que l’urgence est établie, « la mise en œuvre de l’arrêté royal attaqué fixant le régime de leur hébergement en maisons familiales risque d’avoir dès à présent des conséquences dommageables irréversibles, spécialement pour l’intégrité physique et psychique des enfants, eu égard à la pollution atmosphérique ou sonore à laquelle ils sont soumis et aux effets délétères d’une détention, même brève ». Il ajoute que les « parties requérantes évoquent avec précision l’impact négatif, sur l’enfant, d’un hébergement avec sa famille en un “lieu tel que visé à l’article 74/8, § 2" de la loi du 15 décembre 1980 précitée, prenant notamment appui sur divers rapports d’experts ».

Le Conseil d’État se réfère à l’arrêt Muskhadzhiyeva c. Belgique du 19 janvier 2010 de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle les chambres familiales du centre 127bis, où sont construites aujourd’hui les maisons familiales, n’étaient pas des lieux de détention adaptés aux enfants, et ce malgré les nombreux aménagements prévus. Le Conseil d’État constate que les aménagements prévus pour les maisons familiales pèchent par les mêmes défauts que ceux qui existaient à l’époque où les familles étaient détenues. La durée prévue de la détention d’un mois est également jugée excessive par le Conseil d’État, qui considère que « compte tenu de ce délai, les obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention des droits de l’homme devaient conduire le Roi à prévoir que les maisons familiales ne peuvent pas être implantées dans un environnement dans lequel les enfants sont susceptibles d’être exposés à de graves nuisances sonores ».

Le Conseil d’État a estimé que « la détention des familles est interdite dans les maisons familiales si les enfants y seraient exposés à des nuisances sonores particulièrement importantes ». La détention des familles est donc actuellement suspendue en Belgique. Fin de l’épisode ? On le pensait jusqu’aux récentes déclarations de la Secrétaire d’État à l’asile et la migration, qui réfléchit à de nouvelles pistes pour adapter les conditions de détention des familles : insonoriser les cellules familiales. Cela suffira-t-il pour que la Belgique se conforme aux droits de l’enfant et trouve un équilibre entre deux éléments inconciliables que sont la protection sonore et le droit à prendre l’air ?

En conclusion, malgré le rappel de la Cour concernant les précautions à prendre s’agissant de mineurs en situation irrégulière, on ne peut que regretter qu’elle n’aille pas plus loin en interdisant la détention des enfants, qui n’est jamais dans l’intérêt de l’enfant. Même si cela semble relever, dans le contexte actuel, de l’utopie, la condamnation par les institutions internationales de la pratique de l’enfermement des enfants en raison de leur statut migratoire ou de celui de leurs parents devrait encourager la Cour de Strasbourg à aller jusqu’au bout de sa logique : le statut de l’enfant l’emporte en droit sur celui de l’étranger en séjour irrégulier.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : Cour eur. D.H., 28 février 2019, H.A. et autres c. Grèce, req. n° 19951/16

Jurisprudence :

- Cour eur. D.H., 28 février 2019, Kahn c. France, req. n° 12267/16 ;

- Cour eur. D.H., 5 avril 2011, Rahimi c. Grèce, req. n° 8687/08 ;

- Cour eur. D.H., 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, req. n° 13178/03.

Doctrine :

- CARLIER J.-Y., « Des droits de l’homme vulnérable à la vulnérabilité des droits de l’homme, la fragilité des équilibres. », R.I.E.J., 2017.79, p. 175 ;

- FIERENS J., « La privation de liberté des enfants et la Convention européenne des droits de l’homme », J.T., n°6397-21/2010, p. 357 ;

- GRIBOMONT H., « Conditions de détention des mineurs : le mauvais exemple de la Bulgarie », Newsletter EDEM, décembre 2017.

Autres :

- Committee on the Rights of the Child, Concluding observations on the combined fifth and sixth periodic reports of Belgium, 28 February 2019, CRC/C/BEL/CO/5-6 ;

- Plateforme Mineurs en exil, « La détention condamnée : Aperçu des positions des institutions internationales vis-à-vis la détention des enfants », Bruxelles, 13 juin 2018.

Pour citer cette note : C. FLAMAND, « Primauté du statut d’enfant sur le statut de mineur étranger isolé en situation irrégulière : oui, mais… », Cahiers de l’EDEM, avril 2019.

Photo de Nicoleon — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

 

Publié le 06 mai 2019