Droit de la mer et assistance aux personnes en détresse

Louvain-La-Neuve

Droit de la mer et assistance aux personnes en détresse

I.    Une règle incontestable du droit de la mer: l'obligation de prêter assistance

L'obligation de prêter assistance en mer est inscrite à l'article 98, paragraphe 1, de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982): "Tout État exige du capitaine d'un navire battant son pavillon que ... a) il prête assistance à quiconque est trouvé en péril en mer; b) il se porte aussi vite que possible au secours des personnes en détresse s'il est informé qu'elles ont besoin d'assistance, dans la mesure où l'on peut raisonnablement s'attendre qu'il agisse de la sorte..."

La disposition est libellée sous la forme d'une obligation adressée à l'Etat du pavillon d'un navire. Toutefois, il est généralement reconnu que le devoir d'assistance en mer reflète une règle coutumière qui s'adresse aux gens de mer. Concrètement, cela signifie que les autorités d'un Etat ne pourraient pas, en principe, reprocher au capitaine d'un navire d'avoir porté assistance à un navire en détresse puisqu'il se conforme ainsi à une obligation prévue par le droit international.   

Bien que l'article 98 énonçant le devoir d'assistance soit applicable à la haute mer (espace maritime non soumis à la juridiction d'un Etat côtier), l'obligation qu'il contient s'étend également à la zone économique exclusive (lorsqu'elle existe) par l'effet de l'article 58, paragraphe 2, de la Convention et à la mer territoriale sur la base de l'article 18, paragraphe 2, de la Convention.

Le paragraphe 2 de l'article 98 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer demande aux États de faciliter "la création et le fonctionnement d'un service permanent de recherche et de sauvetage adéquat et efficace pour assurer la sécurité maritime et aérienne et, s'il y a lieu, [de collaborer] à cette fin avec leurs voisins dans le cadre d'arrangements régionaux". Deux conventions adoptées sous l'égide de l'OMI (Organisation maritime internationale) précisent les modalités de mise en œuvre de cette obligation :

- La Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage en mer (Search and Rescue (SAR) Convention), qui vise à l'élaboration de plans de secours en mer afin de coordonner entre les États le sauvetage des personnes en détresse.

- La convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie en mer (Safety of Life at Sea (SOLAS) Convention), qui demande aux États Parties de s'assurer qu’une assistance soit fournie à toute personne en détresse en mer "sans tenir compte de la nationalité ou du statut de cette personne, ni des circonstances dans lesquelles celle-ci a été trouvée" (Chapitre 2, paragraphe 2.1.10).

II.   Les obligations relatives au débarquement des personnes secourues: une pratique hésitante

Si le devoir d'assistance en mer est fermement établi en droit international, les obligations précises qui pèsent sur les États à la suite d'une opération d'assistance restent  controversées. Deux questions seront ici abordées : l'accès au port et le débarquement des personnes secourues.

A. L'accès aux ports

Les installations portuaires d'un Etat sont soumises à la souveraineté de celui-ci et il semble accepté qu'il n'existe en droit international aucun droit général d'accès aux ports d'États tiers.

Ce principe connaît toutefois une exception. En effet, un droit d'accès est reconnu en droit international pour un navire en détresse, ce qui présuppose que la vie des personnes à bord du navire soit menacée (l'on peut songer, par exemple, à la situation d'une tempête qui menace ou au cas d'un besoin urgent d'assistance médicale).

B. Le débarquement des personnes secourues

Après avoir porté assistance au navire en détresse, l'on pourrait logiquement considérer que le capitaine du navire est en droit de faire route vers le port le plus proche afin de débarquer les personnes secourues. L'existence d'une obligation pesant sur les États en la matière reste cependant controversée, comme l'a illustré l'affaire du navire Tampa en 2001. Le Tampa, cargo norvégien, avait embarqué lors d'une opération de secours coordonnée par l'Australie, plus de 400 réfugiés.  L'Australie avait alors refusé d'accueillir les réfugiés sur son territoire. Le capitaine du navire avait refusé d'obtempérer, ce qui avait provoqué l'abordage du navire par les forces australiennes. Les réfugiés avaient finalement trouvé refuge en Nouvelle Zélande et à Nauru, avec l'accord de ces pays.[1]

À la suite de cet incident, la Convention SOLAS fut amendée en 2004 et celle-ci à présent prévoit (à la règle 33.1) que "[l]es Gouvernements contractants doivent assurer la coordination et la coopération nécessaires pour que les capitaines de navires qui prêtent assistance en embarquant des personnes en détresse en mer soient dégagés de leurs obligations et s'écartent le moins possible de la route prévue...". La disposition identifie également l'Etat qui a la responsabilité principale d'assurer le débarquement des personnes secourues: "Le Gouvernement contractant responsable de la région de recherche et de sauvetage dans laquelle une assistance est prêtée assume au premier chef la responsabilité de veiller à ce que cette coordination et cette coopération soient assurées, afin que les survivants secourus soient débarqués du navire qui les a recueillis et conduits en lieu sûr".

Conformément à la directive OMI (MSC.167 (78) de 2004) sur le traitement des personnes secourues en mer, un lieu sûr est "un endroit où la vie des survivants n'est plus menacée et où l'on peut subvenir à leurs besoins fondamentaux (tels que des vivres, un abri et des soins médicaux)... Un navire prêtant assistance ne devrait pas être considéré comme un lieu sûr, du seul fait que les survivants, une fois qu'ils se trouvent à bord du navire, ne sont plus en danger immédiat. Il se peut qu'un navire prêtant assistance ne dispose pas des installations et du matériel appropriés pour accueillir des personnes supplémentaires à bord sans mettre sa propre sécurité en péril ou pour s'occuper correctement des survivants. Même si le navire a la possibilité d'héberger les survivants en toute sécurité et peut faire office de lieu sûr provisoire, on devrait le dégager de cette responsabilité dès que d'autres dispositions peuvent être prises."

C. Litiges relatifs à l'interprétation et l'application des règles existantes

Jusqu'à présent, les règles du droit de la mer régissant l'assistance des personnes en mer n'ont pas fait l'objet de décisions rendues par des juridictions internationales. Ces règles sont cependant susceptibles d'être appliquées et interprétées dans le cadre d'un contentieux qui serait porté devant un juge international (Tribunal international du droit de la mer, Cour internationale de Justice ou arbitrage) sur la base du mécanisme de règlement obligatoire des différends prévu par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Étant donné le caractère erga omnes des règles énoncées par la Convention, tout État partie à celle-ci peut être considéré comme disposant d'un droit d'action en justice à l'égard de tout autre État qui y est également partie. 

 

Philippe Gautier

Professeur à l'UCL


[1] Un autre incident de ce type concerne le Cap Anamur, un navire d'une ONG battant pavillon allemand qui, en 2004 avait sauvé une trentaine de réfugiés de la noyade en Méditerranée, près de l'île de Lampedusa (Italie). Dans un premier temps, l'Italie refusa d'accueillir le navire, avant de changer d'avis face à la détérioration de la situation à bord. Le capitaine fut arrêté par les autorités italiennes pour infraction aux lois sur l'immigration.  

 

Source photo : www.rfi.fr/afrique/20161225-sauvetage-migrants-aquarius-mer-noel

Publié le 13 juin 2018