Obs. sous Bruxelles (mis. acc.), arrêt du 11 juillet 2014

Louvain-La-Neuve

Le contrôle de la motivation d’une décision de détention aux fins d’éloignement limitée à deux hypothèses.

L’Office des étrangers doit détailler en fait et en droit la motivation de ses décisions de détention aux fins d’éloignement, notamment en exposant les motifs de l’hypothèse visée : le risque de fuite ou l’étranger qui évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. À défaut, la décision doit être annulée.

Article 5, § 2, CEDH – Article 15 de la directive 2008/115/CE et article 7 de la loi du 15 décembre 1980 (détention en vue de l’éloignement) – Motifs – Risque de fuite – Évite/empêche préparation du retour ou procédure d’éloignement – Obligation de motivation en fait et en droit.

A. Arrêt

Le requérant, de nationalité albanaise, détenu au centre de Vottem, a fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire (ci-après : O.Q.T.) avec décision de maintien en vue de l’éloignement en date du 18 juin 2014. Cet O.Q.T. était motivé comme suit : « L’intéressé n’a pas volontairement quitté [quitté quoi ?] avant l’expiration de son autorisation. L’intéressé réside sur le territoire des États Schengen sans cachet d’entrée valable/sans permis de séjour valable. Il ne respecte pas la réglementation en vigueur. Il est donc peu probable qu’il obtempère à un ordre de quitter le territoire qui lui serait notifié. Vu que l’intéressé était en train de travailler sans permis, il existe un risque qu’il poursuive son comportement illégal. L’intéressé ne respectant pas l’interdiction de séjour, on peut en déduire qu’une exécution volontaire de l’ordre est exclue ».

La décision de maintien qui assortit l’O.Q.T. est quant à elle prise sur la base des motifs suivants : « En application de l’article 7, alinéa 3, de la même loi, l’exécution de sa remise à la frontière ne pouvant être effectuée immédiatement, l’intéressé doit être détenu à cette fin : Il y a lieu de maintenir l’intéressé à la disposition de l’Office des étrangers dans le but de le faire embarquer à bord du prochain vol à destination de Tirana ».

En prémisse de son analyse, la Chambre des mises accusation rappelle plusieurs principes. Premièrement, l’article 7, al. 3, de la loi du 15 décembre 1980, dispose que l’étranger en séjour illégal peut, à défaut d’autres mesures moins coercitives mais suffisantes, être maintenu pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de l’éloignement, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite. L’article 1, 11°, définit ce risque comme étant le fait pour un ressortissant d’un pays tiers visé par une procédure d’éloignement de présenter un risque actuel et réel de se soustraire aux autorités. Il est imposé au ministre ou à son délégué d’apprécier ce risque sur la base d’éléments objectifs et sérieux.

L’article 7, al. 3, de la loi du 15 décembre 1980 prévoit donc que l’étranger peut être maintenu, non qu’il doit l’être. De plus, il prescrit de ne prendre cette mesure qu’à défaut de pouvoir en appliquer efficacement d’autres, moins coercitives mais suffisantes pour reconduire l’étranger à la frontière.

Deuxièmement, lorsque, comme en l’espèce, le titre de privation de liberté s’appuie sur l’affirmation qu’il existe un risque de fuite, il lui appartient de vérifier que ce risque a été apprécié par l’administration conformément aux critères que la loi en donne. De même, il lui appartient de vérifier que la condition de subsidiarité a été vérifiée.

Troisièmement, à la suite de l’arrêt du 21 janvier 2014 de la Cour de cassation, ces dispositions entraînent une limitation de la liberté personnelle et sont, dès lors, de stricte interprétation. Par conséquent, afin de reconduire un étranger à la frontière, il ne peut y avoir recours à la détention que lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement, seules ces deux hypothèses étant envisageables (voy. Cass., 2e ch., arrêt n° P.14.0005.N, 21 janvier 2014).

En l’espèce, la Chambre des mises en accusation observe que l’étranger était, au moment de son interpellation, en possession d’un passeport albanais, revêtu d’un cachet d’entrée en Grèce, daté du 21 mai 2012, qu’il disposait d’un titre de séjour grec valable jusqu’au 17 septembre 2014 et qu’il résidait en Belgique, chez son épouse, titulaire d’un titre de séjour légal avec son enfant né en Belgique, à l’adresse déjà mentionnée sur l’acte de naissance.

Elle observe également que le dossier déposé ne permet nullement de vérifier la réalité du risque de fuite invoqué, lequel n’apparaît pas avoir été apprécié par l’administration conformément aux critères que la loi en donne sur la base d’éléments objectifs et sérieux, eu égard à la situation particulière de l’étranger telle que décrite. Elle ajoute enfin qu’aucun élément objectif non plus ne démontre un risque d’entrave à la procédure d’éloignement.

Sur cette base, la Cour constate que la possibilité de rétention, limitée suivant l’enseignement de la Cour de cassation, aux deux hypothèses visées par l’article 7, al. 2, de la loi du 15 décembre 1980, n’est pas légalement motivée en l’espèce. Elle confirme, sur la base de ces motifs, la libération du requérant ordonnée par la Chambre du conseil.

B. Éclairage

L’arrêt fait sien la jurisprudence du 21 janvier 2014 de la Cour de cassation[1]. Il confirme l’obligation pour l’Office des étrangers d’avoir seulement recours à la détention aux fins d’éloignement dans deux hypothèses : lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement. Les difficultés relatives à l’absence d’éléments objectifs et sérieux dans la définition légale du risque de fuite ont déjà été examinées[2]. Les conséquences de cette jurisprudence sur la motivation des décisions de détention à venir méritent que l’on s’y attarde.

La législation belge impose que les décisions de détention soient motivées et notifiées par écrit[3]. Il doit y être fait mention des considérations de droit et de fait qui fondent la décision[4]. L’article 5, paragraphe 2, CEDH dispose : « Toute personne arrêtée doit être informée dans les plus brefs délais et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation ». Cette disposition « oblige à signaler à une telle personne, dans un langage simple accessible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu’elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4 »[5].

Le respect de ces exigences relatives à la motivation des décisions de détention fait l’objet d’un contrôle par les juridictions d’instruction. La Chambre du conseil et la Chambre des mises en accusation vérifient « si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité »[6]. Ce contrôle de légalité de la décision administrative englobe le contrôle de l’exactitude des motifs de fait sur lesquels elle repose[7]. Ces motifs de fait, conformément aux dispositions légales suscitées, doivent être détaillés dans la motivation. La Cour de cassation a considéré à cet égard : « Dat toezicht houdt eveneens in dat wordt nagegaan of de door de bestuurlijke overheid aangevoerde feiten zich werkelijk hebben voorgedaan en met de werkelijkheid overeenstemmen. De rechter onderzoekt daarbij of de beslissing steunt op een redengeving zonder kennelijke beoordelingsfout of feitelijke vergissing. »[8]

Dans un arrêt récent, la C.J.U.E. a précisé l’étendue de ce contrôle en cas de prolongation de la détention : « [L]’autorité judiciaire statuant sur une demande de prolongation de rétention doit être en mesure de prendre en considération tant les éléments de fait et les preuves invoqués par l’autorité administrative ayant ordonné la rétention initiale que toute observation éventuelle du ressortissant concerné d’un pays tiers. En outre, elle doit être en mesure de rechercher tout autre élément pertinent pour sa décision au cas où elle le jugerait nécessaire. »[9]

À titre d’exemple, pour une détention fondée sur un risque de fuite actuel et réel, il a été considéré que si le dossier de l’Office des étrangers ne contient aucun élément objectif et sérieux accréditant le risque de fuite dans le chef de l’intéressé, la mise en liberté peut être ordonnée. Cela s’explique par le fait que si le titre de privation de liberté s’appuie sur l’affirmation qu’il existe un risque de fuite, le pouvoir judiciaire doit pouvoir vérifier que ce risque a été apprécié par l’administration conformément aux critères que la loi en donne[10].

Ces exigences légales d’exhaustivité dans la motivation des décisions de maintien mises en relation avec la limitation de la détention à deux hypothèses déterminées devraient conduire à un contrôle plus rigoureux des décisions de détention. En effet, si l’hypothèse dans laquelle l’étranger détenu se trouve n’est pas clairement identifiée ou si les motifs de faits et de droit qui la fondent ne sont pas suffisamment détaillés, le contrôle de légalité de la détention devra nécessairement conduire à une libération.

P.dH.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Bruxelles (mis. acc.), arrêt du 11 juillet 2014.

En jurisprudence :

C.J.U.E., arrêt Bashir Mohamed Ali Mahdi, aff. no C‑146/14 PPU, 5 juin 2014, § 62.

Cour eur. D.H., arrêt Conka c. Belgique, 5 février 2002, req. no 51564/99.

Cass. (vac.), arrêt no P.01.1011.F, 31 juillet 2001.

Cass. (2e ch.), arrêt no P.11.0609.F, 20 avril 2011.

Cass. (2e ch.), arrêt no P.12.1028.F, 27 juin 2012.

Cass. (2e ch.), arrêt no P.12.2019.F, 2 janvier 2013.

Cass. (2e ch.), arrêt n° P.12.2050.N/1, 2 janvier 2013.

Bruxelles (mis. acc.), arrêt no 3219, 25 septembre 2012.

Bruxelles (mis. acc.), arrêt no 2835, 28 août 2013.

Bruxelles (mis. acc.), arrêt no 2851, 30 août 2013.

Bruxelles (mis. acc.), arrêt du 20 décembre 2013.

Bruxelles (mis. acc.), arrêt no 1146, 28 mars 2014.

Pour citer cette note : P. D’HUART, « Contrôle de la motivation d’une décision de détention aux fins d’éloignement limitée à deux hypothèses », Newsletter EDEM, août 2014.


[1] Sur cet arrêt, voy. P. d’Huart, « La détention aux fins d’éloignement limitée à deux hypothèses », Newsletter EDEM, mai 2014.

[2] Ibid.

[3] Art. 62, alinéa 1, de la loi du 15 décembre 1980 : « Les décisions administratives sont motivées. Elles sont notifiées aux intéressés, qui en reçoivent une copie ».

[4] Art. 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, M.B., 12 septembre 1991 : « La motivation exigée consiste en l’indication, dans l’acte, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision. Elle doit être adéquate ».

[5] Cour eur. D.H., arrêt Conka c. Belgique, 5 février 2002, req. n° 51564/99, § 50 ; Cour eur. D.H., arrêt Rusu c. Autriche, 2 octobre 2008, req. n34082/02, § 36.

[6] Article 72, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 ; Cass. (vac.), arrêt no P.01.1011.F, 31 juillet 2001 ; Cass. (2e ch.), arrêt no P.12.2019.F, 2 janvier 2013.

[7] Bruxelles (mis. acc.), arrêt no 3219, 25 septembre 2012 ; Bruxelles (mis. acc.), arrêt no 2851, 30 août 2013.

[8] Cass. (2e ch.), arrêt n° P.12.2050.N/A, 2 janvier 2013. Traduction officieuse : « Ce suivi implique également qu’il soit vérifié si les faits allégués par l’administration ont effectivement eu lieu et correspondent à la réalité. Le juge examine si la décision est fondée sur un raisonnement sans erreur manifeste d’appréciation ou erreur factuelle. »

[9] C.J.U.E., arrêt Bashir Mohamed Ali Mahdi, aff. no C‑146/14 PPU, 5 juin 2014, § 62.

[10] Cass. (2e ch.), arrêt no P.12.1028.F, 27 juin 2012.

Publié le 14 juin 2017