Cour eur. D.H., 14 février 2017, S.K. v. Russie, req. n° 52722/15

Louvain-La-Neuve

Recours internes et détention en Russie : des lacunes (à nouveau) condamnées à Strasbourg.

La Cour européenne des droits de l’homme juge à l’unanimité qu’il y aurait violation des articles 2 et 3 en cas de renvoi du requérant de la Russie vers la Syrie. Elle conclut à la violation par la Russie de l’article 13 combiné aux articles 2 et 3 et de l’article 5, §§ 1er et 4. L’arrêt note des lacunes dans les recours internes disponibles en Russie pour un ressortissant étranger, détenu, dont la vie ou l’intégrité physique sont menacées par un éloignement vers la Syrie.

Articles 2, 3, 5, §§ 1er et 4, 8 et 13 CEDH – expulsion administrative en Syrie – demande d’asile temporaire – recours internes disponibles en Russie – détention – violations.

A. Arrêts

- Faits et procédure interne

Le requérant est un ressortissant syrien né en 1986. Il est arrivé en Russie en octobre 2011,  muni d’un visa d’affaires temporaire. Après l’expiration de celui-ci, le requérant est resté en Russie, a épousé une ressortissante turque avec laquelle il a eu un enfant.

En février 2015, le requérant a été déclaré coupable d’une infraction administrative pour être resté en Russie après l’expiration de son visa. L’autorité compétente le condamna à une amende et prononça son expulsion administrative. Il a été placé dans un centre de rétention pour ressortissants étrangers jusqu’à la date de son expulsion.

En mai 2015, le requérant a introduit une demande d’asile temporaire, invoquant les intenses opérations militaires en cours en Syrie et l’obligation qu’il aurait de faire son service militaire vu son jeune âge. Sa demande fût rejetée et il fût débouté en appel. 

Le requérant allègue la violation de plusieurs articles de la CEDH. 

  • La violation des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) en cas de renvoi en Syrie. Il soutient, du fait de la situation à l’heure actuelle comme en 2015, qu’il y serait exposé à un risque sérieux d’être blessé ou tué.
  • La violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné aux articles 2 et 3, soutenant avoir été privé d’un recours effectif.
  • La violation de l’article 5 (droit à la liberté), estimant que son maintien en détention était arbitraire dans la mesure où il ne pouvait pas être renvoyé en Syrie et où il n’avait disposé d’aucune voie de droit interne pour demander le contrôle de sa détention.
  • La violation des articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 13 dès lors que son expulsion porterait une atteinte disproportionnée à sa vie familiale.

En vertu de l’article 39 de son règlement, la Cour a indiqué une mesure provisoire, demandant à ce que le requérant ne soit pas expulsé pendant la durée de la procédure.

- Raisonnement de la Cour

Articles 2 et 3 (pts 55-63) – La Cour rappelle les principes généraux qu’elle a résumés dans l’arrêt L.M. et autres c. Russie[1] concernant la question de risques pour la vie et l’intégrité physique en cas d’éloignement vers la Syrie (pts 55-56). En l’espèce, après avoir pris connaissance de rapports récents pertinents (pt 47), elle observe que la situation sur le plan humanitaire et de la sécurité ainsi que la nature et l’ampleur des hostilités en Syrie se sont considérablement détériorées entre le moment où le requérant est arrivé en Russie (octobre 2011) et celui où la décision d’éloignement fut prise (février 2015) et ont continué de se dégrader par la suite (pt 60). Malgré l’accord de cessez-le-feu signé en février 2016, les différentes parties belligérantes recourent à des moyens et à des tactiques de guerre qui exposent les civils à des risques accrus. Les civils sont confrontés à un usage systématique de la force et sont visés par des offensives aveugles et des attaques.

La Cour estime que le Gouvernement n’a pas étayé sa thèse suivant laquelle la sécurité du requérant pouvait être assurée car il serait expulsé vers Damas ; qu’il n’a pas non plus démontré que la sécurité du requérant serait assurée pendant son trajet ni une fois de retour à Alep, sa ville d’origine, ou dans une autre région ; qu’il n’a produit aucun élément montrant que la situation à Damas était suffisamment pour sûre le requérant (qui soutenait qu’il serait mobilisé pour le service militaire actif) ou qu’il pourrait rejoindre un lieu sûr en Syrie depuis Damas.

La Cour conclut que l’expulsion du requérant emporterait violation des articles 2 et 3.

Article 13 combiné aux articles 2 et 3 (pts  69-99) – La Cour examine deux catégories de voies de recours s’agissant de l’expulsion administrative : la procédure relative aux infractions administratives et la procédure de demande d’asile temporaire. Elle estime que ni l’un ni l’autre n’ont offert au requérant un recours effectif face au risque pour sa vie et son intégrité physique que lui aurait fait courir une mise en œuvre de l’expulsion administrative qui avait été prononcée en vertu du code des infractions administratives.

Concernant la procédure relative aux infractions administratives, la Cour note que l’introduction d’un recours contre le jugement ordonnant l’expulsion administrative en suspend automatiquement l’exécution. Toutefois, le Gouvernement n’a pas démontré de manière convaincante, en s’appuyant sur des dispositions précises du droit interne et/ou sur la pratique judiciaire établie, que dans ce type de procédure les juridictions nationales pouvaient se livrer à l’examen requis des risques pour la vie ou l’intégrité de l’intéressé découlant d’une sanction d’expulsion. La Cour n’exclut pas que l’on puisse en théorie envisager la prise en compte de tels risques dans cette procédure. Cependant, elle n’est pas convaincue que les juridictions nationales puissent ne pas prononcer la sanction d’expulsion dès lors qu’il s’agit d’une peine obligatoire face à un étranger en séjour illégal.

Concernant la procédure de demande d’asile temporaire, la Cour est d’avis que cette forme de protection temporaire peut constituer une solution effective dans les situations comparables à celle du requérant (risques pour la vie ou l’intégrité de l’intéressé découlant d’hostilités intenses en cours dans le pays d’origine de l’intéressé). Dans le droit russe, l’octroi de l’asile temporaire empêche l’expulsion pendant un certain temps. Toutefois, elle n’est pas convaincue que la procédure de demande d’asile temporaire en cours (pendant la phase administrative et, le cas échéant, le contrôle juridictionnel), suspende de manière automatique une décision définitive d’expulsion prononcée en vertu du code des infractions administratives. À cet égard, la Cour rappelle que pour qu’une voie de recours soit effective au sens de l’article 13, le droit national doit prévoir clairement que ledit recours produira un effet suspensif sur la mesure ou la décision litigieuse. En outre, les autorités compétentes et les juridictions nationales n’ont pas procédé à un examen rigoureux du dossier du requérant. Elles ont considéré que la situation en Syrie ne justifiait pas l’attribution de l’asile temporaire et ont rejeté la demande en se référant notamment à des facteurs qui n’avaient aucun lien avec le risque éventuel pour la vie et l’intégrité physique du requérant.

Compte tenu de ces lacunes qui affectent tant le droit que la pratique interne et sa mise en œuvre dans le cas d’espèce, le requérant n’a pas bénéficié d’un recours effectif. La Cour conclut à la violation de l’article 13 combiné aux articles 2 et 3.

Articles 5 (pts 104-117) – D’une part, l’article 5, § 4, prescrit que lorsqu’une personne est détenue, elle puisse introduire un recours devant un tribunal afin qu’il détermine, à brefs délais, entre autres, s’il est apparu de nouveaux facteurs susceptibles d’entacher d’illégalité ou d’arbitraire le maintien en détention de l’intéressé. Toutefois, ni le code des infractions administratives ni aucune autre législation applicable ne prévoyait de procédure susceptible de permettre au requérant de faire contrôler sa détention et d’obtenir une remise en liberté. Il n’existait pas non plus de disposition imposant un contrôle automatique de sa détention à intervalles réguliers.

D’autre part, la détention en vue d’une expulsion n’est compatible avec l’article 5 § 1er, que si la procédure relative à l’expulsion est en cours et menée avec la diligence requise, et si la détention est légale et ne présente aucun caractère arbitraire. En l’espèce, les autorités russes auraient dû se rendre compte que le renvoi du requérant en Syrie ne pouvait pas être mis en œuvre et resterait peu probable étant donné l’aggravation du conflit. Il leur incombait d’envisager d’autres solutions pour le requérant. Après la décision du placement en détention, celle-ci n’a jamais été réappréciée (comme indiqué ci-dessus, il n’existait aucune procédure permettant un tel examen).

La Cour conclut à la violation de l’article 5, §§ 1er et 4.

Articles 8 et 13 (pts 118-119) – À la lumière des conclusions relatives aux articles 2 et 3, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief formulé par le requérant sur le terrain de l’article 8, ni celui qui y est lié et introduit sous l’angle de l’article 13

B. Éclairage

Les trois violations jugées par la juridiction strasbourgeoise s’inscrivent dans la parfaite lignée de la jurisprudence antérieure. Chacune pourrait donner lieu au rappel des principes généraux en la matière et des arrêts condamnant la Russie sous l’angle de l’article 5[2]. Nous limitons le commentaire de la décision de la Cour relative à la violation de l’article 13 en son volet « effet suspensif ». L’arrêt permet également de questionner l’impact d’une demande d’asile sur une procédure d’éloignement en cours.

-              L’article 13 et le droit à la vie et l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants

La Cour considère qu’il n’a pas été démontré de manière convaincante que les voies de recours disponibles en interne satisfaisaient pleinement aux exigences de l’effectivité pour ce type d’affaire, à savoir, d’une part, la conduite d’un examen indépendant et rigoureux des risques et la possibilité d’empêcher l’expulsion s’il était démontré que les craintes que les risques se concrétisent étaient justifiées et, d’autre part, un effet suspensif automatique.

Ce faisant, la Cour se prononce une fois de plus sur ce que signifie un recours effectif en matière d’asile et d’immigration au sens de l’article 13 de la CEDH et confirme sa jurisprudence désormais constante quant à l’exigence d’un effet suspensif en cas de risque de violation des articles 2 et 3.

Le caractère suspensif des recours est l’un des deux piliers de leur effectivité, l’autre étant la qualité du contrôle opéré[3]. La Cour souligne que l’article 3 combiné à l’article 13 implique « d’une part, un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs sérieux de croire à l’existence d’un risque réel de traitements contraires à l’article 3 et, d’autre part, la possibilité de faire surseoir à l’exécution de la mesure litigieuse »[4].

L’invitation faite aux états de prévoir des recours avec effet suspensif en matière d’asile apparaît dès 1994 dans les déclarations de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe[5]. Cette invitation trouve un écho dans la jurisprudence de la Cour à partir de l’arrêt Jabari c. Turquie. Elle juge qu’un recours effectif doit empêcher que ne se réalisent des conséquences irréversibles, ce qui ne peut être assuré que par un recours suspensif[6]. Cette exigence a été réitérée dans de nombreux arrêts ultérieurs[7].

La Cour a précisé ne pas se satisfaire de la pratique d’un état consistant à ne pas procéder à l’expulsion tant que le recours contre la décision d’expulsion est pendant[8]. Elle exige que l’effet suspensif soit garanti par la législation applicable. Autrement dit, la suspension de l’exécution de la mesure litigieuse doit découler automatiquement de l’invocation d’un grief défendable à son encontre. Il doit suffire que le requérant introduise son recours, dans lequel il invoque un grief défendable, pour que la décision soit suspendue. Comme la Cour le souligne dans l’arrêt M.S.S., « l’exigence résultant de l’article 13 de faire surseoir à l’exécution de la mesure litigieuse ne peut être envisagée de manière accessoire »[9]. Elle constitue au contraire une exigence inhérente à la notion de recours effectif, sans laquelle il ne peut être conclu au respect de l’article 13 de la CEDH[10].

En l’espèce, la Cour constate que les deux procédures auxquelles est soumis le requérant ne rencontrent pas l’exigence du caractère suspensif du recours (voy. supra).

Il convient de rappeler la transversalité du principe de non-refoulement prescrit par l’article 33 de la Convention de Genève[11] qui se lit en filigrane de toute décision de la Cour concluant à la violation des articles 2 et/ou 3 de la CEDH. Dans sa Note sur la protection internationale, le HCR indique ceci quant au principe de non-refoulement[12] :

« L’obligation des états de ne pas expulser, renvoyer ou refouler les réfugiés vers des territoires où leur vie ou leur liberté serait menacée est un principe de protection cardinal […] ne tolérant aucune réserve. À bien des égards, ce principe est le complément logique du droit de chercher asile reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce droit en est venu à être considéré comme une règle de droit international coutumier liant tous les états. En outre, le droit international des droits de l’homme a établi le non-refoulement comme un élément fondamental de l’interdiction absolue de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’obligation de ne pas refouler est également reconnue comme s’appliquant aux réfugiés indépendamment de leur reconnaissance officielle, ce qui inclut de toute évidence les demandeurs d’asile sont le statut n’a pas encore été déterminé. Elle couvre toute mesure attribuable à un état qui pourrait avoir pour effet de renvoyer un demandeur d’asile ou un réfugié vers les frontières d’un territoire où sa vie ou sa liberté serait menacée, et où il risquerait une persécution. Cela inclut le rejet aux frontières, l’interception et le refoulement indirect, qu’il s’agisse d’un individu en quête d’asile ou d’un afflux massif. »     

-              L’article 13 et le droit au respect de la vie privée et familiale

Si l’exigence d’un recours suspensif est claire lorsque l’article 13 est combiné à l’article 3 de la CEDH, elle reste discutée lorsqu’il est combiné à l’article 8[13]. En l’espèce, au vu des conclusions relatives aux articles 2 et 3, la Cour ne se prononce pas sous l’angle de l’article 8. L’occasion est toutefois saisie de rappeler la jurisprudence concernant l’expulsion de requérants invoquant un grief défendable tiré d’un risque de violation de l’article 8.

L’exigence d’un recours suspensif est conditionnée par l’existence de dommages irréversibles. La jurisprudence hésite à l’étendre aux droits relatifs, dont la protection est sujette à des restrictions légitimes, tels l’article 8[14]. La décision de principe est l’arrêt De Souza Ribeiro c. France. Cette affaire concernait l’éloignement d’un ressortissant brésilien résidant en Guyane française et l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de contester la mesure de reconduite à la frontière avant qu’elle ne soit exécutée. La Grande Chambre a conclu à la violation de l’article 13 combiné à l’article 8, sans pour autant poser le principe de l’exigence d’un recours suspensif. Elle souligne que « s’agissant d’éloignements d’étrangers, contestés sur la base d’une atteinte alléguée à la vie privée et familiale, l’effectivité ne requiert pas que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif »[15]. La Cour évite de condamner en des termes généraux la procédure en cause, qui ne revêt pas d’effet suspensif automatique et préfère adopter une approche plus casuistique en reprochant le laps de temps très court entre l’introduction du recours et l’expulsion du requérant, lequel a empêché le juge de se prononcer sur l’éventuelle suspension de la décision d’expulsion[16].

Selon Luc Leboeuf, dont nous partageons l’analyse, il ne semble pas pouvoir être déduit de l’arrêt que la Cour interprète différemment la substance du droit à un recours effectif lorsqu’il repose sur l’invocation d’un grief défendable tiré du droit au respect de la vie privée et familiale. La Cour ne consacre pas des critères différents de ceux développés dans les affaires relatives à l’article 13 combiné à l’article 3 de la CEDH. Luc LEBOEUF estime que la Cour ne fait que se montrer plus souple dans l’appréciation du respect de ces critères. Plus qu’une différence de fond, l’arrêt illustre à son sens une différence de mentalité jurisprudentielle[17].

-              Asile et éloignement

L’arrêt commenté, par extension, permet de revenir sur l’impact de l’introduction d’une demande d’asile lorsque le demandeur fait l’objet d’une procédure d’éloignement, qu’il soit détenu à cette fin ou non. Le droit de l’Union européenne répond à certaines questions à cet égard.

L’arrêt Arslan[18] de la Cour de justice de l’Union européenne fait le lien entre l’asile et le retour. Il en ressort que la directive retour n’est plus applicable à un étranger en séjour irrégulier détenu en vue de son éloignement à partir de son introduction d’une demande d’asile jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur cette demande ou, le cas échéant, jusqu’à l’issue du recours qui aurait été introduit contre ladite décision. Dans une telle hypothèse, l’étranger doit bénéficier de l’ensemble des garanties procédurales prescrites par la directive procédures pour les demandeurs d’asile, dont le droit à un recours effectif.

Le droit à un recours effectif est prescrit par l’article 46 de la directive procédures (§ 1er). Un tel recours comprend notamment un examen complet et ex nunc tant des faits que du droit (§ 3) et le droit pour l’intéressé de rester sur le territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice de son droit à un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l’attente de l’issue du recours (§ 5). Autrement dit, le caractère suspensif du recours est garanti. Des exceptions y sont toutefois prévues : il n’y a pas de droit automatique de se maintenir sur le territoire si la demande est réputée infondée ou irrecevable (§ 6). Dans ces cas, la règle suivante s’applique si les états membres ont prévu un recours non-suspensif dans leur droit national : « une juridiction est compétente pour décider si le demandeur peut rester sur le territoire de l’état membre, soit à la demande du demandeur ou de sa propre initiative, si cette décision a pour conséquence de mettre un terme au droit du demandeur de rester dans l’état membre […] ».

La Cour a précisé le caractère suspensif des recours dans l’arrêt Abdida[19]. Dans cette affaire, le requérant se trouvait en dehors du champ d’application des directives procédures et accueil, étant demandeur de régularisation médicale qui, selon la Cour, ne relevait pas du champ d’application de l’acquis européen de l’asile. La Cour y a cependant conclu que les dispositions de la directive retour, lues en combinaison avec les articles 19, § 2 (principe de non refoulement) et 47 (recours effectif) de la Charte des droits fondamentaux s’opposent à une procédure nationale qui instaure un recours non-suspensif (et ne prévoit pas la prise en charge, dans la mesure du possible, des besoins de base des requérants pendant l’examen de ce recours). Le respect des exigences de la Charte est donc assuré par un recours revêtant nécessairement un effet suspensif lorsqu’il est exercé contre une décision de retour dont l’exécution est susceptible d’exposer le ressortissant en cause de pays tiers à un risque sérieux d’être soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. La Cour a rappelé ce principe dans l’arrêt Tall[20], concernant les demandes d’asile ultérieures. Elle rejoint ainsi la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière combine le recours effectif, et l’exigence du caractère suspensif, avec les articles 2 et 3 de la CEDH (et indirectement à l’article 33 de la Convention de Genève) alors que la Cour de justice le combine avec les articles 2, 4 et 19 de la Charte.

Le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’homme est renforcé et précisé par celui de la Cour de justice. Si un étranger introduit une demande d’asile, pendant qu’une procédure d’éloignement est en cours à son égard, et qu’il allègue un risque d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants (préjudice irréparable, irréversible), le recours auquel il a droit en cas de décision négative doit être suspensif. Ce principe est assorti, en droit de l’Union européenne, d’une exception lorsque la demande d’asile est abusive ou infondée (justifiée par la légitimité des états membres de « lutter » contre les recours dilatoires). Dans ce cas, la charge de la preuve du caractère abusif ou infondé incombe à l’administration. Cette obligation est essentielle pour garantir l’exigence du caractère suspensif du recours, qui doit tendre à devenir la règle générale[21].

H.G.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : Cour eur. D.H., 14 février 2017, S.K. v. Russie, req. n° 52722/15.

Pour citer cette note : H. Gribomont, « Recours internes et détention en Russie : des lacunes (à nouveau) condamnées à Strasbourg », Newsletter EDEM, mai 2017.

 

[3] J.-Y. CARLIER et S. SAROLEA, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 122.

[5] Art. 8, ii), d), de la recommandation n° 1236(1994) du 12 avril 1994 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative au droit d’asile ; art. 8, vii), f), de la recommandation n° 1327(1997) du 24 avril 1997 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative à la protection et au renforcement des droits de l'homme des réfugiés et des demandeurs d'asile en Europe.

[6] J.-Y. CARLIER et S. SAROLEA, op. cit., p. 602.

[9] Cour eur. D.H., M.S.S. c. Belgique et Grèce, op. cit., pt 388.

[10] L. Leboeuf, Le droit européen de l’asile au défi de la confiance mutuelle, Limal, Anthémis, 2016, pp. 404-407.

[11] Le principe du non-refoulement est aussi prescrit par l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[13] J.-Y. CARLIER et S. SAROLEA, op. cit., p. 602.

[14] Ibid., p. 123.

[16] L. Leboeuf, Le droit européen de l’asile au défit de la confiance mutuelle, Limal, Anthémis, 2016, p. 406.

[17] Ibid., p. 407.

[21] Pour les exceptions au recours suspensif en droit belge, voy. : J.-Y. CARLIER et S. SAROLEA, op. cit., pp. 696-700.

Photo par Nicoleon — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=39410945

Publié le 31 mai 2017