C.J.U.E., 1er mars 2016, Alo et al., aff. C-443/14 et C-444/14, EU:C:2016:127

Louvain-La-Neuve

La Cour de justice soumet le plan de répartition des bénéficiaires d’une protection subsidiaire en Allemagne au respect du principe d’égalité.

Par l’arrêt Alo, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur le plan de répartition des protégés subsidiaires établi par l’Allemagne. Elle juge que l’obligation de résider dans le Land déterminé par le plan de répartition ne constitue, en soi, ni une ingérence disproportionnée à la liberté de circulation, ni un obstacle disproportionné à l’accès aux prestations sociales. Elle souligne, toutefois, que pareil plan de répartition doit respecter le principe d’égalité de traitement entre les protégés subsidiaires et les ressortissants de pays tiers autorisés au séjour à un autre titre, ce qu’il revient aux juridictions allemandes d’apprécier.

Convention de Genève – Directive 2011/95/UE dite « qualification » – Statut de réfugié – Statut de protégé subsidiaire – Plan national de répartition – Liberté de circulation – Prestations sociales – Principe d’égalité.

A. Arrêt

Une juridiction allemande interroge la Cour de justice sur le plan de répartition des bénéficiaires de la protection subsidiaire en Allemagne. Elle souhaite savoir, en substance, si l’obligation de résidence qui leur est imposée contrevient aux dispositions de la directive qualification garantissant la liberté de circulation, d’une part, et l’accès aux prestations sociales, d’autre part[1].

La Cour de justice s’intéresse, d’abord, au droit à la liberté de circulation. Elle commence par en préciser la portée : ce droit comprend-il celui de choisir librement le lieu de sa résidence ? La Cour apporte une réponse positive, en interprétant la directive qualification conformément à la Convention de Genève[2]. Cette dernière prévoit expressément, en son article 26, que « tout Etat contractant accordera aux réfugiés se trouvant régulièrement sur son territoire le droit d’y choisir leur lieu de résidence et d’y circuler librement »[3]. La Cour précise que cette interprétation conforme bénéficie non seulement aux réfugiés, mais également aux protégés subsidiaires, en raison du choix du législateur européen de consacrer un statut uniforme, conférant les mêmes droits aux réfugiés et aux protégés subsidiaires « sauf dérogations nécessaires et objectivement justifiées »[4]

Il en résulte que l’obligation de résidence imposée aux protégés subsidiaires en Allemagne constitue une restriction à leur liberté de circulation. Pareille restriction ne peut, à suivre le texte de la directive qualification et de la Convention de Genève, être imposée à un bénéficiaire de la protection internationale que si elle concerne tous les ressortissants de pays tiers[5]. La Cour en déduit qu’une obligation de résidence qui concerne exclusivement les protégés subsidiaires ne respecte, en principe, pas le prescrit du droit de l’Union.

La Cour de justice aborde, ensuite, le droit de bénéficier de prestations sociales. Elle constate qu’à suivre le texte de la directive qualification et de la Convention de Genève, l’accès aux prestations sociales ne peut être soumis à des restrictions différentes de celles imposées aux nationaux[6]. Conditionner pareilles prestations au respect d’une obligation de résidence, en ce qui concerne les seuls protégés subsidiaires, ne respecte, en principe, pas le prescrit du droit de l’Union européenne.

Il en va toutefois différemment, selon la Cour, si les protégés subsidiaires ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des réfugiés, ressortissants de pays tiers et ressortissants nationaux. En pareil cas, une différence de traitement pourrait être admise.

Dans ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi envisageait deux justifications à l’imposition d’une obligation de résidence aux seuls protégés subsidiaires. La première serait de répartir la charge de fournir une assistance sociale entre les différentes institutions compétentes sur le territoire national. La seconde serait de faciliter l’intégration, en évitant l’apparition de foyers de tensions sociales et permettant un suivi approprié des protégés subsidiaires.

La Cour de justice écarte la première justification, liée à l’objectif de répartir la charge d’octroyer les prestations sociales. Elle ne conteste pas sa légitimité, mais constate qu’elle n’implique pas que les protégés subsidiaires ne seraient pas dans une situation comparable aux autres bénéficiaires des prestations sociales : « Le déplacement de personnes bénéficiant desdites prestations ou leur concentration inégale sur le territoire de l’État membre concerné est susceptible d’impliquer une répartition inappropriée de cette charge entre les différentes institutions compétentes en la matière, sans que la qualité éventuelle de bénéficiaire du statut conféré par la protection subsidiaire de ces personnes présente une pertinence particulière à cet égard »[7].

La Cour de justice se montre, toutefois, prête à admettre la seconde justification, liée à l’objectif de faciliter l’intégration. Les ressortissants de pays tiers et les ressortissants allemands ne se trouvent pas dans une situation comparable au regard de cet objectif, qui justifie en conséquence une différence de traitement[8]. Il se pourrait également, selon la Cour, que les protégés subsidiaires se trouvent dans une situation différente de celle des ressortissants de pays tiers qui séjournent régulièrement en Allemagne à un autre titre, eu égard à cet objectif de faciliter l’intégration. En pareil cas, une différence de traitement pourrait également se justifier, ce qu’il revient aux juridictions allemandes de vérifier[9].

B. Éclairage

Bien que l’arrêt ici commenté concerne au premier chef l’Allemagne, ses enseignements intéressent l’ensemble des Etats membres, à plus d’un titre. Premièrement, la Cour de justice use de la Convention de Genève pour préciser les droits conférés par la directive qualification, quand bien même il s’agit de protégés subsidiaires et non de réfugiés. Elle participe, ce faisant, à l’émergence du statut de protection uniforme souhaité par le législateur européen. Deuxièmement, la Cour de justice précise les contours du principe d’égalité entre les protégés subsidiaires, les réfugiés, les ressortissants de pays tiers en séjour régulier et les nationaux, imposé par la Convention de Genève et la directive qualification. Elle donne, ce faisant, des précieuses indications quant au contenu des droits dont bénéficient les réfugiés et les protégés subsidiaires. L’arrêt Alo ne répond, cependant, pas à l’ensemble des questions que les plans de répartition des réfugiés et/ou protégés subsidiaires sont susceptibles de poser au regard des droits fondamentaux.

(a) Vers un statut de protection uniforme. La directive qualification consacre deux statuts de protection internationale : le statut de réfugié et celui de protégé subsidiaire. Le statut de réfugié correspond à celui consacré par la Convention de Genève. Le statut de protégé subsidiaire complète le statut de réfugié, en protégeant contre le risque d’atteintes graves aux droits fondamentaux qui ne sont pas liées à l’un des motifs de persécution exigé par la Convention de Genève (race, religion, nationalité, appartenance à un certain groupe social et opinions politiques). Il s’inspire de la protection de l’article 3 C.E.DH., sans y correspondre parfaitement[10].

La refonte de la directive qualification a présenté l’occasion pour le législateur européen de réaffirmer sa volonté de fusionner ces deux statuts, telle qu’elle avait été exprimée par le Programme de Stockholm[11]. La refonte entend, notamment, procéder à un alignement de principe des droits du protégé subsidiaire sur ceux des réfugiés.

L’arrêt annoté s’inscrit dans le prolongement de cette volonté du législateur. La Cour se réfère à la Convention de Genève pour interpréter les droits dont bénéficie le protégé subsidiaire. Elle confirme le rôle proéminent de la Convention de Genève au sein du système européen commun d’asile, en étendant, par le truchement du droit de l’Union, son champ d’application aux protégés subsidiaires. Comme l’a noté l’Avocat général dans ses conclusions, il s’agit là d’une inflexion de la position jurisprudentielle antérieure de la Cour, qui constatait dans l’arrêt N. que « le statut de réfugié offre une protection plus étendue que celui conféré par la protection subsidiaire »[12].

(b) Les précisions quant au principe d’égalité. De nombreux droits consacrés par la Convention de Genève au bénéfice des réfugiés sont relatifs. Leur contenu n’est pas strictement défini par la Convention, qui renvoie au traitement dont bénéficient soit les ressortissants de pays tiers qui séjournent régulièrement à un autre titre, soit les nationaux. Ainsi, en ce qui concerne la liberté de circulation des réfugiés, la Convention de Genève précise qu’elle peut subir les mêmes restrictions que celles imposées aux ressortissants de pays tiers en séjour régulier[13]. De même, en ce qui concerne l’accès aux prestations sociales par les réfugiés, la Convention de Genève énonce qu’il peut être soumis aux mêmes conditions que celles imposés aux nationaux[14].

Par l’arrêt annoté, la Cour de justice précise les contours de ce principe d’égalité. Elle lui apporte une relative souplesse, en appelant à un examen au regard de l’objectif poursuivi par la différence de traitement. S’il s’avère qu’une différence de traitement repose sur un objectif au regard duquel les réfugiés et/ou protégés subsidiaires se trouvent dans une situation différente de celle des ressortissants de pays tiers admis au séjour à un autre titre ou de celle des nationaux, pareille différence de traitement respecte le droit de l’Union.

Le test mis en place par la Cour de justice nous paraît, toutefois, relativement faible. La Cour se concentre sur la comparabilité des situations, sans opérer d’examen de proportionnalité approfondi, comme cela est habituellement le cas devant les juridictions internationales et nationales appelées à vérifier le respect du principe d’égalité. En l’espèce, il nous semble regrettable que le raisonnement de la Cour de justice ne prenne pas en considération les autres droits éventuellement concernés par le plan de répartition, comme celui à la vie familiale. Dans l’arrêt, Agraw c. Suisse, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné le plan de répartition des demandeurs d’asile entre les cantons suisses, en ce qu’il a eu pour effet de séparer la requérante de son époux[15]. Bien que l’arrêt Agraw concerne des demandeurs d’asile, ses conclusions nous semblent d’autant plus transposables aux protégés subsidiaires que ceux-ci bénéficient d’un droit de séjour. Leur statut juridique est, par conséquent, davantage appelé à durer que celui de demandeur d’asile.

L.L.

C. Pour en savoir plus

Pour lire l’arrêt :

C.J.U.E., 1er mars 2016, Alo et al., aff. C-443/14 et C-444/14, EU:C:2016:127

Pour lire les conclusions de l’Avocat général :

Conclusions de l’Avocat général Pedro Cruz Villalon, présentées le 6 octobre 2015 dans Alo et al., aff. C-443/14 à C-444/14, EU:C:2015:665

Pour citer cette note : L. Leboeuf, « La Cour de justice soumet le plan de répartition des bénéficiaires d’une protection subsidiaire en Allemagne au respect du principe d’égalité », Newsletter EDEM, mai 2016.


[1] Art. 29 et 33 de la directive 2011/95/UE dite « qualification ».

[2] C.J.U.E., 1er mars 2016, Alo et al., aff. C-443/14 et C-444/14, EU:C:2016:127, §35.

[3] Notre emphase.

[4] Ibidem, §32.

[5] Ibidem, §43.

[6] Ibidem, §50.

[7] Ibidem, §55 (notre emphase).

[8] Ibidem, §59.

[9] Ibidem, §62.

[10] Un ressortissant de pays tiers peut être exclu de la protection subsidiaire (art. 17 de la directive qualification) et ne peut pas bénéficier de la protection subsidiaire quand bien même il est gravement malade (C.J.U.E., 18 décembre 2014, M’Bodj, aff. C-542/13, EU:C:2014:2452).

[11] Cons. 9 et 39 de la directive qualification ; Le programme de Stockholm. Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens, J.O., n° C 115, 4 mai 2010, p. 11.

[12] Conclusions de l’Avocat général Pedro Cruz Villalon, présentées le 6 octobre 2015 dans Alo et al., aff. C-443/14 à C-444/14, EU:C:2015:665, §89.

[13] Art. 26 de la Convention de Genève.

[14] Art. 23 de la Convention de Genève.

Publié le 09 juin 2017