Cass. (2e ch.), arrêt no P.12.0291.F, 21 mars 2012

Louvain-La-Neuve

Le contrôle de légalité de la détention couvre la conformité de l’éloignement à la C.E.D.H.

S'il existe des raisons sérieuses de craindre qu'après son éloignement ou en raison de celui-ci, l'étranger risque de se voir privé du droit au respect de la vie privée et familiale, cela relève du contrôle de légalité, et non d'opportunité, de la mesure administrative de détention d’un étranger en vue de son éloignement.

Détention en vue de l’éloignement (art. 7) – risque de violation de l’art. 8 CEDH en cas de retour – contrôle de légalité de la ch. mises en acc. (art. 72) – cassation

A. Arrêt

Dans le cadre du contrôle de la détention d’un étranger en vue de son éloignement par la Chambre des mises en accusation, il a été reproché à l’administration de mettre fin au séjour du demandeur sans respecter ses droits garantis par l’article 8 CEDH. La Chambre des mises en accusation a considéré que cela relevait de l’opportunité, et non de la légalité de la mesure de détention, et qu’elle n’était donc pas compétente. La Cour de cassation a cassé cet arrêt, considérant que :

« L'éloignement d'un étranger et la mesure privative de liberté prise à cette fin peuvent aboutir à une situation tombant sous l'application de l'article 8.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'il existe des raisons sérieuses de craindre qu'après son éloignement ou en raison de celui-ci, l'étranger risque de se voir privé du droit au respect de la vie privée et familiale. L'affirmation par l'étranger qu'un tel risque existe ressortit au contrôle de légalité, et non d'opportunité, de la mesure administrative. »[1]

Trois mois plus tôt, la Cour de cassation avait pris une décision similaire sur pied de l’article 3 CEDH :

« L’éloignement d’un étranger et la mesure privative de liberté prise à cette fin peuvent aboutir à une situation tombant sous l’application de l'article 3 de la Convention s’il existe des raisons sérieuses de craindre qu’après son éloignement ou en raison de celui-ci, l’étranger risque de subir soit la torture soit des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Il s’ensuit que, lorsqu'un étranger invoque un tel risque, la juridiction d’instruction doit en apprécier l’existence au titre d’un contrôle de légalité et non d’opportunité. »[2]

B. Eclairage

Cet arrêt confirme un tournant important : au titre de leur contrôle de légalité de la détention, les juridictions d’instruction sont également amenées à contrôler la conformité de l’éloignement aux droits fondamentaux. Ce glissement du contrôle de la détention vers celui de l’éloignement mérite d’être souligné. Sa raison d’être tient sans doute au fait que la détention n’est légale que pour autant qu’elle soit réalisée en vue de l’éloignement. Or si ce dernier est illégal, il devrait en aller de même de la détention, conformément au principe accessorium sequitur principale. Cette approche est conforme à l’article 72 de la loi du 15 décembre 1980 qui dispose que la Chambre du Conseil « vérifie si les mesures privatives de liberté et d'éloignement du territoire[3] sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité »[4].

Face à un constat de contrariété de l’éloignement aux droits fondamentaux, les Chambres d’instruction peuvent seulement déclarer la détention illégale et y mettre fin[5]. L’éloignement lui-même ne relève pas de leur compétence, mais bien de celles de l’Office des étrangers et du C.C.E.[6]. Au vu de cela, il n’est pas exclu de voir la Chambre des mises en accusation mettre fin à une détention, car l’éloignement en vue duquel celle-ci est réalisée est contraire aux droits fondamentaux, tandis que l’Office des étrangers, ne partageant pas ce point de vue, maintiendrait l’O.Q.T. Si une telle situation peut apparaitre confuse sur le plan des principes, elle a l’avantage d’offrir au requérant, lors de sa détention en vue de son éloignement, un second contrôle de conformité dudit éloignement à ses droits fondamentaux.

P.dH.

C. pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Cass. (2e ch.), arrêt n° P.12.0291.F, 21 mars 2012.

  • En jurisprudence

Cass. (2e ch.), arrêt n° P.11.2130.F, 18 janvier 2012.

  • En doctrine

D. Andrien, « Du contrôle de la rétention administrative des étrangers », note sous Cass. (2e ch.), 18 janvier2012, J.L.M.B., 2012, pp. 929 à 930.

Pour citer cette note : P. d’HUART, « Cass. (2e ch.), arrêt no P.12.0291.F, 21 mars 2012 », Newsletter EDEM, janvier 2013.


[1] Cass. (2e ch.), arrêt no P.12.0291.F, 21 mars 2012.

[2] Cass. (2e ch.), arrêt no P.11.2130.F, 18 janv. 2012.

[3] Nous soulignons.

[4] Art. 72 de la loi du 15 décembre 1980.

[5] En vertu des articles 71 et 73 de la loi du 15 décembre 1980, le recours ne concerne que la mesure privative de liberté.

[6] Art. 39/2 et 39/82 de la loi du 15 décembre 1980.

Publié le 21 juin 2017