Conditions de détention des mineurs : le mauvais exemple de la Bulgarie.
La Cour européenne des droits de l’homme considère que les conditions matérielles de la détention de trois enfants mineurs dans un centre de rétention de courte durée pour immigrés en Bulgarie les ont soumis à des traitements inhumains et dégradants. Elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention et ce, malgré une période de détention considérée comme « courte ».
Article 3 CEDH – Détention – Mineurs accompagnés – Bulgarie – Courte période – Conditions matérielles déplorables et inadaptées – Violation.
A. Arrêt
Les requérants sont cinq ressortissants irakiens : un couple et leurs trois enfants. En août 2015, après avoir fui l’Irak, ils tentent de passer par la Bulgarie pour gagner l’Europe de l’Ouest et y introduire une demande de protection internationale. Le 17 août, ils sont interceptés près de la frontière entre la Bulgarie et la Serbie et arrêtés pour être entrés illégalement dans le pays. Ils sont conduits dans un « centre de rétention de courte durée pour immigrés », à Vidin, avant leur transfert, le 19 août, dans un centre de rétention plus grand situé à Sofia. Le 31 août, ils s’installent dans un centre ouvert pour demandeurs d’asile. Ils quittent ensuite la Bulgarie pour la Suisse où ils sont reconnus réfugiés en juin 2017.
La requête devant la Cour européenne des droits de l’homme porte sur les conditions dans lesquelles les trois enfants mineurs – âgés de 16 ans, 11 ans et 1 an et demi – ont été détenus au centre de rétention de Vidin. Les parents, au nom de leurs enfants, arguent la violation de l’article 3 de la Convention. Selon eux, pendant leur période de détention, soit 41 heures, leurs enfants ont été exposés à la torture et à des traitements inhumains et dégradants. À l’appui de leur requête, ils soumettent une vidéo, tournée avec le téléphone mobile qu’ils avaient réussi à dissimuler lors de leur perquisition, qui montre la cellule dans laquelle ils ont été placés, avec trois autres personnes. D’environ quatre mètres sur quatre, elle semble extrêmement délabrée et contient des lits superposés, des matelas et des draps sales et usés. Le sol est couvert de détritus et de carton humide (par. 15). Ils allèguent également que, faute de toilettes dans la cellule et, n’étant pas autorisés à y aller à l’extérieur, ils étaient contraints d’uriner par terre (par. 20). Ils soutiennent enfin qu’ils n’ont reçu ni à manger ni à boire pendant 24 heures et que le biberon et le lait du plus jeune enfant avaient été confisqués à l’arrivée et rendu à la mère seulement 19 heures plus tard (par. 20, 23 et 26).
Le gouvernement fait d’une part valoir que la vidéo présentée par les requérants n’est pas une preuve recevable par la juridiction européenne, pas plus que dans les procédures nationales (par. 70). Il avance qu’il est impossible d’en établir la date et l’heure exactes et que la qualité est très mauvaise. Il ajoute que les séquences vidéo peuvent être facilement manipulées et que rien n’indique que les locaux filmés étaient ceux du centre de Vidin, ni même que la vidéo avait été filmée en Bulgarie. D’autre part, le gouvernement soutient que ni les conditions dans le centre de rétention ni la manière dont nourriture et boissons ont été fournies aux requérants n’ont enfreint l’article 3 de la Convention (par. 76). Il se justifie en invoquant la présence des parents avec leurs enfants dans la cellule et le temps limité qu’ils ont y passé.
La Cour se prononce d’abord sur l’usage d’une vidéo comme preuve (par. 72 à 76). Elle rappelle que selon sa jurisprudence constante, elle est libre d’apprécier la recevabilité et la pertinence ainsi que la valeur probante de chaque élément de preuve dont elle dispose (Irlande c. Royaume-Uni, 1978, par. 210 ; Janowiec et autres c. Russie, 2013, par. 208). Elle n’est pas liée par des obstacles procéduraux à la recevabilité d’éléments de preuve ni par des formules prédéfinies applicables à leur appréciation et adopte les conclusions qui, à son avis, se trouvent étayées par une évaluation indépendante de l’ensemble de preuves, y compris les déductions qu’elle peut tirer des faits et des observations des parties (Nachova et autres c. Bulgarie, 2005, par. 147 ; Rahimi c. Grèce, 2011, par. 64). Ces points reflètent le principe du droit international selon lequel les juridictions internationales ne sont pas liées par des règles de preuve interne (Al Nashiri c. Pologne, 2014, par. 21 ; Husayn (Abu Zubaydah) c. Pologne, 2014, par. 21).
Quant à la recevabilité de la vidéo, la Cour indique qu’elle s’est déjà appuyée sur des éléments de preuve vidéo dans d’autres contextes (Scozzari et Giunta c. Italie, 2000, par. 10, 91 et 176 ; Giuliani et Gaggio c. Italie, 2011, par. 9, 139 et 185 ; Sargsyan c. Azerbaïdjan, 2015, par. 11, 56, 61, 70 et 133) et spécifiquement en vue d’établir les conditions de détention (Davydov et autres c. Ukraine, 2010, par. 172 et 175 ; Tehrani et autres c. Turquie, 2010, par. 89 ; Mahmundi et autres c. Grèce, 2012, par. 60 et 64 ; Alimov c. Turquie, 2016, par. 76 ; Erkenov c. Turquie, 2016, par. 38). Elle considère par conséquent que la vidéo des requérants est recevable (par. 73).
S’agissant de la fiabilité de ces preuves, la Cour note d’une part que la date des deux fichiers soumis par les requérants est proche de leur période de détention et d’autre part que les images sont suffisamment claires et que rien n’indique qu’elles aient été manipulées. De plus, si aucun élément dans la vidéo – tel qu’un texte écrit en cyrillique ou en bulgare – ne révèle clairement qu’elle a été enregistrée dans le centre de Vidin, rien ne suggère le contraire. La Cour ajoute que, selon sa jurisprudence, lorsque les requérants établissent par des témoignages crédibles ou des preuves que les conditions de leur détention ont été inhumaines et dégradantes, il appartient au gouvernement de fournir des explications ou des éléments de preuves susceptibles de remettre en cause les allégations des requérants. En l’espèce, elle constate que le gouvernement est resté en défaut de fournir des tels éléments de preuve ou explications (par. 74). Elle prend donc en considération la vidéo (par. 75).
La Cour statue ensuite sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention. Dans un premier temps, elle fait état des principes et de la jurisprudence constante sur les conditions de détention, en particulier des mineurs (par. 78 à 83). Elle renvoie au résumé qu’elle en a récemment fait dans l’arrêt Khlaifia et autres c. Italie (2014)[1]. Elle souligne que la rétention des mineurs, qu’ils soient accompagnés ou non, soulève des problèmes particuliers car ils sont extrêmement vulnérables et ont des besoins spécifiques (Popov c. France, 2012, par. 91). À cet égard, l’article 22, § 1er, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant incite les états à prendre les mesures appropriées pour qu’un enfant, seul ou accompagné, qui cherche à obtenir le statut de réfugié, bénéficie de la protection et de l’assistance humanitaire.
La Cour fait état des arrêts dans lesquels elle a examiné les conditions dans lesquelles des mineurs accompagnés avaient été placés en rétention.
- Dans l’arrêt Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique (2010), les requérants avaient respectivement 7 mois, 3 ans et demi et 7 ans et ont été détenus pendant un mois. Soulignant leur âge, la durée de leur détention, le fait que le centre de rétention n’était pas adapté aux mineurs et la preuve médicale que leur détention avait provoqué chez eux de graves troubles psychologiques, la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 3.
- Dans l’arrêt Kanagaratnam c. Belgique (2011), les requérants étaient âgés de 13, 11 et 8 ans et ont été détenus environs quatre mois. La Cour a noté que les enfants étaient plus âgés que ceux de l’affaire Muskhadzhiyeva et qu’il n’y avait aucun certificat médical attestant de troubles psychologiques ayant affecté les enfants durant leur détention. Toutefois, elle a considéré que ces deux éléments n’étaient pas pertinents parce que (1) le centre de rétention n’était pas adapté aux mineurs, (2) les requérant étaient particulièrement vulnérables car avant leur arrivée en Belgique, ils avaient été séparés de leur père, (3) leur mère, bien qu’avec eux dans le centre, avait été incapable de prendre soin d’eux et (4) leur détention avait été beaucoup plus longue que dans l’affaire Muskhadzhiyeva. Selon la Cour, la situation de détention ainsi vécue par les requérants a atteint le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention et a emporté la violation de cet article.
- Dans l’arrêt Popov c. France (2012), les requérants étaient deux enfants âgés de 5 mois et 3 ans, ayant été détenus pendant 15 jours. Bien que le centre de détention ait été conçu pour recevoir des familles, les infrastructures disponibles dans la zone « famille » n’étaient pas adaptées à la présence d’enfants. La Cour a considéré qu’il y avait eu violation de l’article 3, les requérants ayant souffert de stress et d’anxiété et peu importe que la période de détention ait été relativement courte.
- Dans les arrêts R.M. et autres c. France (2016), A.B. et autres c. France (2016), A.M. et autres c. France (2016), R.K. et autres c. France (2016) et R.C. et V.C. c. France (2016), les requérants avaient entre 4 mois et 4 ans et avaient été détenus pendant des périodes allant de 7 à 18 jours. La Cour a relevé que, contrairement au centre de détention en cause dans l’arrêt Popov, les conditions matérielles dans les deux centres de détention concernés dans les cinq affaires n’avaient pas été problématiques. Néanmoins, l’une des installations était située juste à côté des pistes d’un aéroport, ce qui avait donc exposé les requérants à un niveau de bruit particulièrement élevé. Dans l’autre établissement, la cour intérieure était séparée de la zone pour les détenus de sexe masculin uniquement par un filet et le niveau de bruit était également élevé. Cela avait considérablement affecté les enfants. La Cour a considéré que, sur une courte période, ces facteurs n’auraient pas été suffisants pour atteindre le seuil de gravité de l’article 3 de la Convention. Les délais en l’espèce ayant été, aux yeux de la Cour, assez longs dans les cinq affaires, elle a conclu à la violation de l’article 3.
Dans un second temps, la Cour applique les principes et la jurisprudence mentionnés au cas d’espèce. Que la période de détention soit de 32 heures (d’après le gouvernement) ou de 41 heures (selon les requérants) la Cour indique que cette période est considérablement plus courte que dans les affaires susmentionnées (par. 84). Cependant, elle estime que les conditions dans le centre, décrites par les requérants et révélées par la vidéo, sans être contredites par le gouvernement, sont largement pires (par. 84 à 88).
- Premièrement, la cellule, quoique relativement bien ventilée et éclairée, était très délabrée, avec la peinture qui s’écaillait des murs et du plafond, des lits superposés sales, des matelas et des draps usés et des ordures et du carton humide sur le sol. Selon la Cour, ce sont loin d’être des conditions convenables pour des enfants de 16 ans, 11 ans et surtout 1 an et demi, même pour une très courte période de temps.
- Deuxièmement, l’accès aux toilettes était limité et les requérants ont été obligés d’uriner par terre. Le gouvernement n’ayant pas contesté cet argument ni présenté d’élément de preuve pour le réfuter, la Cour le considère comme prouvé. Elle rappelle qu’en ce qui concerne les prisons et les centres de détention provisoire, le fait de soumettre un détenu à l’humiliation d’avoir à se soulager dans un seau en présence d’autres détenus ne reçoit aucune justification, sauf dans l’hypothèse où l’utilisation des installations sanitaires exposerait l’intéressé à un risque concret et sérieux quant à sa sécurité (Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, 2014, par. 211).
- Troisièmement, ni nourriture ni boissons n’ont été fournies aux requérants avant 24 heures à compter de leur placement en détention (sur l’alimentation adéquate des personnes en détention : Kadiķis c. Lettonie (n° 2), 2006, par. 55 ; Stepuleac c. Moldavie, 2007, par. 55 ; Korneykova et Korneykov c. Ukraine, 2016, par. 141). Le gouvernement ayant seulement déclaré que les quantités de nourriture correspondant aux rations journalières prescrites leur avaient été fournies, sans se prononcer sur le retard, la Cour considère que les allégations des requérants doivent être considérées comme prouvées. Il en va de même de l’allégation selon laquelle la mère aurait seulement eu accès au biberon du plus jeune requérant et au lit environ 19 heures après leur arrestation.
La Cour considère que la combinaison de ces trois éléments a considérablement affecté les requérants, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique, et a eu des effets particulièrement néfastes sur le plus jeune requérant (par. 89). Partant, en maintenant les requérants dans de telles conditions, même pour une courte période de temps, les autorités bulgares les ont soumis à des traitements inhumains et dégradants (par. 90). L’ « afflux massif » de migrants aux frontières extérieures de l’Union européenne des dernières années (M.S.S. c. Belgique et Grèce, 2011, par. 223) ne concernant pas, à l’époque des faits, la Bulgarie, la Cour estime que les autorités n’étaient pas confrontées à une situation d’urgence telle qu’il était pratiquement impossible d’assurer des conditions décemment minimales dans les installations de détention à court terme (par. 91). La Cour précise qu’en tout état de cause, compte tenu du caractère absolu de l’article 3 de la Convention, un afflux croissant de migrants ne saurait dispenser un Haut État contractant des obligations qui lui incombent en vertu de cette disposition (par. 92).
Cela étant, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention à l’égard des trois requérants (par. 93).
B. Éclairage
Par l’arrêt commenté, la Cour européenne des droits de l’homme ajoute une pierre à l’édifice jurisprudentiel des conditions de détention des mineurs étrangers, accompagnés ou non. L’arrêt s’inscrit ainsi précisément dans la jurisprudence constante sur la question, qui semble être le seul contentieux indérogeable en matière d’asile.
Si, en l’espèce, la Cour condamne la Bulgarie, elle pourrait dans quelques années condamner (à nouveau) la Belgique. En effet, alors qu’à la suite des précédentes condamnations, la Belgique avait cessé la pratique de la détention des mineurs et des familles avec enfants, en octobre 2016, le gouvernement, à l’initiative du Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, a manifesté son intention de construire un nouveau centre fermé spécialement prévu pour les familles avec enfants.
- Les condamnations passées
Par trois fois, la Belgique a été condamnée pour avoir détenu des mineurs dans des conditions qui les ont soumis à des traitements inhumains et dégradants. Deux affaires sont mentionnées par la Cour dans l’arrêt commenté : l’arrêt Muskhadzhiyeva (2010) dans lequel la Cour a estimé que le placement en rétention de quatre enfants tchétchènes accompagnés, dans l’attente d’un transfert Dublin, dans un centre – le 127 bis – qui n’était pas adéquatement équipé pour répondre aux besoins particuliers des enfants emportait la violation de l’article 3 de la Convention ; et l’arrêt Kanagaratnam (2011) dans lequel elle a statué de la même manière concernant trois enfants sri-lankais d’origine tamoule accompagnés, détenus dans le même centre, dans l’attente du traitement de leur demande d’asile. La troisième affaire, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique (2006), portait sur la détention pendant près de deux mois au centre 127 d’une ressortissante congolaise âgée de 5 ans, non accompagnée, censée rejoindre sa mère, qui avait obtenu le statut de réfugié au Canada, et sur son refoulement ultérieur vers la République Démocratique du Congo.
Suite à ces condamnations, les autorités ont pris la décision de mettre fin à cette pratique de détention des mineurs. La loi du 15 décembre 1980 prévoit le cadre suivant.
- Les mineurs étrangers non accompagnés (MENA) ne peuvent pas être placés dans les centres fermés (article 74/19). Qu’ils se présentent sur le territoire ou arrivent à la frontière, ils sont transférés dans un centre d’observation et d’orientation (COO) (article 41, § 2, de la loi accueil).
Une exception limitée dans le temps existe pour les étrangers se déclarant mineurs qui arrivent à la frontière et pour lesquels un doute sur l’âge est émis. Dans ce cas, ils peuvent être maintenus dans un centre fermé à la frontière pendant que le service des Tutelles procède à la détermination de l’âge. La décision doit être prise dans les trois jours ouvrables de l’arrivé à la frontière. Lorsque cet examen ne peut pas avoir lieu en raison de circonstances imprévues endéans ce délai, il peut être prolongé exceptionnellement de trois jours ouvrables (article 41, § 1er, de la loi accueil).
- Les familles avec enfants mineurs qui ont pénétré dans le Royaume sans y être autorisées[2], ou qui peuvent être refoulées, ou dont le séjour a cessé d’être régulier ou est irrégulier, ne sont en principe pas placées dans les centres fermés, à moins que ceux-ci ne soient adaptés aux besoins des familles avec enfants mineurs (article 74/9, § 1er). La loi du 16 novembre 2011 insérant un article 74/9 dans la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, en ce qui concerne l'interdiction de détention d'enfants en centres fermés (M.B., 12 février 2012, p. 11408) envisage en réalité trois solutions qui doivent successivement être examinées[3], les deux premières étant présentées comme des alternatives à la détention.
Premièrement, la préférence doit être donnée à une résidence de la famille dans son habitation personnelle, c’est-à-dire le lieu d’habitation où elle demeure habituellement (article 74/9, § 3, al. 1er). Pour ce faire, certaines conditions doivent être satisfaites. Elles sont formulées dans une convention conclue entre la famille et l’Office des étrangers (article 74/9, § 3, al. 2). Il est dérogé à cette possibilité dans trois hypothèses :
- si cela s’avère impossible, notamment dans le cas où la famille ne dispose pas d’habitation personnelle (article 74/9, § 3, al. 1er) ;
- si l’un des membres de la famille peut compromettre les relations internationales de la Belgique, la tranquillité publique, l’ordre public ou la sécurité nationale et s’il est signalé aux fins de non-admission dans les États parties à la Convention de Schengen (article 3, 5° à 7°) ;
- en cas de non-respect des conditions auxquelles la famille doit satisfaire.
Deuxièmement, si la famille est dans l’impossibilité de résider dans une habitation personnelle, elle se voit attribuer « un lieu de résidence dans un lieu tel que visé à l’article 74/8, § 2, adapté aux besoins des familles avec enfants » (article 74/9, § 3, al. 1er), plus couramment appelées « maisons de retour ». Celles-ci sont réglées par l’arrêté royal du 14 mai 2009 fixant le régime et les règles de fonctionnement applicables aux lieux d'hébergement au sens de l'article 74/8, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers (M.B., 27 mai 2009, p. 38857). Les familles conservent une certaine liberté de mouvement, les logements étant ouverts et non surveillés. Néanmoins, lorsqu’une famille est composée des deux parents, l’un d’entre eux doit toujours être présent dans la maison (article 19).
Plusieurs catégories de familles sont placées dans les maisons de retour : les familles qui demandent l’asile à la frontière ; les familles qui sont présentes sur le territoire et dont la demande d’asile a été refusée ; les familles dites « Dublin » (à la frontière et sur le territoire) ; les familles en séjour irrégulier sur le territoire ; les familles en séjour irrégulier à qui une aide matérielle est octroyée en vertu de l’arrêté royal du 24 juin 2004 visant à fixer les conditions et modalités pour l’octroi d’une aide matérielle à un étranger mineur qui séjourne avec ses parents illégalement dans le Royaume (M.B., 1er juillet 2004, p. 53369) ; les familles qui ne demandent pas l’asile à la frontière.
Troisièmement, si la famille ne respecte pas les conditions fixées dans la convention conclue entre la famille et l’Office des étrangers ou qu’elle ne coopère pas au refoulement et/ou à la reprise ou à l’éloignement effectif (article 48 de l’arrêté royal du 14 mai 2009 fixant le régime et les règles de fonctionnement applicables aux lieux d’hébergement au sens de l’article 74/8, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, M.B., 27 mai 2009, p. 38857), elle peut être placée dans un centre fermé adapté aux besoins des familles (article 74/9, § 1er, et § 3, al. 4). Cela ne peut toutefois se faire que si d’autres mesures radicales mais moins contraignantes ne peuvent être efficacement appliquées (article 74/9, § 3, al. 4).
La Cour constitutionnelle a jugé l’article 74/9 conforme au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à la Convention européenne des droits de l’homme, à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant et à la Constitution (arrêt n° 166/2013). Elle précise qu’un enfant ne peut être mis en détention dans un lieu pour adultes (B.5.6).
La possibilité de détenir des familles avec enfants mineurs est également conforme au droit de l’Union européenne. L’article 17 de la directive retour – qui s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre – prévoit que les familles comportant des mineurs ne sont placées en détention qu’en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible (§ 1er), qu’elles doivent bénéficier d’un lieu d’hébergement séparé qui leur garantit une intimité adéquate (§ 2) et que les mineurs doivent avoir la possibilité de pratiquer des loisirs, y compris des jeux et des activités récréatives adaptés à leur âge et doivent avoir, en fonction de la durée de leur séjour, accès à l’éducation (§ 3). De même, l’article 11 de la directive accueil – qui s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui présentent une demande de protection internationale sur le territoire d’un État membre – établit que les mineurs ne peuvent être placés en rétention que dans des lieux d’hébergement appropriés pour mineurs, à titre de mesure de dernier ressort, et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées efficacement et pour la durée la plus brève possible (§ 2). Elle ajoute que les familles placées en rétention doivent disposer d’un lieu d’hébergement séparé qui leur garantit une intimité suffisante (§ 4) et que les mineurs doivent pouvoir pratiquer des activités de loisirs, y compris des jeux et des activités récréatives adaptés à leur âge (§ 2).
- Le nouveau centre fermé en projet
En octobre 2016, dans le cadre de la politique de retour, le Secrétaire à l’Asile et à la Migration a annoncé l’entreprise de travaux portant sur l’implantation de logements fermés pour les familles, avant leur éloignement forcé, à proximité du centre 127 bis, à Steenokkerzeel (note de politique générale, p. 29). L’objectif initial est de dissuader les familles qui désirent s’échapper des maisons de retour. « Lors de l’arrivée des familles dans un logement ouvert, il leur sera expliqué qu’elles peuvent être transférées dans un logement fermé après une éventuelle fuite » (question parlementaire[4], p. 28).
Le projet est également mentionné dans l’accord de gouvernement du 10 octobre 2014 : « Les centres fermés seront étendus. Le gouvernement évitera autant que faire se peut que certains groupes cibles vulnérables y soient logés. Le projet d’y aménager des lieux d’hébergement (127bis) est réalisé afin que des places appropriées soient prévues pour certains groupes cibles vulnérables, par exemple, les familles avec enfants, de sorte qu’ils ne doivent plus aller dans le réseau d’accueil » (p. 159).
Le centre sera composé de trois logements pour six personnes et deux pour huit personnes, appelés « unités familiales fermées », chacun avec un living, une cuisine ouverte, des toilettes séparées, une salle de bain avec douche, un débarras et deux à trois chambres à coucher. À terme, viendront s’y ajouter des espaces de jeux. Les logements seront construits sur un terrain clôturé à proximité du centre 127 bis et comporteront un accès direct au centre par le parking. Il est prévu d’aménager des plantations et des rideaux isolants. Les familles pourront entretenir des contacts entre elles mais il leur sera quasiment impossible de rencontrer des résidents du centre 127 bis (question parlementaire, p. 27).
L’ouverture du centre, dont les travaux ont commencé en septembre 2017, est prévue pour début 2018.
- Vers une nouvelle condamnation ?
Si la possibilité de placer en détention des familles avec enfants est légalement prévue, pour autant que le centre fermé soit adapté aux besoins des familles, la construction des unités familiales fermées revient toutefois sur l’abandon de la pratique de la détention des mineurs en Belgique, depuis une dizaine d’années. En effet, si des familles avec enfants étaient placées en détention, cela restait un régime exceptionnel. C’est le cas, par exemple, lorsqu’elles atterrissent la nuit ou pendant le weekend à l’aéroport de Bruxelles-National ou avant qu’elles ne soient éloignées vers leur pays d’origine ou transférées dans l’État membre compétent en vertu du règlement Dublin. Elles sont alors conduites au centre Caricole.
Le placement des familles avec enfants dans les unités familiales fermées, quant à lui, ne sera pas une exception. L’appellation est consacrée – unités familiales fermées – et l’infrastructure est prévue. Plus encore, enfermer les familles avec enfants est une véritable volonté du gouvernement. Si elles ne respectent pas les conditions fixées dans la convention conclue avec l’Office des étrangers (logement individuel) ou qu’elles ne coopèrent pas au refoulement et/ou à la reprise ou à l’éloignement effectif (logement individuel et maisons de retour), autrement dit par le Secrétaire d’État, si elles tentent de fuir, elles seront placées dans le nouveau centre fermé.
À première vue, la mise en œuvre de cette volonté se heurte à deux modalités dégagées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et pourrait conduire à placer des mineurs dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention.
Premièrement, les unités sont construites à côté du centre 127 bis de Steenokkerzeel, soit à forte proximité de l’aéroport Bruxelles-National. Or, dans l’arrêt R.M. c. France, la Cour a considéré que les enfants placés dans le centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu avaient été particulièrement soumis à des bruits d’une intensité excessive. Et pour cause, le centre est construit en bordure immédiate des pistes de l’aéroport de Toulouse-Blagnac et est exposé à des nuisances sonores particulièrement importantes qui ont d’ailleurs conduit au classement du terrain en zone inconstructible. Il n’est pas impensable que le même argument puisse être retenu contre la Belgique, si l’affaire était portée à Strasbourg. L’aménagement prévu de « rideaux isolants » ne nous semble pas être suffisant, des périodes de détente en plein air étant nécessaires pour les enfants.
Deuxièmement, il a été annoncé que, dans un premier temps, les unités d’enfermement ne seront pas pourvues d’espaces de jeux. Dans l’arrêt Popov c. France toutefois, la Cour a porté une attention particulière à l’inadéquation des infrastructures d’accueil et à l’âge des requérants : celles-ci ne disposaient d’aucun véritable espace de loisirs ou d’éducation. À nouveau, un tel argument pourrait être avancé concernant les nouvelles unités familiales fermées.
Cela étant, seront-elles adaptées aux besoins des familles ?
En outre, et de manière plus générale, l’enfermement des enfants est contraire au respect de leurs droits fondamentaux. En ratifiant la Convention internationale relative au droit de l’enfant, la Belgique s’est engagée à faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale dans toutes les décisions le concernant (article 3, § 1er). Ce principe a été intégré dans la Constitution (article 22bis). Or, de nombreux spécialistes s’accordent pour dire que la détention a des effets dévastateurs sur les enfants et que, même de très courte durée et dans des conditions relativement humaines, elle peut avoir des conséquences graves et traumatisantes à plus ou moins long terme sur la santé physique et mentale des enfants. Plusieurs instances nationales et internationales se sont prononcées en faveur de la fin de la détention administrative des enfants migrants, estimant qu’elle n’était jamais conforme à leur intérêt supérieur[5]. Le Conseil de l’Europe et le Comité au droit de l’enfant auprès des Nations Unies affirment également ce principe et recommande de légiférer pour interdire la détention d’enfants pour des raisons relatives à l’immigration. De même, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des migrants estime que la détention d’enfants migrants peut également violer leur droit à ne pas être punis pour le actes de leurs parents. Dans son rapport de 2015, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture a déclaré que la détention des enfants sur la base du statut de séjour de leurs parents n’était jamais dans le meilleur intérêt de l’enfant et pouvait constituer un traitement inhumain et dégradant. Dès lors que l’intérêt supérieur de l’enfant requiert le maintien de l’unité familiale, l’impératif de ne pas priver un enfant de sa liberté doit s’étendre à ses parents et implique l’adoption de mesures alternatives par les autorités au profit de toute la famille[6].
La Belgique a été l’un des premiers États à mettre en place de telles mesures alternatives. À la suite de sa visite en 2015, le Commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, exhortait le gouvernement belge à ne pas renouer avec la pratique consistant à détenir des familles avec enfants (p. 12). Un an plus tard, en octobre 2016, Théo Francken annonçait la construction de logements fermés pour les familles. Un retour en arrière, loin d’être un coup d’essai, en atteste, entre autres, le récent projet de loi sur la visite domiciliaire dans le cadre de l’exécution des mesures d’éloignement qu’il a co-signé avec les ministres Jan Jambon et Koen Geens.
H.G.
C. Pour aller plus loin
Lire l’arrêt : Cour eur. D.H., 7 décembre 2017, S.F. et autres c. Bulgarie, req. n° 8138/16.
Jurisprudence :
- Cour eur. D.H., 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, req. n° 13178/03.
- Cour eur. D.H., 19 janvier 2010, Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, req. n° 41442/07.
- Cour eur. D.H., 13 décembre 2011, Kanagaratnam c. Belgique, req. n° 15297/09.
- Cour eur. D.H., 19 janvier 2012, Popov c. France, req. nos 39472/07 et 39474/07.
- Cour eur. D.H., 12 juillet 2016, R.M. et autres c. France, req. n° 33201/11.
- Cour eur. D.H., 12 juillet 2016, A.B. et autres c. France, req. n° 11593/12.
- Cour eur. D.H., 12 juillet 2016, A.M. et autres c. France, req. n° 24587/12.
- Cour eur. D.H., 12 juillet 2016, R.K. et autres c. France, req. n° 68264/14.
- Cour eur. D.H., 12 juillet 2016, R.C. et V.C. c. France, req. n° 76491/14.
Doctrine :
- P. d’Huart et S. Sarolea (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge : la directive retour, Louvain-la-Neuve, UCL-CeDIE, 2014.
- L. Tsourdi et S. Sarolea (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge : la directive accueil, Louvain-la-Neuve, UCL-CeDIE, 2014.
Pour citer cette note : H. Gribomont, « Conditions de détention des mineurs : le mauvais exemple de la Bulgarie », Newsletter EDEM, décembre 2017.
[1] L. Tsourdi, « Refining the prohibition of collective expulsion in situation of mass arrivals : a balance well struck ? », Newsletter EDEM, janvier 2017.
[2] La loi du 15 décembre 1980 autorise à entrer dans le Royaume l’étranger porteur soit des documents requis en vertu d’un traité international, d’une loi ou d’un arrêté royal, soit d’un passeport valable ou d’un titre de voyage en tenant lieu, revêtu d’un visa ou d’une autorisation tenant lieu de visa (art. 2, al. 1er). La deuxième branche de l’alternative exprime la règle : l’accès au territoire est une faveur conditionnée par la possession d’un passeport revêtu d’une autorisation d’accès qu’est le visa. La première branche exprime l’exception : en vertu d’engagements internationaux, ou de précisions apportées dans la règlementation nationale, certaines catégories de personnes peuvent être dispensées de l’une ou l’autre condition. Ainsi, les citoyens européens ne doivent présenter ni passeport, ni visa, leur seule carte d’identité nationale suffit. De même, les étrangers qui introduisent une demande de protection internationale en qualité de réfugiés ou en vue d’une protection subsidiaire accèdent provisoirement au territoire, pour l’examen de leur demande, même s’ils ne disposent pas des documents requis à l’accès, c’est-à-dire du passeport muni, le cas échéant, d’un visa. Voy. J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Précis de droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 130-131.
[3] P. D’HUART et S. SAROLEA (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge : la directive retour, Louvain-la-Neuve, UCL-CeDIE, 2014, pp. 144-147.
[4] Par Mme Monica De Coninck au Secrétaire d'État à l'Asile et la Migration, chargé de la Simplification administrative, adjoint au ministre de la Sécurité et de l'Intérieur (le 15 février 2017).
[5] Myria, La migration en chiffres et en droit, 2016, p. 233.
[6] Ibid.
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