C.C.E., 30 avril 2018, n° 203 297

Louvain-La-Neuve

Le droit au statut de réfugié dérivé pour les parents du mineur, reconnu comme réfugié. Christine Flamand

Le Conseil du contentieux des étrangers se prononce sur l’application du statut de réfugié dérivé à la mère d’un enfant reconnu comme réfugié. Il juge que l’unité familiale n’opère qu’au profit des membres de la famille à charge et non de ceux qui ont le réfugié reconnu à leur charge, tels les parents du mineur.

Demande d’asile multiple – Art. 57/6/2 de la loi du 15 décembre 1980 – Refus de prise en considération – Principe de l’unité familiale – Statut de réfugié dérivé – Condition d’être « à charge » – Non applicable – Rejet de la demande.

 

A. Arrêt

La requérante est de nationalité congolaise (R.D.C.). Elle est arrivée en Belgique en juin 2011.

Une première demande d’asile est rejetée par les instances d’asile en raison d’une absence de crédibilité. Elle introduit une nouvelle demande d’asile en janvier 2013, sans invoquer de nouveaux évènements mais en documentant sa demande d’éléments permettant d’étayer son récit. Cette nouvelle demande est rejetée, tant par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) que par le Conseil du contentieux des étrangers (CCE).

Elle sollicite le statut de réfugié, une troisième fois, sans être retournée dans son pays d’origine en août 2017. Elle invoque le fait d’avoir eu un enfant en Belgique suite à une relation avec un réfugié d’origine congolaise. L’enfant a le statut de réfugié dérivé via son père. La requérante craint l’opprobre de son père et une marginalisation de la société en cas de retour au Congo, car elle a eu un enfant hors mariage. Le père de l’enfant ne vit pas avec celle-ci.

Le CGRA refuse de prendre en considération la troisième demande d’asile. Il estime que les craintes liées au mauvais accueil qui lui réserverait son père ne sont pas suffisamment étayées ni d’une nature suffisamment grave que pour être assimilées à une persécution. Le CGRA évoque que comme sa fille dispose du statut de réfugié, les craintes de la mère la concernant sont purement hypothétiques. Il estime en outre qu’elle ne peut bénéficier du statut de réfugié de sa fille, par ricochet, étant donné que ce statut lui a été octroyé sur la base du principe d’unité familiale via son père.

Le CCE confirme l’argumentation du CGRA et s’y rallie. Le CCE approfondit la question liée au statut de réfugié dérivé. Il juge que l’application du principe de l’unité familiale, qui ne se trouve pas dans la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés, peut entrainer une extension de la protection internationale au bénéfice des personnes auxquelles il n’est pas demandé d’établir qu’elles ont des raisons personnelles de craindre d’être persécutées. Il s’agit d’une protection induite, conséquence de la situation de fragilité où les place le départ forcé du conjoint ou protecteur naturel[1]. Le Conseil ajoute que cette extension ne peut jouer qu’au bénéfice des personnes à charge et qu’à l’égard de la famille qui existait déjà dans le pays d’origine.

Le CCE estime que le principe de l’unité familiale ne peut s’appliquer in casu dans la mesure où la requérante n’est pas à charge de sa fille, âgée de trois ans. De surcroît, la famille a été constituée après le départ du pays d’origine, de sorte que ce principe ne trouve pas à s’appliquer. Enfin, le CCE estime que le statut de réfugié dérivé de sa fille ne peut rejaillir, par ricochet, sur sa mère étant donné que ce statut lui a été octroyé sur la base du principe d’unité familiale via son père.

B. Eclairage

La jurisprudence du CCE sur l’unité familiale réserve le principe de l’unité familiale aux seules personnes à charge du réfugié. Cette note s’arrête sur deux questions que cet arrêt soulève directement ou indirectement. La première concerne l’application du principe même du statut de réfugié dérivé et son applicabilité aux membres de la famille d’un réfugié (1). La seconde, plus indirecte, s’interroge sur le principe de l’unité familiale, suite à la modification de la loi du 15 novembre 1980 qui prévoit qu’un mineur accompagné peut introduire de manière séparée une demande d’asile et sur les conséquences d’une reconnaissance de statut de ce mineur sur le statut des autres membres de sa famille (2).

1. Statut de réfugié dérivé et définition des membres de la famille

L’arrêt du CCE se réfère à la jurisprudence constante de sa juridiction pour rappeler les principes concernant l’application du principe du statut de réfugié dérivé.

Le principe de l’unité familiale ne se retrouve pas dans la Convention de Genève. Il trouve son origine dans la Conférence des Plénipotentiaires qui a adopté la Convention de Genève. L’Acte final fait de la protection de la famille du réfugié à la fois une exigence sociale et un droit propre du réfugié en précisant que « l’unité de famille, cet élément naturel et fondamental de la société, est un droit essentiel du réfugié ». Notant que cette unité est constamment menacée, l’Acte final recommande de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la famille du réfugié, en particulier pour assurer le maintien de l’unité de la famille du réfugié, notamment dans le cas où le chef de famille a réuni les conditions voulues pour l’admission dans le pays d’accueil. C’est la raison pour laquelle les droits des réfugiés sont étendus aux membres de sa famille, sans qu’ils ne doivent justifier d’une crainte personnelle de persécution. La protection est induite du fait de la reconnaissance de statut de ce membre de la famille. Ces principes ont été réitérés et réaffirmés par le Comité Exécutif du HCR[2].

Ainsi, la crainte de persécution, qui est centrale en droit d’asile, n’est pas le fondement exclusif de la reconnaissance de statut. Les Etats ont ajouté d’autres ordres de considération qui se substituent ou supplantent la crainte de persécution, tel le principe de l’unité familiale, non prévu explicitement dans la Convention de Genève. Il permet d’étendre à la famille du réfugié le statut et la protection dont il bénéficie[3]. L’arrêt du CCE juge que pour bénéficier du statut de réfugié dérivé, la requérante doit être à charge de sa fille, âgée de trois ans, ce qui n’est manifestement et évidemment pas le cas. Le CCE estime pourtant que cette dépendance matérielle est déterminante pour bénéficier du statut de réfugié dérivé.

Cette dépendance matérielle du réfugié est-elle réellement une condition sine qua non de la reconnaissance du statut de réfugié dérivé, comme le souligne la juridiction ?

Selon une jurisprudence constante de l’ancienne Commission permanente de recours des réfugiés (CPRR) et du CCE, seuls les membres de la famille/personnes  à  charge  d'un  réfugié  reconnu  peuvent  solliciter le statut de réfugié dérivé au titre du droit à l'unité familiale[4]. Le CCE estime que l’unité familiale s’applique aux personnes à charge parce qu’elles sont légalement placées sous l’autorité du réfugié (les enfants mineurs) ou parce que du fait de leur âge, d’une invalidité ou d’une absence de moyens propres de subsistance, elles dépendent de son assistance matérielle et financière[5].

L’arrêt commenté se réfère à de la doctrine et de la jurisprudence qui paraissent dépassées. Cette jurisprudence gagnerait à évoluer au regard des évolutions du droit international des réfugiés et des droits de l’enfant. L’enfant est devenu un sujet de droit autonome en matière d’asile. Les enfants sont susceptibles de faire l’objet de violences, spécifiques à leur âge ou à leur genre telles que les mariages précoces, la traite des êtres humain, le recrutement forcé, les mutilations génitales féminines, la violence domestique. Cette violence émane parfois de la famille même lorsqu’elle est mise sous pression de sa communauté, de telle sorte qu’elle doit quitter le pays pour mettre l’enfant en sécurité. La directive qualification prévoit que les actes de persécution peuvent notamment prendre la forme d’actes dirigés contre des enfants (art. 9). Il est également tenu compte de son âge pour évaluer les faits et circonstances et pour déterminer s’il a un besoin de protection. La directive procédures reconnait depuis de nombreuses années la possibilité pour un mineur d’introduire une demande d’asile en son nom (art. 7.3). Par conséquent, parmi les demandeurs d’asile, il y a un nombre important de mineurs qui introduisent des demandes de protection et l’obtiennent[6]. Si les mineurs accompagnés sont reconnus comme réfugiés, se pose la question des bénéficiaires du statut dérivé, car ces mineurs font partie d’une famille et sont dans les faits dépendants matériellement du chef de la famille. Les principes du HCR et la législation européenne ont dûment pris en compte ces évolutions. Par contre, la loi belge est muette à ce sujet.

- Position du HCR

Le HCR reconnaît le principe du statut de réfugié dérivé en vue de préserver l’unité familiale. D’une part, dans la note d’orientation sur les MGF qui prévoit que : « En cas de reconnaissance de statut de réfugié d’un mineur, le statut de réfugié dérivé devrait pouvoir s’appliquer à sa famille. Dans ce cas, de la même façon qu’un enfant peut bénéficier, à titre dérivé, du statut de réfugié octroyé à ses parents, les parents peuvent, mutatis mutandis, bénéficier à titre dérivé du statut de réfugié octroyé à leur enfant ». D’autre part, dans les principes directeurs sur les demandes d’asile d’enfants qui prévoient que « de la même  manière  qu’un  enfant peut obtenir le statut de réfugié indirectement du fait du même statut d’un parent, un parent peut, mutatis mutandis, se voir accorder le statut dérivé de réfugié sur la base du même statut de son enfant ».

Dans ces deux textes, le HCR évoque davantage une dépendance sociale ou émotive qu’une dépendance financière et ce, peu importe, « le sens » de la dépendance (enfant à parents ; parents à enfant )[7]. La dépendance financière n’est donc pas pertinente lorsque le requérant principal est un mineur puisque le statut va pouvoir bénéficier à celui ou ceux dont il dépend matériellement. C’est davantage la dépendance sociale et émotive qui est visée par la notion de dépendance. Celle-ci est généralement présumée pour les membres de la famille proche du requérant principal. Les principes du HCR se sont adaptés aux situations d’enfants ayant subi des persécutions propres et étant considérés comme principaux requérants d’une demande d’asile. Il s’agit d’une vision évolutive de ce concept de statut de réfugié dérivé, à l’instar des évolutions du droit des réfugiés et la prise en compte des persécutions propres à l’enfant[8].

La notion de membre de la famille nucléaire remplace dès lors la notion de « personne à charge » telle qu’interprétée par le CCE.  La seule condition que le HCR met à l’octroi du statut de réfugié dérivé est de faire partie de la famille « nucléaire ». Si le requérant principal est le mineur, ses parents ont droit au statut de réfugié dérivé, ainsi que les personnes à charge du parent[9].

Réduire la dépendance au requérant principal à une seule dépendance économique, « en sens unique », comme développé dans l’arrêt commenté, méconnait l’évolution du droit des réfugiés.

- Directive qualification

L’article 2 de la directive désigne notamment comme membre de la famille, « le père ou la mère du bénéficiaire d’une protection internationale ou tout autre adulte qui en est responsable de par le droit ou la pratique en vigueur dans l’Etat membre concerné, lorsque ledit bénéficiaire est mineur et non marié ». L’article 23 de la directive érige en droit le principe de l’unité familiale des réfugiés pour les membres de la famille, tels que définis à l’article 2. La directive demande aux Etats membres de « veiller » à ce que l’unité familiale soit maintenue « conformément aux procédures nationales ». L’article 23, dans un second paragraphe précise que « les Etats membres veillent à ce que les membres de la famille du bénéficiaire d’une protection internationale qui, individuellement, ne remplissent pas les conditions nécessaires pour obtenir cette protection puissent prétendre aux avantages visés aux articles 24 à 35, conformément aux procédures nationales et dans la mesure où cela est compatible avec le statut juridique personnel du membre de la famille ». Cet article consacre donc la notion ascendante du principe d’unité de famille en droit européen. L’article 23 de la directive s’aligne ainsi sur ce que le HCR préconise. Cela devrait permettre au décideur la possibilité d’accorder le statut de réfugié dérivé aux membres de la famille nucléaire. Il n’y a pas encore de jurisprudence de la Cour de justice par rapport à l’application de l’article 23 de la directive qualification, ni de question préjudicielle pendante, qui pourrait éclairer les instances d’asile nationales sur la portée à donner à ce principe de l’unité familiale. Des clarifications seraient utiles.

- Loi belge

L’article 23 de la directive qualification n’a pas été transposé en droit national. Il y a un vide juridique concernant l’ascendant du mineur accompagné, même si cet ascendant fait partie de la famille nucléaire au sens de l’article 2 de la directive qualification.

De plus, l’effet direct de l’article 23 de la directive est rejeté par le CCE[10]. La loi du 15 décembre 1980 évoque le principe de l’unité familiale, uniquement dans le cadre de la protection temporaire[11] ou de la recherche d’une solution durable pour les mineurs étrangers non accompagnés (MENA)[12]. Dans ce cas, la recherche de l’unité familiale est surtout destinée à trouver une solution pour le MENA dans le pays d’origine mais non en Belgique. 

Il n’y a pas de disposition permettant de sauvegarder l’unité familiale en droit belge, si ce n’est le regroupement familial. L’on ne peut qu’insister sur le fait que le principe de l’unité familiale des réfugiés devrait être privilégié par rapport au regroupement familial car il ouvre le droit à une protection plus solide que celle dont peut disposer un étranger au titre du regroupement familial[13]. Le CCE gagnerait à être créatif et à permettre une application en plein contentieux de ce principe, à l’instar des principes du HCR[14]. Ceci d’autant plus que la possibilité est désormais offerte dans la loi à un mineur accompagné d’introduire une demande d’asile propre, distincte de celle de ses parents.

2. Droit au séjour pour le membre de la famille du mineur reconnu comme réfugié

Ces développements nous amènent au second point, relatif aux nouvelles dispositions légales permettant à un mineur d’introduire une demande d’asile en son nom lorsqu’il fait état d’une crainte propre (art. 57/1) [15]  La loi du 21 novembre 2017 transpose ainsi, tardivement, la directive procédures en droit belge.

Le contenu de la l’article 57/1

La loi distingue deux situations concernant le mineur.  

  • Art. 57/1, §1 : L’étranger qui introduit une demande de protection internationale est présumé également introduire cette demande au nom « du mineur qui l’accompagne et sur lequel il exerce l’autorité parentale ou la tutelle ». Dans ce cadre, le mineur peut être entendu, à sa demande ou d’initiative, par le CGRA. En cas de reconnaissance de l’étranger, l’ensemble des membres de la famille bénéficie du statut de réfugié. Il s’agit de d’application du statut de réfugié dérivé pour les membres de la famille de ce mineur.

  • Art. 57/1§2 : Le mineur accompagné peut explicitement faire savoir qu’il introduit une demande autonome, en son nom, que ce soit personnellement ou par le biais de son parent ou tuteur. Il s’agit de cas où la crainte lui est propre ou spécifique. L’exemple de la crainte de MGF pour un enfant en est une illustration, tout comme la crainte de mariages précoces ou forcés, la crainte d’être enrôlé comme enfant soldat ou encore le fait d’être victime de la traite des êtres humains.

 Cette disposition soulève des questions quant aux modalités pratiques de sa mise en œuvre.

  • La disposition est muette quant au statut réservé aux membres de la famille du mineur, qui aurait introduit une demande d’asile séparée sur base de l’article 57/1 §2 alors que c’est prévu pour les membres de la famille de l’étranger lorsque la demande est introduite en vertu du § 1e.  Quelles conséquences pour ses parents si le mineur est reconnu comme réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire ?

  • Le législateur ne prévoit pas « d’assistance spécifique » pour le mineur accompagné qui souhaite introduire une demande en son nom en cas de « conflit d’intérêt » avec ses parents. C’est le cas d’un(e) mineur(e) qui ne veut pas que ses parents soient au courant de son homosexualité ou qui veut cacher le fait d’avoir été victime de violences sexuelles. Si la loi lui donne la possibilité d’introduire une demande en nom propre, encore fautil donner la possibilité concrète à l’enfant de l’introduire séparément. Cela nécessite une assistance autre que celle des parents. Les travaux préparatoires évoquent ce conflit d’intérêt mais uniquement dans le cadre de la présence ou non des parents lors de l’audition du mineur : « la présence du/des  parent(s)  peut  compliquer  l’entretien  avec  le  mineur ou même intimider l’enfant, surtout dans le cas d’intérêts contraires entre le mineur et le(s) parent(s) » (p.89). Ce cas de figure est également envisagé concernant la consultation des documents relatifs à la procédure d’asile (art.57/1§7). Ils n’envisagent pas d’autres situations, ce qui est également une lacune par rapport à l’intérêt supérieur de l’enfant. Ne faudraitil pas, à l’instar du MENA qui introduit une demande d’asile en son nom, prévoir la désignation d’un tuteur ad hoc pour le représenter en cas de conflit d’intérêt avec ses parents?
  • La prise en compte de l’intérêt de l’enfant est expressément mentionnée dans cet article sans davantage de détails. S’il s’agit indéniablement d’une avancée de la loi, l’on ne peut que regretter que la référence à l’intérêt de l’enfant se retrouve uniquement dans les dispositions liées aux mineurs accompagnés. Ne serait-il pas utile que la référence à l’intérêt de l’enfant se retrouve dans la section plus globale relative à l’asile, comprenant également les MENA ?

Conséquences en terme de séjour pour le parent du mineur reconnu réfugié

S’il est désormais admis qu’un mineur accompagné puisse être reconnu réfugié à l’issue d’une procédure d’asile en son nom, cette possibilité ne règle pas les difficultés liées au séjour de ses parents. Si l’enfant obtient le statut de réfugié et qu’il n’y a pas d’application du statut de réfugié dérivé à son ascendant, l’on ne trouve pas non plus de réponse dans le champ du regroupement familial[16]. La loi prévoit uniquement un allègement des conditions pour le regroupement familial des ascendants de MENA reconnus comme réfugiés, mais n’évoque pas la situation du parent du mineur accompagné reconnu réfugié. Ne serait-il pas utile de prévoir à tout le moins à l’article 10§2 une mention de l’ascendant du mineur accompagné, à l’instar du mineur non accompagné ? Il s’agit là d’une lacune de la loi, qui aurait dû prévoir cette situation dans la foulée de l’entrée en vigueur de la loi du 21 novembre 2017, pour plus de cohérence. L’effet utile de la reconnaissance de statut s’en trouve considérablement affaibli si les parents du mineur ne peuvent bénéficier de ce statut de réfugié dérivé[17].

En l’absence d’un mécanisme prévu par la loi, une solution intermédiaire ne serait-elle pas que la jurisprudence du CCE puisse évoluer, à l’instar de la législation, qui admet qu’un mineur accompagné peut introduire une demande d’asile propre vers une prise en compte de l’unité familiale conformément aux principes du HCR ? En plein contentieux, le juge a la possibilité de prendre en compte les différents textes et de les interpréter afin de favoriser l’intérêt de l’enfant et le principe de l’unité familiale dans sa prise de décision.

Quid du principe de l’unité familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant ?

  • Droits de l’enfant

Les difficultés soulevées par la mise en œuvre de la loi posent également la question du droit de l’enfant à ne pas être séparé de sa famille et à ce que son intérêt soit considéré comme une considération primordiale dans le cadre de toute décision ou mesure prise à son égard. Si l’enfant est reconnu, mais que ses parents ne peuvent bénéficier de ce statut, la famille risque d’être séparée. La Convention relative aux droits de l’enfant (art. 3, 9 et 10) prévoit que les Etats parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre son gré et que « toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un Etat partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les Etats parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence[18] ». Le Comité des droits de l’enfant a récemment insisté, dans son observation n°23, sur le fait que les Etats devraient honorer leurs obligations juridiques internationales pour ce qui est du maintien de l’unité familiale, y compris en ce qui concerne les frères et sœurs, et pour ce qui est de la prévention de la séparation, qui devrait être un objectif primordial. La protection du droit à un milieu familial exige souvent des Etats non seulement qu’ils s’abstiennent de prendre des mesures qui pourraient entraîner la séparation d’une famille ou d’autres atteintes arbitraires au droit à la vie de famille, mais aussi qu’ils prennent des mesures positives visant à maintenir l’unité familiale, y compris le regroupement des membres de la famille qui ont été séparés.

L’observation n°22 rappelle que les Etats devraient faire en  sorte  que  les  enfants,  dans  le  contexte  des  migrations internationales,  soient  traités  avant  tout  comme  des  enfants.  Les Etats parties  aux  deux Conventions  ont  le  devoir  de  s’acquitter  de  l’obligation  qui  leur  est  faite  dans  ces instruments  de  respecter,  de  protéger  et  de  réaliser  les  droits  des  enfants  dans  le  contexte des  migrations  internationales,  quel  que  soit  le  statut  migratoire  des  enfants  ou  de  leurs parents ou tuteurs[19].

Le critère de la solution durable, telle que précisé dans la loi belge pour les MENA, ne peut-il trouver à s’appliquer pour les mineurs accompagnés qui doivent pouvoir être regroupés, en Belgique, avec leurs parents[20] ? Il s’agit de la seule solution permettant de respecter l’intérêt de l’enfant et son droit de ne pas être séparé de ses parents.

  • Jurisprudence Cour européenne des droits de l’homme et Cour de justice

S’il n’y a pas de jurisprudence de la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 23 de la directive qualification, l’interprétation du droit à la vie familiale et de la directive relative au regroupement familial par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice fait évoluer la notion de l’unité familiale de réfugiés. L’unité familiale est régulièrement invoquée en particulier s’agissant de membres de la famille de personnes bénéficiant de la protection internationale[21]. Cette jurisprudence se réfère également à l’intérêt de l’enfant. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme estime que l’unité familiale est un droit essentiel du réfugié et qu’il est parfois le seul moyen pour une famille de se reconstituer[22] [23]. La Cour de justice rappelle à ce sujet que les Etats sont tenus d’examiner les demandes de regroupement familial dans l’intérêt des enfants concernés et dans le souci également de favoriser la vie familiale, ainsi qu’en évitant de porter atteinte tant à l’objectif de cette directive qu’à son effet utile[24] [25]. Il y a donc lieu d’appréhender ces situations avec souplesse et humanité.

Conclusions

Il est urgent qu’à défaut de garanties claires dans la loi belge, la jurisprudence du CCE relative au statut de réfugié dérivé évolue à l’instar du droit international des réfugiés vers la prise en compte de ce statut pour les membres de la famille nucléaire du mineur réfugié et que la notion de dépendance « en sens unique » évoquée dans l’arrêt soit élargie à la conception de dépendance émotionnelle et sociale, à l’instar des lignes directrices du HCR, pour éviter de restreindre l’application du statut de réfugié dérivé.

Il y a également urgence à légiférer par rapport au droit à l’unité familiale afin de permettre aux parents d’un mineur accompagné de bénéficier du même statut, maintenant que la loi permet à un mineur d’introduire une demande seul et ce, afin de donner aux nouvelles dispositions un effet utile, respectueux du droit de l’enfant.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : C.C.E., 30 avril 2018, n°203 297C.C.E., 30 avril 2018, n°203 297

Doctrine :  UNHCR, The Right to Family Life and Family Unity of Refugees and Others in Need of International Protection and the Family Definition Applied, January 2018, 2nd edition.

Pour citer cette note : C. Flamand, « Le droit au statut de réfugié dérivé pour les parents du mineur, reconnu comme réfugié. », Cahiers de l’EDEM, septembre 2018.

 


[1] C.C.E., 30 août 2007, n°1475/1510.

[2] Executive Committee of the dist. High Commissionner’s Progamme, restricted EC/49/SC/CRP.144 June 1999. Le Comité exécutif est composé d’Etats signataires de la Convention.

[3] Traité du droit d’asile, Denis Allard et Catherine Teitgen-Colly, éd. PUF, 2002, p. 480 et s.

[4] CPRR, 02- 2668/F1628, 30 mars 2004 ; CPRR, 00-2047/F1653, 4 novembre 2004 ; CPRR 04- 0060/F1878, 26 mai 2005 ;  CPRR,  03-2243/F2278,  21  février 2006  ;  C.C.E.,  30  août 2007 n°1475/1510,  ; CCE n°8.981/15.698, 20 mars 2008 ; C.C.E.,   18 juillet 2013, n°106 915 ; C.C.E., 28 février 2014 , n°1190 990 ; C.C.E., 25 mai 2018, n°204 387.

[6] Cette possibilité est reconnue en droit belge depuis peu. Loi du 21 novembre 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'entrée sur le territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et la loi du 12 janvier 2007 sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers, M.B., 12 mars 2018, art. 37.

[8] C. FLAMAND, “Observations: l’unité familiale, un droit du réfugié.”, R.D.E., n°177, 2014, p. 253-260.

[9] UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), UNHCR RSD Procedural Standards - Processing Claims Based on the Right to Family Unity, op.cit., pt. 5.2.3.

[10] C.C.E., 18 Juin 2010, n° 45.095.

[11] Loi du 15 décembre 1980 sur l'entrée sur le territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, art. 57/34. La protection temporaire, qui est une forme de protection complémentaire peut être mise en vigueur à la suite d’une décision des Etats membres de l’UE, en cas d’afflux massif de réfugiés. A ce jour, ce mécanisme n’a pas été activé.

[12] Loi du 15 décembre 1980, art. 61/14 et s.

[13] Rappelons la distinction entre l’unité familiale des réfugiés et le regroupement familial des réfugiés. L’unité familiale des réfugiés vise l’octroi « automatique » d’une protection à un membre de la famille du réfugié en raison de son lien avec celui-ci, sans qu’il ne soit besoin de démontrer une crainte de persécution spécifique. Tandis que le regroupement familial vise l’octroi d’un droit de séjour qui doit être sollicité par le membre de la famille, qui est soumis à de nombreuses conditions. La loi octroie des facilités aux réfugiés dans ce cadre (art. 10§2, al.5).

[14] Même si les lignes directrices du HCR n’ont pas de valeur contraignante en droit au sens strict, ils sont une source d’inspiration dans l’interprétation de la Convention de Genève, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat ; RvS, 9 juin 2005, n° 145 732 ; RvS, 1er février 2011, n°216 653.

[15] Art. 57/1, § 1 de la loi du 15 décembre 1980, inséré par l'art. 37 de la loi du 21 novembre 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'entrée sur le territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et la loi du 12 janvier 2007 sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers, M.B., 12 mars 2018.

[16] Le droit de séjour obtenu par regroupement familial accordé est provisoire. Ce n’est qu’au bout de cinq ans que les membres de la famille obtiennent un droit de séjour autonome, à condition que toutes les conditions liées à l’obtention de ce séjour soient respectées. Le statut de réfugié, quant à lui, est un statut stable, même s’il peut être retiré au requérant principal et aux membres de sa famille qui disposent du statut de réfugié dérivé, mais il s’agit d’une procédure exceptionnelle. Pour toutes ces raisons, il y a lieu de privilégier l’application du statut de réfugié dérivé aux membres de la famille d’un mineur accompagné qui a le statut de réfugié ou de protection subsidiaire.

[17] C. FLAMAND, op.cit., p. 259.

[19] Observation générale conjointe no 3 (2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 22 (2017) du Comité des droits de l’enfant sur les principes généraux relatifs aux droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales, UN Doc. CMW/C/GC/3-CRC/C/GC/22, 2017.

[20] Loi du 15 décembre 1980, art. 74/16.

[21] UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), The Right to Family Life and Family Unity of Refugees and Others in Need of International Protection and the Family Definition Applied, January 2018, 2nd edition, available at: http://www.refworld.org/docid/5a9029f04.html

[22] Cour Eur.D.H., Mungezi c. France, requête n°52701/09, 10 juillet 2014, §54. Dans cette affaire, la Cour a condamné la France parce qu’elle estime que  les  autorités  nationales  n’ont  pas dûment tenu compte  de  la  situation  spécifique  du  requérant, et conclut que la  procédure  de  regroupement  familial  n’a  pas  présenté  les  garanties  de souplesse, de célérité et d’effectivité requises pour faire respecter le droit du requérant  au  respect  de  sa  vie  familiale  garanti  par  l’article  8  de  la Convention

[23] Conclusions de l’avocat général M. Yves Bot, C-550/16, A, S c. Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, 26 octobre 2017.

[24] C.J., A et S c. Pays Bas, 12 avril 2018, C-550/16.

[25] Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, OJ C 326, 26.10.2012, p. 391–407, article 7 et  24, 2 : Dans  tous  les  actes  relatifs  aux  enfants,  qu'ils  soient  accomplis  par  des  autorités  publiques  ou  des  institutions  privées,  l'intérêt  supérieur  de  l'enfant  doit  être  une  considération  primordiale.

Photo : Rudi Jacobs, cce-rvv

Publié le 28 septembre 2018