Comité des droits de l’enfant, 4 février 2021, R.H.M. c. Danemark, Communication n° 83/2019

Louvain-La-Neuve

La protection contre les mutilations génitales incombe à l’État d’origine et non aux parents des mineurs.

Convention internationale relative aux droits de l’enfant — Articles 3 et 19 — Intérêt supérieur de l’enfant– Mutilations génitales féminines – Obligation de protection – Violation potentielle

Dans sa communication n° 83/2019 du 4 février 2021, le Comité des droits de l’enfant conclut à la violation des articles 3 et 19 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant par le Danemark. Il reproche à l’État défendeur le retrait des permis de résidence de l’auteure et ses deux enfants suivi d’une décision d’expulsion vers la Somalie où elle risque d’être sujette à des mutilations génitales féminines. Par cette décision, le Comité s’inscrit dans sa jurisprudence antérieure établie depuis sa communication n°3/2016 tout en nuançant ses enseignements en dépit du refus de l’État défendeur de s’y conformer.

Trésor Maheshe et Bertin Nalukoma

 

A. Communication

La requérante, de nationalité somalienne, soumet sa demande de statut de réfugié le jour de son entrée irrégulière au Danemark en date du 19 septembre 2013. Le 5 décembre 2017, elle introduit une demande d’asile distincte pour sa fille Y.A.M. alléguant la crainte d’être exposée à des mutilations génitales féminines (ci-après, MGF) en Somalie. En date du 23 mars 2018, le Dash Immigration Service (DIS) rejette sa demande ainsi que celle de sa fille. Le Refugee Appeals Board (RAB) rejette aussi l’appel formé par elle contre la première décision. À la suite de la décision de rejet, les autorités danoises lui retirent les permis de résidence ainsi qu’à ses deux enfants. En date du 10 avril 2019, la requérante soumet à la Cour européenne des droits de l’homme une requête tendant à obtenir des mesures provisoires interdisant l’expulsion de Y.A.M. vers la Somalie. Le 18 avril 2019, la Cour européenne rejette sa requête en considérant la demande comme irrecevable en vertu des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Face au rejet de ces requêtes, elle saisit le Comité des droits de l’enfant au nom et pour le compte de sa fille mineure Y.A.M. qui est exposée au risque de MGF en cas de renvoi vers la Somalie. La requête se fonde sur les articles 3 et 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant et repose sur deux moyens. D’abord, elle fait valoir sa situation de mère célibataire qui ne lui permet pas de résister à la pression sociale et de protéger sa fille contre les mutilations génitales féminines dans un pays où 98 % des femmes sont soumises à cette pratique (§ 3.2). Ensuite, elle invoque le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant qui impose aux États parties en vertu de l’article 19 de protéger les enfants contre toute atteinte ou violence (§ 3.3).

Le Comité de droits de l’enfant constate la violation des articles 3 et 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant en prenant en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et l’obligation de l’État de protéger indépendamment de la capacité des parents.

Concernant le statut de mère célibataire de la requérante, le Comité considère que « the rights of the child under article 19 of the Convention cannot be made dependent on the mother’s ability to resist family and social pressure, especially in light of the general reported context, and that State parties should take measures to protect children from all forms of physical or mental violence, injury or abuse in all circumstances » (§ 8.6).

S’agissant de l’intérêt supérieur de l’enfant, le Comité juge que « the rights of the child under article 19 of the Convention cannot be made dependent on the mother’s ability to resist family and social pressure, especially in light of the general reported context, and that State parties should take measures to protect children from all forms of physical or mental violence, injury or abuse in all circumstances » (§ 8.7).

B. Éclairage

Dans la présente affaire, le Comité des droits de l’enfant réitère sa position adoptée dans l’affaire I.A.M. c. Danemark du 25 janvier 2018. Dans cette dernière, tout en prenant le contre-pied de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[1], le Comité rappelait 5 principes relatifs à la prise en charge des mineures exposées aux mutilations génitales féminines. Il s’agit notamment de (1) de l’obligation pour l’État de protéger quant au risque d’excision indépendamment de la capacité des mères à protéger leurs enfants (2) de l’obligation d’étendre la protection de l’enfant à la personne qui l’accompagne en vertu du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant (3) de l’obligation de protéger l’enfant indépendamment des questions de crédibilité du parent qui l’accompagne (4) de l’application concrète de l’intérêt supérieur de l’enfant et (5) de la constatation de la violation actuelle au lieu de violation potentielle[2].

Parmi ces principes, le Comité semble nuancer deux d’entre eux. Il s’agit du premier et du cinquième.

Concernant le premier principe, dans l’affaire I.A.M. c. Danemark , le Comité affirmait avec fermeté que les États parties devraient prendre des mesures pour protéger les enfants contre toutes les formes de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales en toutes circonstances, « même lorsque le parent ou le tuteur n’est pas en mesure de résister à la pression sociale » (§ 11.8) .  Toutefois, dans la présente affaire, elle tempère l’obligation de protéger indépendamment de la capacité de l’un des parents de résister à la pression sociale (§ 11.8 b). Tout en admettant que les droits de l’enfant au titre de l’article 19 ne sauraient être subordonnés à la capacité de la mère de résister à la pression familiale et sociale, le Comité considère que la décision serait tout autre si la femme était expulsée avec son mari et ses deux enfants. Dans ce cas, « elle serait en mesure de résister à toute pression sociale et donc de protéger sa fille contre les mutilations génitales féminines » (§ 8.7). Il s’agit là d’une circonstance atténuante à la fermeté prise dans l’affaire précédente. Par cette motivation, le Comité s’éloigne de la compréhension nuancée de l’autonomie développée dans l’affaire I.A.M contre Danemark. Selon cette compréhension, « le fait de quitter le pays pour protéger son enfant pourrait s’interpréter comme une manifestation d’indépendance de la mère »[3].

S’agissant de la pratique relative à la constatation de la violation actuelle au lieu de la violation potentielle, le Comité la remet en cause dans la présente espèce en affirmant que « (…) the return of the author’s daughter to Somalia would amount to a violation of articles 3 and 19 of the Convention ». Il s’agit là d’une violation potentielle plutôt qu’actuelle. Le choix du « conditionnel » dans cette phrase tranche avec celui utilisé dans l’affaire I.A.M contre Danemark ou le Comité affirmait que « the facts before it amount to a violation of articles 3 and 19 of the Convention » ( § 10.11). Ce tâtonnement du Comité peut s’expliquer par le fait que « the Convention does not provide an express protection against deportation or extradition of children »[4]. À défaut d’une jurisprudence constante, le Comité devrait suivre l’approche de la Cour européenne des droits de l’homme qui privilégie la violation potentielle en considérant que le retour forcé vers un pays « pourrait constituer une violation » de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) »[5]. Une telle position devrait se fonder sur l’article 37 plutôt que sur l’article 19 dont le champ d’application a une portée restreinte[6] en raison de l’utilisation des termes « sous la garde de ». Dans une opinion individuelle (partiellement dissidente) où il fustige l’absence d’invocation par le Comité de l’article 37 (interdiction de la torture) de la Convention relative aux droits de l’enfant, M. Luis Pedernera s’aligne sur la position du Comité des droits de l’homme et celle du Comité contre la discrimination à l’égard des femmes. Selon cette position, la mutilation génitale féminine est une pratique à laquelle la victime pourrait être soumise, si elle est déportée. Cela suppose, comme l’affirme M. Luis Pedernera, de fonder la violation sur l’article 37 de la Convention et non sur les articles 3 et 19[7].

Cette constatation traduit la difficulté à laquelle sont confrontés les États en présence d’une jurisprudence contradictoire des organes de protection de droits de l’homme. À défaut de choisir l’organe de protection, les États parties optent en faveur de la jurisprudence favorable comme c’est le cas en l’espèce ou le Danemark dit vouloir se conformer à la jurisprudence régionale plutôt qu’à celle du Comité. Tout en refusant de suivre l’État défendeur dans ses arguments, le Comité lui rappelle les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention telle qu’interprétée par le Comité.

En matière de mutilations génitales, s’agissant de la Belgique, notons un point d’actualité. Concomitamment à la journée mondiale de lutte contre ces violences à l’égard des femmes – le 6 février - le médiateur fédéral a transmis une communication à la chambre pour que les parents de mineurs reconnus réfugiés, par exemple en raison d’un risque de mutilations, obtiennent un statut sans avoir à passer par l’incertaine et  exigeante demande de régularisation, dite « 9 bis ».

C. Pour aller plus loin

Lire la communication : Comité des droits de l’enfant, 4 février 2021, R.H.M. c. Danemark, Communication n° 83/2019.

Jurisprudence :

Comité des droits de l’enfant, Communication n°3/2016, I.A.M contre Danemark, 25 janvier 2018.

Doctrine :  

Carlier, J.-Y. et Sarolea, S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016 ;

Flamand Ch. et Desmet E., « La crainte d’excision en Somalie évaluée par le Comité des droits de l’enfant », Newsletter EDEM, mars 2018.

Saroléa S., « Le risque de réexcision en Guinée évalué par le Comité́ contre la torture », note sous CAT, communication n°613/2014, F.B. c. Pays-Bas, 9 novembre 2015, Newsletter EDEM, juin 2016.

Tobin, J.  (Ed), The UN Convention on the Rights of the Child: A commentary, Oxford University Press, Oxford, 2022

 

Pour citer cette note : T. Maheshe et B. Nalukoma, « La protection contre les mutilations génitales incombe à l’État d’origine et non aux parents des mineurs », Cahiers de l’EDEM, janvier 2022.

 


[1] Sur la position de la jurisprudence européenne, voy. J.-Y. Carlier et S. Saroléa, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 101 et s.

[2] C. Flamand et E. Desmet, « La crainte d’excision en Somalie évaluée par le Comité des droits de l’enfant », Newsletter EDEM, mars 2018, p. 10.

[3] C. Flamand et E. Desmet, op. cit., p. 5.

[4] H. Hobbs, “Protection aginst Torture, Capital Punishment, and Arbitratry Deprivation of Liberty”, in J. Tobin (Ed), The UN Convention on the Rights of the Child: A commentary, Oxford University Press, Oxford, 2022, p. 1458.

[5] Sur le champ d’application de l’article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant, voy. J. Cashmore, “Art. 19 The Right to protection against All Forms of Violence”, in J. Tobin (Ed), The UN Convention on the Rights of the Child: A commentary, Oxford University Press, Oxford, 2022, p.

[6] Ch. Flamand et E. Desmet, op.cit., p. 10.

[7] Opinion individuelle de M. Luis Pedernera (partiellement dissidente), § 1, in Comité des droits de l’enfant, Comité des droits de l’enfant, Communication n° 83/2019, R.H.M. c. Danemark, 4 février 2021.

 

Publié le 31 janvier 2022