C.C.E., 17 avril 2014, n°122.659

Louvain-La-Neuve

Renversement de la charge de la preuve d’une double nationalité en cas de retrait de statut.

Le Conseil du Contentieux des étrangers annule une décision de retrait de statut de protection subsidiaire accordé à un demandeur syrien parce qu’il aurait la double nationalité syrienne et arménienne au motif que les éléments fondant la décision ne figurent pas tous au dossier administratif et sont insuffisants à établir la nationalité arménienne. La charge de la preuve de la nationalité arménienne du requérant doit être apportée par le C.G.R.A.

Demande de protection subsidiaire – Décision de retrait Article 57/6, § 1, 7°, de la  loi 1980 Charge de la preuve d’une double nationalité en cas de retrait.

A. Arrêt

Le requérant, dont la nationalité syrienne n’est pas contestée, se voit octroyer le statut de protection subsidiaire par le C.G.R.A. en raison de la situation actuelle en Syrie le 28 février 2013. 

Quelques mois plus tard, le C.G.R.A. prend la décision d’auditionner à nouveau le requérant pour l’interroger sur l’existence d’une éventuelle double nationalité arménienne en raison de visas pour l’Arménie se trouvant dans son passeport syrien. Ce dernier conteste avoir la nationalité arménienne et accepte que le C.G.R.A. s’informe auprès de l’ambassade arménienne.

Dans un mail du 11 octobre 2013, l’ambassade arménienne informe le C.G.R.A. que le requérant possède la nationalité arménienne et qu’il lui a été délivré un passeport arménien le 1er janvier 2012.

Le C.G.R.A. prend donc, sur base de ces nouvelles informations, une décision de retrait du statut sur pied de l’article 57/6, § 1, 7°, de la loi de 1980 qui donne compétence au C.G.R.A. pour « retirer le statut de réfugié ou le statut de protection subsidiaire à l'étranger auquel la qualité de réfugié a été reconnue ou à qui la protection subsidiaire a été octroyée sur la base de faits qu'il a présentés de manière altérée ou qu'il a dissimulés, de fausses déclarations ou de documents faux ou falsifiés qui ont été déterminants dans l'octroi des dits statuts, ainsi qu'à l'étranger dont le comportement personnel démontre ultérieurement l'absence de crainte de persécution dans son chef ».

En l’espèce, le C.G.R.A. estime que le requérant a trompé les autorités en cachant sa  double nationalité arménienne. Constatant que le requérant ne risque ni la persécution ni des atteintes graves en Arménie, le C.G.R.A. décide de lui retirer son statut de protégé subsidiaire.

Le requérant introduit un recours contre cette décision.

Plusieurs moyens sont invoqués à l’appui du recours. Les principaux arguments sont les suivants :

  • le dossier administratif ne contient aucune preuve que le requérant a un titre de séjour en Arménie ou est titulaire de la nationalité arménienne ; le C.G.R.A. admet qu’il n’est pas en possession du passeport arménien ;
  • la décision a été prise sans vérifier si l’individu identifié comme citoyen arménien par les services consulaires d’Arménie  est la même personne que le requérant. Un autre citoyen arménien pourrait avoir le même nom.
  • le requérant n’a pas eu accès au courrier envoyé par le C.G.R.A. à l’ambassade arménienne pour obtenir ces informations.

Le C.C.E relève que, vu les conséquences pour le requérant d’une telle décision, il est important que les éléments sur base desquels la décision de retrait est prise figurent au dossier administratif. 

Or, le C.G.R.A. ne se fonde que sur un courriel du consulat arménien pour affirmer que le requérant dispose de la nationalité arménienne. Aucune copie du passeport arménien du requérant n’est jointe au dossier. Il semble que pour conclure à la nationalité arménienne du requérant, le consulat se soit contenté de vérifier si un citoyen arménien a les mêmes données d’identité que celles inscrites sur le passeport syrien du requérant.

Par ailleurs, le C.C.E. conteste le raisonnement développé par le C.G.R.A. dans sa note d’observation. Selon le C.G.R.A., il revient au requérant de prouver qu’il n’a pas la nationalité arménienne en se rendant lui-même au consulat arménien pour comparer sa signature et ses autres données personnelles avec celles de son homonyme. Le C.C.E. juge au contraire que la charge de la preuve repose sur le C.G.R.A.

En l’espèce, le C.C.E. estime que le C.G.R.A. est resté en défaut d’apporter la preuve de la nationalité arménienne du requérant puisque les informations ne peuvent être vérifiées objectivement et qu’il n’est pas raisonnable de prendre une telle décision sur base d’une enquête aussi sommaire.

La décision de retrait de statut est annulée.

B. Éclairage

Cet arrêt est intéressant en ce que le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après « C.C.E. ») estime que la charge de la preuve d’une autre nationalité en cas de retrait de statut pèse sur le C.G.R.A.

Dans un précédent arrêt du 12 avril 2013, le C.C.E. a jugé que, si le dépôt d’un passeport établit à suffisance la nationalité d’un demandeur d’asile, cela ne le dispense pas de participer à la charge de prouver qu’il ne possède aucune autre nationalité[1].

Les principes généraux relatifs à la charge de la preuve en matière d’asile sont donc d’application lorsqu’il s’agit d’établir l’absence de protection dans un Etat tiers.

Il appartient dans un premier temps au demandeur d’asile d’apporter la preuve qu’il ne bénéficie d’aucune autre nationalité ou, si cette preuve est impossible, de s’en expliquer. Ensuite, le C.G.R.A. doit évaluer la valeur probante de ces éléments et la crédibilité des dires du demandeur.

Dans l’arrêt commenté, la nationalité syrienne du requérant n’est pas contestée par le C.G.R.A. et est établie à suffisance par le dépôt de son passeport syrien. Il s’agit là d’une parfaite application des enseignements de l’arrêt Singh de la Cour eur. D.H.[2]. Dans cet arrêt, il était reproché aux instances belges de s’être focalisées sur l’examen de crédibilité du récit des requérants sans tenir compte des documents établissant leur identité dont l’authenticité n’était pourtant pas contestée.

Par ailleurs, le C.C.E. juge qu’il incombe au C.G.R.A. d’apporter la preuve de la nationalité arménienne du requérant dans la mesure où c’est lui qui prend la décision de lui retirer son statut sur cette base.

Cela signifie qu’en cas de décision de retrait, la charge de la preuve d’une autre nationalité pèse sur le C.G.R.A. alors qu’elle est partagée lorsqu’il s’agit d’obtenir un statut de protection.

S.D.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., 17 avril 2014, n° 122.659.

Législation

Article 57/6, § 1, 7°, de la loi du 15 décembre 1980.

Jurisprudence

Cour eur. D.H., 2 octobre 2012, Singh et autres c. Belgique, req. n° 33210/11, § 16.

C.C.E., 12 avril 2013, n° 100.873.

Doctrine

L. LEBOEUF, « Les suites de l’arrêt Cour eur. D.H. Singh. Le dépôt d’un passeport ne dispense pas le demandeur ‘manifestement réticent’ à coopérer avec les autorités d’établir son dernier lieu de résidence », Newsletter EDEM, août 2013.

Pour citer cette note : S. DATOUSSAID, «Renversement de la charge de la preuve d’une double nationalité en cas de décision de retrait de statut», Newsletter EDEM, juin 2014.

Publié le 15 juin 2017