C.C.E., arrêt no 96933 du 12 février 2013

Louvain-La-Neuve

La participation aux activités d’un groupe terroriste ne suffit pas en soi à fonder une exclusion pour des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

Exigeant l’imputabilité de faits précis au requérant et un seuil de gravité élevé pour retenir la qualification d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies, le C.C.E. refuse en l’espèce l’exclusion du statut de réfugié d’un requérant condamné pénalement pour participation aux activités d’un groupe terroriste.

Participation aux activités d’un groupe terroriste – agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies – exclusion – art. 55/2 Loi 15 décembre 1980 (Reconnaissance)

A. Arrêt

Le requérant a été exclu du statut de réfugié par le C.G.R.A., en application de l’article 55/2 de la loi du 15 décembre 1980, au vu des raisons sérieuses de penser qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies. Ces raisons se fondent sur une condamnation en correctionnel pour participation aux activités d’un groupe terroriste. Dans son arrêt du 12 février 2013, le C.C.E. a distingué d’une part les faits imputables à l’organisation et, d’autre part, ceux imputables au requérant. Il a conclu que ni les uns, ni les autres, ne suffisaient pour fonder une exclusion.

Concernant l’organisation, il a relevé que le groupe auquel appartenait le requérant ne s’était vu imputer aucun fait ou acte précis tombant sous le coup de la clause d’exclusion. Or, selon la C.J.U.E., l’application d’une clause d’exclusion exige l’évaluation des faits précis dont l’autorité compétente a connaissance en vue de déterminer s’il existe des raisons sérieuses de penser que l’organisation dont la personne est membre a commis des actes tombant sous le coup de la clause d’exclusion[1].

Concernant le requérant, le C.C.E. relève que les faits qui lui sont imputés sont le soutien logistique à une entreprise terroriste par le biais, notamment, de services matériels ou intellectuels ; la contrefaçon de passeports et la cession frauduleuse de passeports qualifiés d’acte de participation à l’activité d’une cellule qui apporte son soutien logistique à un mouvement terroriste ; et la participation active dans l’organisation d’une filière d’envoi de volontaires en Irak. Ces faits ne constitueraient pas, en tant que tels, des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies, à savoir une « menace pour la paix et la sécurité internationales, dans le but de gravement intimider une population ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale »[2].

Prenant en compte le principe de stricte interprétation des clauses d’exclusion, le C.C.E. conclut que ni l’imputation d’un acte précis à l’organisation dont le requérant a été jugé membre, ni la réalité d’un agissement personnel de celui-ci suffisamment grave pour être qualifié d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, n’ont été rapportées. Il n’y a dès lors pas lieu d’exclure.

B. Éclairage

Avant cet arrêt, la demande de protection du requérant avait déjà fait l'objet de trois décisions du C.G.R.A., de trois arrêts du C.C.E.[3] et d’une cassation par le Conseil d'État[4]. La cassation du Conseil d’État se fondait sur deux motifs : contradiction dans les motifs avancés par le C.C.E. et violation de la foi due aux actes. Cette cassation reposait sur une compréhension erronée des motivations du C.C.E[5]. Ce dernier s’est logiquement contenté d’éclaircir celles-ci, sans réellement modifier son raisonnement.

Selon le C.E., il y avait une contradiction dans le raisonnement du C.C.E. lorsque d’une part, il admettait l’organisation d’une filière d’envoi de deux volontaires en Irak pour y combattre les forces américaines, le désir du requérant de partir pour le Djihad, de devenir martyr et de frapper les intérêts américains en exécutant des opérations suicide[6] et, d’autre part, il considérait que faute de pouvoir caractériser davantage les cibles et les méthodes utilisées, ces faits ainsi établis n’atteignaient pas le seuil d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Le C.E. considérait également qu’il y avait une violation de la foi due aux actes en ce qu’il n’avait été mis en évidence aucun fait précis donnant à penser que, dans le cadre de ses activités au sein du groupe terroriste, le requérant s’était rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies[7], alors que celui-ci avait été condamné pénalement en 2006 pour participation aux activités d’un groupe terroriste.

C’est une compréhension trop large de la nature des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies qui est à l’origine de la cassation prononcée par le C.E. Dans son dernier arrêt, le C.C.E. a réaffirmé qu’il ne suffisait pas que le comportement ait été qualifié de terroriste au niveau national, même par le biais d’une condamnation pénale, encore fallait-il examiner s’il constituait une menace pour la paix et la sécurité internationales. Il a également rappelé que conformément aux exigences de la C.J.U.E., des faits précis ainsi définis devaient être imputables au requérant. Cette jurisprudence est en cohérence avec une récente décision de la Cour suprême britannique qui a considéré que les termes agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies devaient avoir une signification autonome ; qu’il ne pouvait être accepté que chaque État membre soit libre d’adopter individuellement sa propre définition[8].

P.dH.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., arrêt no 96.933, 12 février 2013.

  • En doctrine

L. Leboeuf et E. Neraudau, La réception du droit européen de l’asile en droit belge : le Règlement Dublin et la Directive Qualification, sous la direction de S. Saroléa, Louvain-la-Neuve, CeDIE (UCL), 2012, pp. 400-404.

A. Zimmermann et P. Wennholz, « Article 1 F (Definition of the Term ‘Refugee’/Définition du Terme ‘Réfugié’) », in A. Zimmermann (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a Commentary, Oxford, OUP, 2012, pp. 579-610 ;

G. S. Goodwin-Gill et J. McAdam, The Refugee in International Law, 3e édition, Oxford, OUP, 2007, pp. 162-191.

U.N.H.C.R., Guidelines on international protection: Application of the Exclusion Clauses: Article 1F of the 1951 Convention relating to the Status of Refugees, HCR/GIP/03/05, 4 septembre 2003.

  • En jurisprudence

C.J.U.E., 9 novembre 2010, B. et D. c. Allemagne, aff. no C-57/09 et C-101/09, Rec. C.J.U.E. p. I-10979.

C.C.E. (Belgique), arrêt no 64.356, 1er juillet 2011.

C.E. (Belgique), arrêt no 220.321, 13 juillet 2012.

Supreme Court (U.K.), Al-Sirri and DD v. Secretary of State, [2012] UKSC 54, 21 novembre 2012 ; Supreme Court (Canada), Pushpanathan v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [1998] 1 S.C.R. 982, 4 juin 1998.

Pour citer cette note : P. d’Huart, « La participation aux activités d’un groupe terroriste ne suffit pas en soi à fonder une exclusion pour des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies », Newsletter EDEM, février 2013.


[1] C.J.U.E., 9 novembre 2010, B. et D. c. Allemagne, aff. no C-57/09 et C-101/09, Rec. C.J.U.E. p. I-10979, § 87.

[2] C.C.E., arrêt no 96933 du 12 février 2013, § 5.9.7.

[3] C.C.E., arrêt no 54.335, 13 janvier 2011 ; arrêt no 57.261, 3 mars 2011 ; arrêt no 64.356, 1er juillet 2011.

[4] C.E. (section du contentieux administratif - Belgique), arrêt no 220.321 du 13 juillet 2012.

[5] Ainsi que l’on a pu l’écrire par ailleurs : P. d’Huart, « Arrêt du Conseil d’État no 220.321 du 13 juillet du 2012 : commentaire », Newsletter EDEM, septembre 2012.

[6] C.E. (section du contentieux administratif), arrêt no 220.321 du 13 juillet 2012 ; C.C.E., arrêt no 64.356, 1er juillet 2011, p. 16.

[7] C.E. (section du contentieux administratif), arrêt no 220.321 du 13 juillet 2012, p. 10.

[8] Supreme Court (U.K.), Al-Sirri and DD v. Secretary of State, [2012] UKSC 54, 21 novembre 2012, § 36.

Publié le 21 juin 2017