C.J., 22 novembre 2012, M.M., aff. C-277/11, non encore publié au Rec.

Louvain-La-Neuve

Le droit d’être entendu s’applique au demandeur de protection subsidiaire.

Le droit d’être entendu consacré par l’article 41, § 2, a), de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne oblige les États à entendre les observations du demandeur quant à l’octroi de la protection subsidiaire même si un entretien a déjà eu lieu dans le cadre de sa demande d’asile.

Art. 41 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 4 Directive 2011/95/UE dite « qualification » - droit d’être entendu – devoir de coopération

A. L’arrêt

M.M., ressortissant rwandais confronté au rejet de sa demande d’asile par les autorités irlandaises, sollicite auprès d’elles la protection subsidiaire conformément à la procédure dédoublée en vigueur en Irlande : le « guichet unique » prévoyant le dépôt et l’examen simultané des demandes d’asile et de protection subsidiaire n’y a pas été instauré. L’administration irlandaise signifie à M.M. une décision de refus d’octroi de la protection subsidiaire sans lui donner au préalable l’opportunité de présenter ses arguments autrement que via le formulaire de demande de protection subsidiaire.

Devant la High Court d’Irlande, M.M. invoque l’obligation de coopération consacrée par l’article 4, § 1, de la directive 2004/83/CE dite « qualification » (aujourd’hui refondue en directive 2011/95/UE) pour contester cette attitude de l’administration. Le juge irlandais interroge en conséquence la Cour de justice de l’Union européenne : «Dans l’hypothèse où un demandeur sollicite le statut conféré par la protection subsidiaire après que le statut de réfugié lui a été refusé, et où il est proposé qu’une telle demande soit rejetée, l’exigence de coopérer avec le demandeur imposée aux États membres par l’article 4, paragraphe 1, [seconde phrase,] de la directive 2004/83 […] oblige-t-elle les autorités administratives de l’État membre en question à communiquer au demandeur les résultats d’une telle appréciation avant l’adoption d’une décision finale, de manière à lui permettre de réagir aux aspects de la décision proposée qui tendent à la réponse négative ? »[1].

La Cour répond à partir de deux obligations imposées par le droit de l’Union européenne : le devoir de coopération consacré par l’article 4, § 1, de la directive 2004/83/CE « qualification » et le droit d’être entendu reconnu tant par la directive 2005/85/CE « procédure » que par l’article 41, § 2, a), de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Premièrement, en ce qui concerne le devoir de coopération, la Cour considère qu’il n’impose aucune obligation pour les États de communiquer préalablement les motifs fondant une décision négative. D’une part, l’article 4, § 1, de la directive qualification n’énonce pas une telle obligation. D’autre part, le devoir de coopération vise l’ « établissement des circonstances factuelles »[2] qui soutiennent la demande de protection internationale et non l’ « appréciation juridique »[3] de ceux-ci à la lumière des conditions de reconnaissance du statut de réfugié ou d’octroi de la protection subsidiaire. Cette appréciation juridique, qui intervient dans un second temps, relève de la « seule responsabilité »[4] de l’administration.

Deuxièmement, en ce qui concerne le droit d’être entendu, la directive procédure ne le reconnait en ses articles 12 et 13, § 3, que pour les demandeurs d’asile. Cette garantie procédurale ne concerne l’examen d’une demande de protection subsidiaire que lorsque l’État applique la procédure du « guichet unique »[5]. Cependant, le droit d’être entendu relève du droit à une bonne administration consacré par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux, lequel est « d’application générale »[6]. Il s’applique à l’examen des demandes de protection subsidiaire, même si celui-ci intervient dans une procédure dédoublée. Contrairement à ce que concluait l’avocat général[7], l’audition du demandeur intervenue lors de l’analyse de la demande d’asile déposée préalablement ne dispense pas de l’entendre à nouveau au sujet de la protection subsidiaire[8]. En effet, tant les conditions à remplir pour bénéficier de l’asile ou de la protection subsidiaire que les droits qui en découlent diffèrent[9].

Pour cette raison, la Cour considère que, si l’article 4, § 1, de la directive qualification n’oblige pas les États à communiquer les motifs pour lesquels ils s’apprêtent à adopter une décision de rejet d’une demande de protection internationale, le droit d’être entendu consacré par l’article 41, § 2, a), de la Charte des droits fondamentaux impose d’entendre le demandeur avant de statuer sur sa demande de protection subsidiaire même s’il a déjà été entendu dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile.

B. Éclairage

Si l’arrêt M.M. concerne principalement les quelques États appliquant encore une procédure dédoublée, certains de ses enseignements s’adressent à ceux qui, comme la Belgique[10], ont mis en place un « guichet unique ». D’une part, le devoir de coopération consacré par l’article 4, § 1, de la directive qualification est clarifié. D’autre part, l’application du droit procédural à une bonne administration aux demandeurs d’asile est assurée.

Selon la Cour, le devoir de coopération implique l’obligation pour les administrations nationales d’aider le demandeur à réunir « l’ensemble des éléments de nature à étayer sa demande »[11]. Cette considération intervient quelques semaines après l’arrêt Singh c. Belgique[12] rendu par la Cour européenne des droits de l’homme, où les juges strasbourgeois avaient condamné la passivité des autorités sous l’angle du droit à un recours effectif consacré par les articles 3 et 13 C.E.D.H. Celles-ci avaient considéré l’origine alléguée par les requérants comme non crédible, invoquant leur manque de coopération pour ne pas enquêter sur la véracité de leurs documents d’identité. Dans M.M., la Cour déduit du devoir de coopération reconnu par l’article 4, § 1, de la directive qualification l’obligation à charge des autorités de ne pas demeurer passives en ce qui concerne l’établissement des faits à l’origine de la demande[13]. Une fois de plus, les standards de protection établis par le droit de l’Union en matière d’asile rejoignent ceux de la Convention européenne des droits de l’homme[14].

Le droit d’être entendu relève du droit à une bonne administration reconnu par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux. Les principes de bonne administration ont connu de nombreux développements dans la jurisprudence de la Cour, principalement en droit de la concurrence[15]. Ils concernent notamment le droit d’accéder au dossier, qui peut être soumis à exception[16]. En reconnaissant aux demandeurs de protection internationale le droit à une bonne administration de leur dossier, la Cour assure dans M.M. la cohérence au sein du droit de l’Union entre les standards de protection des droits fondamentaux. La qualité de demandeur de protection internationale ne justifie pas qu’il bénéficie d’une protection au rabais.

Au travers de ce souci de cohérence tant externe, vis-à-vis de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’interne, vis-à-vis des standards établis dans d’autres domaines de droit de l’Union, la Cour de justice veille à encadrer l’autonomie procédurale dont bénéficient les États membres dans leur mise en œuvre des instruments du système européen commun d’asile. Leur choix de pratiquer une procédure dédoublée ne peut se réaliser aux dépens des droits fondamentaux du demandeur de protection subsidiaire. Ce faisant, l’intérêt pour les États de mettre en œuvre une procédure unique conformément aux recommandations de la Commission[17] est subtilement renforcé.

L.L.

C. Pour en savoir plus

- Pour consulter l’arrêt : C.J., 22 novembre 2012, M.M., aff. C-277/11, non encore publié au Rec.

- Conclusions de l’Avocat-général Yves Bot dans C.J., M.M., aff. C-277/11, présentées le 26 avril 2012.

- M. Desomer, « De Belgische asielprocedure en de Europese administratieve rechtsbeginselen van de hoorplicht en het recht op inzage », T. Vreemd., 2009, pp. 15-24.


[1] CJ, M.M., op. cit., § 56.

[2] Ibid., § 64.

[3] Ibid.

[4] Ibid., § 70.

[5] Ibid., § 79.

[6] Ibid., § 84.

[7] Conclusions de l’avocat général Yves Bot dans C.J., M.M., op. cit., présentées le 26 avril 2012, § 80.

[8] Ibid., § 90.

[9] Ibid., § 92.

[10] Art. 49/3 de la loi du 15 décembre 1980.

[11] C.J., M.M., op. cit., § 66.

[12] Cour eur. D.H., 2 octobre 2012, Singh et autres c. Belgique, req. n° 33210/11. Cet arrêt a été commenté dans la newsletter EDEM d’octobre 2012.

[13] C.J., M.M., op. cit., § 66.

[14] Ce souci de cohérence entre le droit de l’Union et de la Convention européenne des droits de l’homme traverse la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière d’asile. Voy. par ex. : C.J., 21 décembre 2011, N.S., aff. C-411/10, non encore publié au Rec. ; C.J., 5 septembre 2012, Y.et Z., aff. jointes C-71/11 et C-99/11, non encore publié au Rec.

[15] Pour un aperçu, voy. K. Lenaerts, « ‘In the Union We Trust’: Trust-Enhancing Principles of Community Law », C.M.L.R., 2004, pp. 317-343.

[16] Art. 41, § 2, b), de la Charte des droits fondamentaux.

[17] COM (2004) 503 final, « Un régime d’asile européen commun plus efficace – la procédure unique comme prochaine étape ».

Publié le 23 juin 2017