Évaluation de la réalité de l’homosexualité d’un demandeur d’asile : deuxième pas luxembourgeois.
La Cour de justice de l’Union européenne juge que la réalisation et l’utilisation d’une expertise psychologique ayant pour objet, sur la base de tests projectifs de la personnalité, de déterminer l’orientation sexuelle d’un demandeur d’asile constitue une ingérence disproportionnée dans sa vie privée.
Crainte de persécution en raison de l’orientation sexuelle – article 4 de la directive qualification – appréciation des faits et des circonstances – établissement de l’orientation sexuelle - recours à une expertise – test psychologique – respect de la vie privée et familiale.
A. Arrêt
Le requérant, F., est un ressortissant nigérian. Il a introduit une demande d’asile en Hongrie, en avril 2015, basée sur sa crainte de faire l’objet de persécutions en raison de son homosexualité en cas de renvoi au Nigéria. L’Office hongrois de l’immigration et de l’asile (Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal) a examiné la crédibilité du requérant au moyen de plusieurs entretiens. Il a considéré que les déclarations de F. ne présentaient pas de contradictions fondamentales mais a pourtant conclu à l’absence de crédibilité de celles-ci, sur la base d’une expertise réalisée par un psychologue. Ce dernier a procédé à des examens en vue d’attester de l’orientation sexuelle du requérant. Il s’agissait d’un examen exploratoire, d’un examen de la personnalité, du « test du dessin d’une personne sous la pluie » et des tests de Rorschach et de Szondi. Le psychologue a conclu que les résultats des examens ne confirmaient pas l’affirmation du requérant selon laquelle il était homosexuel. Partant, l’Office de l’immigration et de l’asile a rejeté la demande d’asile.
Le requérant a introduit un recours contre cette décision devant le tribunal des affaires administratives et du travail de Szeged (Szegedi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság). Il a notamment fait valoir que les examens réalisés portaient atteinte à ses droits fondamentaux d’une part et n’étaient pas adaptés à la démonstration de son orientation sexuelle d’autre part. Le tribunal a alors demandé à l’Institut des experts et chercheurs judiciaires d’établir un rapport d’expertise sur ces questions. Deux indications sont ressorties de ce rapport. Premièrement, contrairement à ce que faisait valoir le requérant, les tests en cause n’étaient pas de nature à enfreindre sa dignité humaine. Deuxièmement, les tests en cause étaient adaptés à donner une image de l’orientation sexuelle d’une personne et, le cas échéant, à remettre en question le bien-fondé des affirmations d’une personne à ce sujet d’autre part.
Le tribunal a estimé que, dès lors qu’il ne disposait pas des connaissances scientifiques et techniques nécessaires pour contrôler les conclusions des experts, il ne pouvait s’écarter de ces dernières. Il a aussi considéré que les tests en cause n’étaient pas des tests de caractère médical, parce que la psychologie relèverait des sciences humaines, et que lesdits tests n’étaient pas semblables à ceux jugés par la Cour de justice comme incomptables avec le droit de l’Union dans son arrêt A., B. et C. (infra). Le requérant avait d’ailleurs déclaré n’avoir été soumis à aucun examen physique ni contraint de regarder des images ou des vidéos à caractère pornographique.
Partant, le tribunal a posé deux questions préjudicielles.
- Faut-il interpréter l’article 4 de la directive qualification, à la lumière de l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[1], en ce sens qu’il ne fait pas obstacle, en ce qui concerne des demandeurs d’asile LGBTI, à ce que soit établi un rapport d’expertise psychologique judiciaire, qui sera pris en considération, fondé sur des tests projectifs de la personnalité, ce rapport étant établi sans qu’aucune question ne soit posée au demandeur d’asile quant à ses habitudes sexuelles et sans que le demandeur d’asile ne soit soumis à aucun examen physique ?
- Au cas où ce rapport d’expertise ne pourrait être utilisé comme élément de preuve, faut-il interpréter l’article 4 de la directive qualification, lu à la lumière de l’article 1er de la Charte, en ce sens qu’il n’existe aucune possibilité, ni pour les autorités nationales, ni pour les juridictions, d’examiner avec des méthodes d’expertise la crédibilité des allégations de la personne qui présente une demande d’asile fondée sur la persécution en raison de l’orientation sexuelle, quelles que soient les caractéristiques particulières de la méthode d’expertise ?
La Cour de justice commence par examiner la seconde question préjudicielle (pts 27 à 46). Elle constate que l’article 4 de la directive qualification, qui traite de l’évaluation des faits et des circonstances, n’exclut pas le recours aux expertises afin de déterminer au mieux le besoin de protection internationale du demandeur. Au contraire, dans le contexte particulier d’une demande de protection basée sur l’orientation sexuelle, certaines formes d’expertise sont utiles à l’évaluation des faits et peuvent être réalisées sans porter atteinte aux droits fondamentaux du demandeur. Le recours à un expert peut en effet permettre de recueillir des informations plus complètes sur la situation des personnes partageant une certaine orientation sexuelle dans le pays d’origine. De plus, l’article 10, § 3, d), de la directive procédures prévoit spécifiquement que les autorités en charge de la détermination doivent pouvoir demander conseil à des experts sur des matières particulières comme les questions liées au genre.
La Cour estime donc que l’article 4 de la directive qualification ne s’oppose pas à ce que l’autorité responsable de la détermination ordonne une expertise dans le cadre de l’évaluation des faits relatifs à l’orientation sexuelle alléguée d’un demandeur. Elle pose toutefois trois conditions :
- les modalités du recours à l’expertise doivent être conformes aux dispositions pertinentes du droit de l’Union européenne, notamment aux articles 1er et 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui garantissent le droit au respect de la dignité humaine et le droit au respect de la vie privée et familiale ;
- l’autorité responsable de la détermination, et la juridiction de recours, ne peuvent pas fondre pas leur décision sur les seules conclusions du rapport d’expertise ;
- l’autorité responsable de la détermination, et la juridiction de recours, ne peuvent pas être liées par les conclusions du rapport d’expertise lors de l’appréciation des déclarations du demandeur relatives à son orientation sexuelle.
La Cour déduit ces deux dernières conditions de l’article 4, § 1er, et de l’article 10, § 3, de la directive procédures. Elle ajoute qu’il ressort de l’article 4, § 3, de la directive qualification que l’examen de la demande doit comprendre une évaluation individuelle de cette demande en tenant compte notamment de tous les faits pertinents concernant le pays d’origine du demandeur, des informations et des documents pertinents présentés par celui-ci ainsi que de son statut individuel et de sa situation personnelle. Il ressort de l’article 4, § 5, que l’autorité compétente doit également prendre en considération les explications fournies quant à l’absence d’éléments probants et la crédibilité générale du demandeur (bénéfice du doute). La Cour raisonne dans le même sens pour la juridiction de recours (article 46, § 4, de la directive procédures).
La Cour répond ensuite à la première question préjudicielle (pts 47 à 71). La Cour constate que l’expertise est réalisée dans un contexte où l’intéressé, appelé à se soumettre à des tests projectifs de personnalité, se trouve dans une situation où son avenir dépend étroitement du sort que l’autorité réservera à se demande de protection et où un éventuel refus de se soumettre à ces tests est susceptible de constituer un élément important sur lequel l’autorité se fondera pour déterminer s’il a suffisamment étayé sa demande. Par conséquent, même si l’expertise est subordonnée à l’expression du consentement de l’intéressé, la Cour considère que ce consentement n’est pas nécessairement libre car il est, de facto, imposé sous la pression des circonstances dans lesquelles se trouvent les demandeurs de protection internationale. Ainsi, la réalisation et l’utilisation d’une expertise psychologique constitue une ingérence dans le droit de la personne au respect de sa vie privée (article 7 de la Charte).
La Cour vérifie la proportionnalité de l’ingérence. Elle rappelle que le principe exige que les actes adoptés ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que les inconvénients causés par celle-ci ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (Tempelman et van Schaijk (2005), pt 47 ; CHEZ Razpredelenie Bulgaria (2015), pt 123 ; J. N. (2016), pt 54).
Selon la Cour, si une ingérence dans la vie privée d’un demandeur est susceptible d’être justifiée par la recherche d’éléments permettant d’apprécier ses besoins réels de protection, l’autorité responsable doit apprécier, sous le contrôle du juge, le caractère approprié et nécessaire à la réalisation de cet objectif d’une expertise psychologique qu’elle envisage d’ordonner ou dont elle souhaite tenir compte. Elle souligne que le caractère approprié d’une telle expertise ne pourra être admis que si elle est fondée sur des méthodes et des principes suffisamment fiables au regard des normes admises par la communauté scientifique internationale. Il n’appartient pas à la Cour mais au juge national de se prononcer sur point. Elle relève toutefois que la fiabilité d’une telle expertise a été fortement contestée par les gouvernements français et néerlandais ainsi que par la Commission.
La Cour poursuit en insistant sur le caractère démesuré par rapport au but visé d’une telle expertise sur la vie privée du demandeur, dès lors que la gravité de l’ingérence qu’elle constitue ne saurait être considérée comme proportionnée à l’utilité que celle-ci pourrait éventuellement présenter pour l’évaluation des faits. Et ce, pour deux raisons.
- Premièrement, l’ingérence dans la vie privée d’une telle expertise présente au regard de sa nature et de son objet une gravité particulière. Le demandeur doit se soumettre à une série de tests psychologiques destinés à établir un élément essentiel de son identité qui a trait à sa sphère personnelle et intime. La Cour ajoute que pour apprécier la gravité de l’ingérence, il faut tenir compte du principe 18 des principes de Yogyakarta sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Celui-ci prévoit que nul ne peut être forcé de subir une quelconque forme de test psychologique en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. En combinant ces éléments, la Cour considère que la gravité de l’ingérence dans la vie privée de l’expertise en l’espèce dépasse ce qu’implique l’évaluation des déclarations du demandeur de protection relatives à une crainte de persécution en raison de son orientation sexuelle ou le recours à une expertise psychologique ayant un autre objet que celui d’établir l’orientation sexuelle de ce demandeur.
L’ingérence dans le respect de la vie privée (article 7 de la Charte) étant disproportionnée, la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner l’ingérence dans le droit au respect de la dignité humaine (article 1er de la Charte).
- Deuxièmement, la Cour estime qu’une telle expertise n’est pas indispensable pour confirmer les déclarations d’un demandeur relatives à son orientation sexuelle.
- L’entretien personnel (l’audition) est de nature à contribuer à l’évaluation les déclarations dans la mesure où l’article 15, § 3, a), de la directive procédures prévoit que la personne chargée de mener l’entretien soit compétente pour tenir compte de la situation personnelle du demandeur, ce qui couvre son orientation sexuelle. Dans le même sens, l’article 4, § 1er, de la directive prévoit que l’autorité responsable de la détermination dispose des moyens appropriés et du personnel compétent pour accomplir ses tâches.
- L’article 4, § 5, de la directive qualification prescrit que le bénéfice du doute est octroyé au demandeur dont les déclarations ne sont pas étayées par des preuves documentaires à cinq conditions. L’une des conditions renvoie à la cohérence et à la plausibilité des déclarations (condition rencontrée à l’espèce) mais l’article ne mentionne pas la réalisation ou l’utilisation d’une expertise.
- À supposer qu’une expertise fondée sur des tests projectifs de la personnalité puisse contribuer à déterminer avec une certaine fiabilité l’orientation sexuelle de l’intéressé, les conclusions d’une telle expertise seraient, selon la juridiction de renvoi, seulement susceptibles de donner une image de cette orientation sexuelle. Ces conclusions présentent ainsi un caractère approximatif et n’ont qu’un intérêt limité pour apprécier les déclarations d’un demander, d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, ces déclarations sont dénuées de contradiction.
La Cour conclut que l’article 4 de la directive qualification s’oppose à la réalisation et à l’utilisation, en vue d’apprécier la réalité de l’orientation sexuelle alléguée d’un demandeur de protection internationale, d’une expertise psychologique ayant pour objet, sur la base de tests projectifs de la personnalité, de fournir une image de l’orientation sexuelle de ce demandeur.
B. Éclairage
La Cour de justice s’est prononcée à deux reprises sur le traitement des demandes d’asile fondée sur l’orientation sexuelle.
Dans l’arrêt X., Y. et Z. (2013), la Cour confirme que les demandeurs d’asile homosexuels peuvent constituer un groupe social spécifique susceptible d’être persécuté en raison de son orientation sexuelle. Contrairement aux principes directeurs du HCR (n° 2, 2008, pt 11) et à la loi du 15 décembre 1980 (article 48/3, § 4, d)), la directive qualification propose une définition stricte du groupe social. Elle exige le cumul de deux conditions tandis que les premiers recommandent leur application alternative. L’article 10, § 1er, d), al. 1er, de la directive établit que, pour composer un groupe social, des individus doivent partager une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce (caractéristique commune immuable ou essentielle) et constituer un groupe avec son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante (perception sociale). L’article 10, § 1er, d), al. 2, de la directive qualification ajoute qu’un groupe social peut être constitué des individus partageant la même orientation sexuelle. En l’espèce, la Cour estime d’une part que l’homosexualité est une caractéristique essentielle pour l’identité d’un individu et d’autre part que sa pénalisation implique que les homosexuels soient perçus comme différents du reste de la société. En conséquence, elle constate que les requérants relèvent d’un groupe social.
Dans l’arrêt X., Y. et Z., la Cour déclare également qu’il n’est pas permis de s’attendre à ce que, afin d’éviter une persécution, un demandeur d’asile dissimule son homosexualité dans son pays d’origine. Il serait contradictoire d’exiger d’un individu qu’il camoufle son orientation sexuelle alors qu’elle est une caractéristique pouvant fonder un groupe social, parce qu’elle est à ce point essentielle pour l’identité d’un individu qu’il ne peut être exigé qu’il y renonce et parce qu’elle est innée. La Cour précise que le demandeur doit pouvoir poser tous les actes ou expressions qui pourraient révéler son homosexualité sans qu’il n’en résulte l’infliction de persécutions. L’homosexualité ne doit pas se cantonner à la sphère privée mais doit pouvoir être manifestée sans réserve dans la sphère publique.
Dans l’arrêt A., B. et C. (2014), la Cour s’exprime sur les modalités d’évaluation de l’orientation sexuelle d’un demandeur d’asile. D’une part, la Cour établit que la seule affirmation de son orientation sexuelle par le demandeur – l’auto-identification – ne suffit pas à tenir celle-ci pour établie. D’autre part, elle fixe quatre limites à l’évaluation de l’orientation sexuelle par les autorités nationales. La première est que l’obligation d’individualisation de l’évaluation des demandes d’asile s’oppose à ce que l’orientation sexuelle alléguée soit remise en cause au seul motif que le demandeur échoue à répondre à des questions fondées sur des stéréotypes, comme la connaissance des associations de défense des intérêts des homosexuels. La seconde limite concerne les interrogatoires destinés à apprécier les faits et les circonstances relatives à l’orientation sexuelle alléguée du demandeur d’asile. Si les autorités nationales peuvent recourir à de tels interrogatoires, ceux-ci ne peuvent concerner les détails des pratiques sexuelles car cela serait contraire aux droits fondamentaux garantis par la Charte et, notamment, au droit au respect de la vie privée et familiale. La troisième limite porte sur la possibilité, pour les autorités nationales, d’accepter, l’accomplissement d’actes homosexuels, la soumission à d’éventuels tests en vue d’établir leur homosexualité ou bien encore la production de preuves telles que des enregistrements vidéo de leurs actes intimes. La Cour souligne que, outre le fait que de tels éléments n’ont pas de valeur nécessairement probante, ils seraient de nature à porter atteinte au droit au respect de la dignité humaine tel que garanti par la Charte. La Cour ajoute qu’autoriser ou accepter un tel type de preuves aurait un effet indicatif pour les autres demandeurs et emporterait, de facto, l’imposition à ces derniers de telles preuves. La quatrième limite revient à considérer que l’obligation d’individualisation s’oppose à ce que l’orientation sexuelle invoquée soit estimée non crédible pour la seule raison qu’elle n’a été invoquée qu’à un stade tardif de la procédure. La Cour souligne que les questions relatives à la sexualité étant particulièrement sensibles, il ne peut être conclu au défaut de crédibilité de celle-ci du seul fait qu’en raison de sa réticence à révéler certains aspects intimes de sa vie, l’intéressé n’ait pas d’emblée déclaré son homosexualité.
Dans cette affaire, la Cour détermine la manière dont l’orientation sexuelle ne peut être évaluée. Tenue par les termes de la question préjudicielle, elle ne va pas plus loin et ne précise pas comment l’évaluation peut être faite. C’est également le cas dans l’arrêt commenté. La Cour établit que les autorités compétentes peuvent, sous conditions, ordonner une expertise en vue d’évaluer la réalité de l’homosexualité. Elle ouvre ainsi une porte. Elle la referme aussitôt s’agissant d’une expertise psychologique ayant pour objet, sur la base de tests projectifs de la personnalité, de fournir une image de l’orientation sexuelle de ce demandeur. Et ce, parce qu’elle estime que « l’incidence d’une expertise telle que celle en cause au principal sur la vie privée du demandeur apparait démesurée par rapport au but visé, dès lors que la gravité de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée qu’elle constitue ne saurait être considérée comme proportionnée à l’utilité que celle-ci pourrait éventuellement présenter pour l’évaluation des faits et circonstances prévues à l’article 4 de la directive [qualification] » (pt 59). Aux termes de l’arrêt commenté, on n’en sait donc pas plus sur la manière d’évaluer l’orientation sexuelle.
Selon les principes directeurs du HCR (n° 9, 2012, pts 63 à 65), pour évaluer l’orientation sexuelle d’un demandeur, il convient de l’interroger au sujet de son auto-identification en tant que personne LGBTI, son enfance, son coming out, son identité de genre, son sentiment de non-conformité, ses relations familiales, ses relations romantiques et sexuelles, ses relations avec la communauté LGBTI et sa religion. Le HCR met l’accent sur l’interrogation du demandeur quant à son vécu personnel. Il estime que les questions relatives aux perceptions, aux sentiments et aux expériences personnelles du demandeur en matière de différence, de stigmatisation et de honte sont plus aptes à permettre l’identification d’une personne LGBTI que les questions sur les pratiques sexuelles. Il souligne également qu’on ne doit jamais demandeur au requérant d’apporter des preuves photographiques ou documentaires d’actes intimes et qu’il serait inapproprié d’attendre d’un couple qu’il soit physiquement démonstratif. Il ajoute que le contrôle médical de l’orientation sexuelle d’un demandeur est une violation des droits fondamentaux de la personne humaine et ne doit pas être utilisé.
En Belgique, on ne trouve, dans la jurisprudence du Conseil du contentieux des étrangers, de référence ni à des tests physiques (accomplissement d’actes homosexuels) tels que ceux de l’arrêt A., B. et C. ni à des tests projectifs de la personnalité comme dans l’arrêt commenté, qui ne semblent pas pratiqués par les instances belges de l’asile. Il ressort également d’une certaine jurisprudence du Conseil que la crédibilité de l’orientation homosexuelle doit être évaluée en interrogeant le demandeur sur son expérience personnelle, comme l’indique le HCR. Par exemple, concernant un demandeur d’asile nigérian, le Conseil juge que « s’agissant de sa prise de conscience et de son homosexualité, son vécu et son ressenti par rapport à celle-ci, [il] ne rejoint pas l’analyse faite par [le CGRA] et estime au contraire que les déclarations du requérant permettent d’appréhender le cheminement l’ayant amené à prendre conscience de son orientation sexuelle. En effet, le Conseil relève que le requérant fait état d’une prise de conscience progressive de son orientation sexuelle et que, à cet égard, il a non seulement détaillé ses premières impressions lorsqu’il était jeune et le fait qu’il se sentirait différent parce que, contrairement à ses amis, il n’était pas attiré par les filles. Il a également invoqué les questions qu’il se posait et la peur ressentie d’être découvert, ainsi que sa dissimulation pour éviter d’éveiller des soupçons auprès des membres de sa famille » (25 janvier 2017, n° 181 247, pt 4.7. Voy. aussi 10 octobre 2013, n° 111 674). Dans le même sens, alors que le CGRA interroge régulièrement les demandeurs d’asile sur le milieu homosexuel (associations de défense des droits des homosexuels, etc.) et déduit de leur absence de connaissance, ou de connaissances lacunaires ou imprécises, un élément pertinent pour établir le manque de crédibilité de l’orientation sexuelle alléguée, le Conseil ne va pas dans ce sens. Il considère par exemple que « la connaissance ou la méconnaissance des lieux de rencontre homosexuels par le requérant n’est pas en soi un élément suffisant pour se prononcer sur la crédibilité de l’orientation sexuelle de ce dernier » (22 septembre 2010, n° 48 414, pt 4.3) ou que « le fait que la partie requérante […] ne se soit pas renseignée sur les associations de défense des droits de l’homme qui existent sur place ne sont pas des motifs pertinents, la partie requérante ayant expliqué qu’elle n’était pas attirée par ces endroits et qu’elle n’était pas engagée dans la cause homosexuelle » (29 juin 2011, n° 64 121, pt 5.4).
Une autre piste consiste à aller au-delà de l’analyse de la crédibilité du récit du demandeur d’asile, et à se baser sur plusieurs commencements de preuve qui constituent un faisceau d’indices. Un commencement de preuve seul, ne suffit pas à établir l’homosexualité d’un demandeur d’asile. Mais lorsque plusieurs commencements de preuve sont réunis dans le chef d’une personne, le bénéfice du doute doit lui être accordé. Sans qu’il ne s’agisse d’une liste exhaustive, on peut relever quatre éléments qui ont déjà été considérés comme des commencements de preuve par le Conseil :
- les attestations de participation ou les attestations individuelles et personnalisées de conviction de l’homosexualité du demandeur délivrées par les associations de défense des droits des homosexuels en Belgique (9 novembre 2010, n° 50 966, pt 5.5 ; 26 juillet 2012, n° 85 261, pt 5.3.4) ;
- les témoignages, lorsque l’existence de leur auteur peut être vérifiée et que les circonstances de rédaction sont fiables (31 mars 2011, n° 58 956, pt 6.4) ;
- l’attitude du demandeur d’asile en Belgique (la manière dont il est perçu dans la communauté gay belge, ses prises de position, la revendication de son homosexualité) (23 février 2011, n° 56 585, pt 7.5.2) ;
- le fait de se définir comme quelqu’un d’homosexuel : les personnes qui requièrent l’asile sur la base d’une crainte de persécution liée à leur homosexualité ont vécu dans une société homophobe et tentent de retrouver la liberté d’aimer. Dès lors, livrer aux autorités compétentes leur homosexualité peut être un aveu difficile et il faut en tenir compte.
Comme l’arrêt A., B., C., l’arrêt commenté « parait intimement lié aux spécificités » du cas d’espèce » [2]. La Cour ne développe pas de « standards applicables à toute demande d’asile quel que soit le motif sur lequel elle se fonde »[3], mise à part l’exclusion de toute évaluation portant atteinte à la vie privée du demandeur et à sa dignité humaine qui nous semble pouvoir être appliquée de manière générale.
Dans une perspective plus large, non développée dans le présent commentaire, l’arrêt F. pose la question de la place de l’expertise et du recours à des personnes tierces dans la procédure d’asile. Cette question suscitera sans doute diverses réponses dans les prochains mois. L’article 11 du projet de loi du 9 novembre 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 et la loi du 12 janvier 2007 (doc 54 2548/012)[4] transpose en effet (enfin) l’article 18 de la directive procédures qui prévoit que si elle le juge pertinent et sous réserve du consentement du demandeur, l’autorité responsable de la détermination peut prendre les mesures nécessaires afin qu’il soit procédé à un examen médical portant sur des signes de persécutions ou d’atteintes graves qu’il a subis dans le passé. Par contre, le législateur n’a pas jugé opportun de transposer 10, § 3, d), de la même directive qui établit que « le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait la possibilité de demander conseil à des experts, le cas échéant, sur des matières particulières comme les questions médicales, culturelles, religieuses, ou celles liées aux enfants ou au genre ».
H.G.
C. Pour aller plus loin
Lire l’arrêt : CJUE, arrêt du 25 janvier 2018, F., C-473/16, EU:C:2018:36.
Jurisprudence
- CJUE, arrêt du 7 novembre 2013, X., Y. et Z., C-199/12 à 201/12, EU:C:2013:720 ;
- CJUE, arrêt du 2 décembre 2014, A., B. et C., C-148/13 à C-150/13, EU:C:2014:2406.
Doctrine
- E. DIDI, « Quelles sont les limitations imposées à la manière dont est apprécié le caractère crédible d’une orientation sexuelle prétendue ? », Rev. dr. étr., 2014, n° 180, pp. 691-698 ;
- L. LEBOEUF, « Droit européen de l’asile et homosexualité », Rev. dr. étr., 2014, n° 176, pp. 3-12 ;
Pour citer cette note : H. Gribomont, « Évaluation de l’homosexualité d’un demandeur d’asile : deuxième pas luxembourgeois », Cahiers de l’EDEM, février 2018.
[1] « La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. »
[2] L. LEBOEUF, « Arrêt "A, B et C" : les limites à l’évaluation de l’orientation sexuelle d’un demandeur d’asile », J.D.E., 2015, vol. 2, n° 216, p. 60.
[3] Ibid.
[4] La transposition de la directive procédures était initialement prévue pour juillet 2015.
Photo : https://www.designingbuildings.co.uk/wiki/Buildings_of_the_EU