Trib. Trav. Bruxelles (réf.), 24 janvier 2013, no12/220/C (définitif)

Louvain-La-Neuve

L’accueil d’un demandeur d’asile sous procédure Dublin ne prend fin que lorsqu’il est effectivement transféré et non à l’expiration du délai de l’O.Q.T.

Le Tribunal du Travail, siégeant en référé, a estimé que les obligations liées à l’accueil d’une mère célibataire afghane et de son bébé de 6 mois, qui ont demandé l’asile et sont soumis à une procédure « Dublin », ne prend fin que lorsque leur transfert vers l’Italie est effectué. Le Tribunal ne s’est pas rallié à l’opinion de FEDASIL selon laquelle le moment où l’O.Q.T. contenu dans l’annexe 26quater prend cours ou expire correspond au « transfert effectif » impliquant l’arrêt de l’aide prévue par la directive 2003/9. Le Tribunal a conclu que même si la décision de FEDASIL de mettre fin à l’aide matérielle de la demandeuse et de son bébé à l’expiration de l’ordre de quitter le territoire respecte la législation belge, cette dernière n’est pas conforme à la directive 2003/9, telle qu'interprétée par la Cour de justice.

Art. 1, 16, directive 2003/9 - Règlement n° 343/2003 - Art. 6, § 1er, 7, de la loi du 12 janvier 2007 - Fin de l’obligation d’accueil - Transfert effectif sous une procédure « Dublin » (condamnation).

A. Arrêt

Dans cette affaire, le Tribunal du travail de Bruxelles (Trib. trav.), siégeant en référé, examine la durée des obligations d’accueil envers les demandeurs d’asile soumis à une procédure « Dublin », en particulier la compatibilité de la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers (ci-après la « loi sur l’accueil ») avec la directive 2003/9 (ci-après la « directive relative aux conditions d’accueil ») telle qu’interprétée par la Cour de justice. La demande a été introduite par une mère célibataire afghane âgée de 22 ans qui vit en Belgique avec son fils de 6 mois. La requérante a déposé une demande d’asile le 22 septembre 2011. La Belgique a pris une décision de non-prise en considération de sa demande (annexe 26quater), dont l’examen incombe à l’Italie conformément au règlement Dublin II. Le 26 juin 2012, la requérante a introduit une nouvelle demande d’asile qui a été de nouveau refusée par l’État belge le 27 novembre 2012. La décision du refus de séjour avec ordre de quitter le territoire lui a été notifiée le 14 décembre 2012 et le délai de sept jours pour quitter le territoire expirait le 21 décembre 2012. Le recours en annulation introduit contre cette décision est pendant devant le C.C.E.

La requérante a été accueillie pendant la durée de sa nouvelle demande d’asile au centre d’accueil du Petit-Château. Le 16 octobre 2012, elle a donné naissance à son fils. Suite à l’expiration de l’O.Q.T., FEDASIL l’a informée qu’elle devra quitter le Petit-Château pour le 24 décembre 2012. Le 18 décembre 2012, elle a adressé à FEDASIL une demande de prolongation de l’aide matérielle, fondée sur l’article 7, § 3, de la loi sur l’accueil et s’appuyant sur sa situation médicale, l’intérêt supérieur de son enfant, son profil vulnérable ayant fui un mari violent ainsi que son recours pendant devant le C.C.E. Le 16 janvier 2013, FEDASIL a refusé d’accéder à sa demande et lui a accordé un délai de trois jours ouvrables pour quitter sa structure d’accueil.

L’urgence, constatée par le juge, est une condition de fondement de la demande en référé[1]. Le Tribunal estime qu’en l’espèce, l’urgence comme condition de fondement de la demande est établie. En effet, il existe un risque très sérieux que la requérante et son bébé, qui ne disposent d’aucune solution d’hébergement, ni d’aucune ressource financière ou relationnelle, se retrouvent à la rue en plein hiver. Une telle situation leur causerait un préjudice considérable et les exposerait même à un risque vital.

Ce préalable posé, le Tribunal examine, en premier lieu, la durée de l’accueil sous l’angle de la loi nationale. Il constate que les articles 6, § 1er, et 7, de la loi sur l’accueil, lus dans leur ensemble, stipulent que, s’agissant des demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, le bénéfice de l’accueil prend fin à l’expiration de l’O.Q.T. et que les hypothèses de prolongation de l’aide visées par la loi ne sont pas applicables. Vu que cette situation a été jugée à plusieurs reprises conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution[2], le Tribunal conclut que la décision de FEDASIL était conforme aux exigences de la loi belge.

En deuxième lieu, le Tribunal évalue la compatibilité de la décision de FEDASIL à l’égard du droit européen. Il observe que la Cour de Justice s’est déjà prononcée sur cette question par l’arrêt Cimade et Gisti du 27 septembre 2012[3]. Dans cet arrêt, la Cour de Justice a conclu que l’accueil ne peut prendre fin qu’au moment d’une prise (ou d’une reprise) en charge effective par le pays responsable. Par conséquent, si un demandeur d’asile conteste son transfert vers un autre État membre (également en instance d’appel), la responsabilité de l’État membre d’accueil prévaut. En soulignant la primauté du droit européen, le Tribunal constate que cette interprétation donnée par la Cour de justice doit s’imposer sur les termes de la loi sur l’accueil.

Le Tribunal rejette ensuite l’opinion selon laquelle le « transfert effectif » au sens de la Cour de justice devrait s’étendre au moment durant lequel prend cours  ou expire le délai de l’O.Q.T. ; une pareille interprétation irait, en effet, à l’encontre du sens commun des termes « transfert effectif » ainsi que des exigences explicitement imposées par la Cour dans son arrêt[4]. Constatant que la requérante et son fils ne tombent pas dans les hypothèses de retrait ou de limitation de l’accueil envisagées par la directive relative aux conditions d’accueil ou par leur application en droit interne, le Tribunal condamne FEDASIL à accorder à la requérante l’accueil prévu par la loi sur l’accueil. Cette condamnation est assortie d’une astreinte en vue d’en assurer l’effectivité.

B. Éclairage

Le Trib. trav. de Bruxelles, siégeant en référé, a affirmé l’interprétation de la Cour de justice dans Cimade et Gisti. Cet arrêt a stipulé très clairement que la directive relative aux conditions d’accueil est applicable aux demandeurs d’asile qui sont soumis à une procédure Dublin. En conséquence, seul le transfert effectif met fin aux obligations de l’État d’accueil. En appliquant les principes énoncés dans cet arrêt, le Tribunal a constaté que la pratique belge actuelle concernant les demandeurs d’asile qui sont soumis à une procédure Dublin, selon laquelle l’accueil prend fin à la fin de l’expiration de l’O.Q.T., contrevient aux obligations de la Belgique à l’égard du droit européen.

En effet, la procédure de détermination de l’État membre responsable n’est pas nécessairement rapide et peut même aboutir à ce que le demandeur d’asile ne soit jamais transféré dans l’État membre requis, mais demeure dans l’État membre où il a déposé sa demande d’asile[5]. L’économie générale de la directive relative aux conditions d’accueil ainsi que le respect des droits fondamentaux, notamment l’article 1er de la Charte selon lequel la dignité humaine doit être respectée et protégée, s’opposent à ce qu’un demandeur d’asile soit privé de la protection des normes minimales d’accueil avant qu’il ne soit effectivement transféré dans l’État membre responsable[6].

Cette analyse est confirmée par le texte de la refonte du règlement Dublin II (version du 21 novembre 2012) ainsi que par le texte de la refonte de la Directive relative aux conditions d’accueil (version du 27 septembre 2012) qui seront bientôt adoptés par le Conseil et le Parlement européen[7]. Cependant, les conséquences de cette jurisprudence de la Cour de justice sont immédiatement applicables étant donné qu’elles sont basées sur les textes actuels de la directive relative aux conditions d’accueil ainsi que du règlement Dublin II. Un amendement de la pratique belge sur ce point qui intégrerait les principes énoncés par la Cour de justice éviterait de futures procédures judiciaires ainsi que de potentielles condamnations de FEDASIL.

L.T.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Trib. Trav. Bruxelles, (réf.), 24 janvier 2013, n° 12/220/C (définitif).

Pour citer cette note : L. Tsourdi, « L’accueil d’un demandeur d’asile sous procédure Dublin ne prend fin que lorsqu’il est effectivement transféré et non à l’expiration du délai de l’O.Q.T. », Newsletter EDEM, mars 2013.


[1] Trib. Trav. Bruxelles (réf.), 24 janvier 2013, n° 12/220/C (définitif), § 18 ; voy aussi l’article 584, alinéa 2 du Code judiciaire.

[2] Voy. C.C., 17 mai 2000, no 57/2000 ; C.C., 30 mai 2001, no 71/2001 ; voy. aussi C.C., 27 juillet 2011, no 135/2011, spéc. B1.5.7.

[4] Trib. trav. Bruxelles (réf.), op. cit., § 31, faisant référence à C.J.U.E., Cimade et Gisti, op. cit., §§ 54-56.

[5] Ibid., § 28, faisant référence aux §§ 46-48.

[6] Ibid., faisant référence au § 56.

[7] Voy. L. Tsourdi, C.J.U.E., 27 septembre 2012, Cimade et Gisti, aff. C-179/11Newsletter EDEM, septembre 2012.

Publié le 21 juin 2017