Cour Trav. Liège, sect. Namur, 13e ch., (réf.), 28 mai 2013, R.G. n° 2013/CN/2

Louvain-La-Neuve

L’accueil d’un demandeur d’asile sous procédure Dublin prend fin à l’issue d’un délai raisonnable pour se rendre sur le territoire de l’État membre compétent sauf circonstances particulières.

Selon la Cour, l’accueil d’un demandeur d’asile sous procédure Dublin prend fin à l’issue d’un délai raisonnable (à savoir deux semaines à compter de la notification de l’arrêt) pour se rendre sur le territoire de l’État membre compétent. La Cour considère que la mise en œuvre du droit de l’Union européenne ne peut dépendre du seul bon vouloir du demandeur d’asile et que des circonstances particulières devraient imposer la poursuite de l’hébergement comme : des recours internes (procédure en suspension d’extrême urgence, la possibilité d’accélérer la procédure d’examen de la demande en suspension) ; une impossibilité médicale ; une impossibilité de procurer des laisser-passer (avec les tickets du voyage) pour une raison indépendante de la volonté des demandeurs d’asile ; les autorités de l’État membre compétent reviennent sur leur accord d’accueillir les personnes.

Art. 3, 13, CEDH – Art. 3, 4, 15 à 20, Règlement n° 343/2003 – Art. 3 Directive n° 2003/9 – Art. 9ter Loi du 15 décembre 1980 – Art. 6, 60, Loi du 12 janvier 2007 – Art. 2 à 4 A.R. du 24 juin 2004 – Fin de l’obligation d’accueil – Non-exécution de l’ordre de quitter le territoire – Transfert effectif sous une procédure « Dublin » – Fin de l’accueil indépendamment du transfert effectif.

A. Arrêt

Dans cette affaire, la Cour du travail de Liège (section de Namur) examine au stade des référés la fin de l’obligation d’accueil pour des demandeurs d’asile sous une procédure « Dublin » sur la base des règles du droit national et du droit de l’Union. L’affaire concerne une famille de demandeurs d’asile originaires de Géorgie avec deux enfants mineurs dont la fille souffre d’une quadriplégie spastique probablement dans le cadre d’une infirmité motrice d’origine cérébrale. Ayant franchi le territoire de l’U.E. en Pologne en octobre 2012 où ils ont introduit une demande d’asile, ils se rendent en Belgique cinq jours plus tard où ils introduisent une nouvelle demande en invoquant des menaces pour leur vie en Pologne. Ils sont hébergés dans un centre d’accueil. Par ailleurs, ils introduisent en novembre 2012 une demande d’autorisation de séjour en Belgique sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 vu l’état de santé de leur fille.

L’Office des Étrangers (OE) déclare en janvier 2013 cette demande irrecevable ; il estime que la maladie de leur fille ne constitue pas un risque vital immédiat pour sa vie ou son intégrité physique. En outre, l’OE rejette leur demande d’asile au cours du mois de février 2013 sur la base du Règlement de Dublin II. Une annexe 26quater a également été délivrée à la famille avec un ordre de quitter le territoire (OQT) dans les sept jours vers la Pologne. FEDASIL constatant que la famille a reçu un OQT et a ainsi perdu le droit au séjour, prend la décision de mettre fin à l’aide matérielle et invite la famille à quitter le centre endéans les sept jours.

Par requête unilatérale introduite auprès du Tribunal du travail, en se fondant sur l’extrême urgence et l’apparence de droit, la famille entend d’obtenir, d’une part, la condamnation de FEDASIL de continuer à les héberger sous peine d’astreinte et, d’autre part, l’assistance juridique. Cette demande aboutit : par ordonnance du 25 février 2013, la présidente du Tribunal condamne FEDASIL à assurer l’accueil des demandeurs d’asile. Ensuite, FEDASIL formule une tierce opposition en invoquant que l’urgence n’est pas établie parce que le refus des intimés de se plier à l’OQT se trouve à l’origine du péril invoqué. La présidente du tribunal confirme l’ordonnance attaquée avec une 2e  ordonnance du 28 mars 2013 et FEDASIL fait appel de cette décision devant la Cour du travail. 

La Cour commence à examiner si, en l’espèce, les trois conditions d’une action introduite par requête unilatérale, à savoir l’absolue nécessité, l’urgence et le provisoire, sont remplies. La première condition, l’absolue nécessité, qui justifie la dérogation au principe du contradictoire, a disparu à la suite de la tierce opposition de FEDASIL ; les débats sont, par conséquent, devenus contradictoires[1]. En ce qui concerne l’urgence, la Cour rappelle qu’elle suppose au moins l’existence ou la menace d’un inconvénient très sérieux ;  elle ne peut être admise si la situation est imputable au demandeur. Ce préalable posé, la Cour évoque sa jurisprudence antérieure dans le cadre du règlement Dublin II selon laquelle le juge peut dénier l’urgence lorsque la nécessité de recourir à une aide sociale provient du refus des appelants de soumettre leur cas à l’État membre responsable conformément à la législation européenne[2]. Or, il convient en raison de la jurisprudence de la Cour de justice de l’U.E. (CJUE)[3] d’examiner si cette motivation reste d’actualité.    

La Cour confirme que la décision de FEDASIL est conforme au droit belge. Elle admet que selon la jurisprudence de la CJUE, un demandeur conserve son statut tant qu’une décision définitive n’a pas été adoptée. Elle admet également que seul le transfert effectif du demandeur d’asile par l’état membre requérant met fin à sa responsabilité d’examiner la demande d’asile et d’octroyer des conditions minimales d’accueil[4]. Cependant, selon son interprétation de ladite jurisprudence, le demandeur d’asile qui, sans contester avec un minimum de vraisemblance son renvoi vers les autorités de l’État membre compétent, ne se soumet pas à l’OQT, est responsable de la situation qu’il invoque comme préjudiciable et ne peut pas se prévaloir de l’urgence[5]. Elle souligne que la mise en œuvre de droit de l’UE ne peut pas dépendre du seul bon vouloir des demandeurs d’asile[6]. Néanmoins, la Cour reconnaît l’urgence en l’espèce étant donné que le délai qui était accordé aux intimés pour quitter le centre, à savoir sept jours, était trop court[7].

Concernant la troisième condition, le provisoire, la Cour souligne qu’au stade du référé le juge doit examiner s’il existe une apparence de droit suffisante[8]. En espèce, la famille fonde sa demande, d’une part, sur le droit à un recours effectif et, d’autre part, sur la force majeure liée à l’état de santé de leur fille. La Cour note que la famille n’a pas utilisé la procédure de suspension d’extrême urgence ou la possibilité d’accélérer la procédure d’examen de la demande en suspension pour faire prévaloir ses droits sans soutenir que lesdites procédures ne garantissent pas le droit à l’effectivité du recours[9]. De plus, les demandeurs n’ont pas invoqué des arguments ayant une certaine pertinence pour établir que les autorités polonaises n’examineraient pas leur cas avec objectivité ou ne leur assureraient pas de conditions d’accueil telles qu’attendues[10]. Enfin, la famille n’a pas établi que leur fille ne recevrait pas les soins dont elle a besoin en Pologne, ni que l’état de leur enfant rend le transfert impossible ou qu’il risque d’être empiré par le trajet[11].

B. Éclairage

Cet arrêt suit une ligne jurisprudentielle récente de la même chambre de la Cour sur ce sujet. Par son arrêt du 14 mai 2013, la Cour s’est prononcée sur la base du même raisonnement à l’encontre d’une affaire concernant une famille soudanaise des demandeurs d’asile provenant de Libye qui étaient censés quitter la Belgique pour l’Italie en application du Règlement Dublin II[12]. Elle a également trouvé que, sauf « des circonstances tout à fait particulières » qui puissent être assimilées à celles qu’a connues l’État grec, le renvoi ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant et a donné ainsi un délai maximal de deux semaines à la famille pour quitter le centre et se rendre à l’Italie[13].

Le raisonnement de la Cour et la pratique belge posent des problèmes et semblent contraires à la jurisprudence de la CJUE[14]. Dans l’arrêt CIMADE et Gisti, la CJUE rejette les arguments du gouvernement français basés sur la rapidité des procédures Dublin ; au contraire, elle souligne que « la procédure peut, dans certains cas, aboutir à ce que le demandeur d’asile ne soit jamais transféré »[15]. La CJUE expose très clairement que l’obligation d’octroyer les conditions d’accueil ne cesse que lors du transfert effectif du demandeur d’asile[16]. La CJUE ne fonde pas son raisonnement sur la base du comportement du demandeur d’asile et/ou de sa volonté de coopérer avec les autorités dans le cadre de l’exécution du transfert. Par contre, elle rappelle que selon la Directive 2003/9 les conditions d’accueil ne peuvent être retirées ou limitées que dans des cas énumérés dans la directive[17]. La non-coopération du demandeur d’asile dans le cadre des transferts Dublin ne figure pas parmi ces cas. Pour Caillol et Stevens, le règlement Dublin envisage et solutionne lui-même les hypothèses de non-réalisation du transfert, y compris en cas de fuite de demandeur ; la limitation ou la privation des conditions d’accueil n’est pas considérée parmi une des mesures applicables pour assurer la réalisation du transfert[18].

En outre, dans son arrêt CIMADE et Gisti, la CJUE base son raisonnement également sur la finalité de la directive 2003/9 et le respect des droits fondamentaux, notamment l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux relatif à la dignité humaine[19]. Les droits fondamentaux s’opposent à ce qu’un demandeur d’asile soit privé des conditions d’accueil, même pendant une période temporaire. Dans le cas d’espèce, la Cour du travail ne se prononce pas sur la compatibilité de sa décision avec l’article 1er de la Charte. Pourtant, les considérations liées à l’effectivité du règlement Dublin évoquées par la Cour du travail[20] ne peuvent pas justifier le mépris des droits fondamentaux. En outre, la Cour eur. D.H. a également souligné que la passivité d’un État membre sur lequel reposent les obligations positives de la directive relative aux conditions d’accueil, à savoir le fait de laisser les demandeurs d’asile dans une situation dans laquelle ils sont incapables de subvenir à leurs besoins essentiels, atteint le seuil de gravité de l’article 3 CEDH[21]. En conséquence, même si les conditions d’accueil en Pologne, en l’espèce, auraient été compatibles avec l’article 3 CEDH si le transfert avait été effectué, la violation par la Belgique de l’article 3 CEDH peut être fondée sur le fait qu’elle laisse des demandeurs d’asile dans la rue et sans ressources sur son territoire. Nous soulignons qu’en vertu du droit de l’UE même les demandeurs d’asile qui ne coopèrent pas à leur transfert « Dublin » ne perdent pas leur statut de demandeur d’asile puisqu’aucune décision définitive sur leur demande n’a été prise[22].    

Il reste à examiner si les refontes des directives conditions d’accueil, procédure et du règlement Dublin, adoptées en juin 2013, apportent des changements ou clarifient ces points. Le considérant 11 de la refonte du règlement Dublin stipule explicitement que la directive relative aux conditions d’accueil est applicable aux demandeurs d’asile qui sont soumis à une procédure Dublin[23]. Le considérant 8 de la Directive sur les conditions d’accueil affirme que cette directive est applicable dans « tous les stades et types de procédures concernant des demandes pour l’octroi de la protection internationale […] aussi longtemps qu’ils sont autorisés à rester sur le territoire des États membres en tant que demandeurs »[24]. En outre, plusieurs dispositions de la refonte relative à des procédures communes établissent le droit de rester en tant que demandeurs tant qu’aucune décision finale n’est prise sur leur demande[25].

L.T.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Cour Trav. Liège, sect. Namur, 13e ch. (réf.), 28 mai 2013, R.G. n° 2013/CN/2.

- M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, req. 30696/09.

- C.J.U.E., 27 septembre 2012, CIMADE et Gisti, aff. C- 179/11, non encore publié au Rec.

- Cass., 25 avril 1996, Bull., 1997, p. 387.

- Cour trav. Liège, sect. Namur, 13e ch., (réf.), 5 octobre 2010, R.G. n° 2010/AN/127.

- Cour trav. Liège, sect. Namur, 13e ch., (réf.), 14 mai 2013, R.G. n° 2013/CN/3.

- C.J.U.E., Cimade, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) c. Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration, 27 septembre 2012, n° C-179/11, note d’I. Doyen, R.D.E., n° 169, p. 496.

- CAILLOL, E., STEVENS, J.C., « 2013-05-14-Cour du travail de Liège (référé)- R.G. n° 2013/CN/3 », CIRE Newsletter Juridique Nr. 50.

- L. TSOURDI, C.J.U.E., 27 septembre 2012, CIMADE et Gisti, aff. C-179/11, Newsletter EDEM, septembre 2012.

- Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte).

- Directive 2013/33/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte).

- Directive 2013/32/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013.

Pour citer cette note : L. Tsourdi, « L’accueil d’un demandeur d’asile sous procédure Dublin prend fin à l’issue d’un délai raisonnable pour se rendre sur le territoire de l’État membre compétent sauf circonstances particulières », Newsletter EDEM, août 2013.


[1] Cour Trav. Liège, sect. Namur, 13e ch. (réf.), 28 mai 2013, R.G. n° 2013/CN/2, § 6.2.1.

[2] Cour Trav. Liège, sect. Namur, 13e ch. (réf.), 5 octobre 2010, R.G. n° 2010/AN/127.

[4] Ibid., pts 53, 55.

[5] Cour trav. Liège, sect. Namur, 13e ch. (réf.), 28 mai 2013, op.cit., § 6.2.2.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Évoquant Cass., 25 avril 1996, Bull., 1997, p. 387.

[9] Cour trav. Liège, sect. Namur, 13e ch. (réf.), 28 mai 2013, op. cit., § 6.2.3.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Cour trav. Liège, sect. Namur, 13e ch. (réf.), 14 mai 2013, R.G. n° 2013/CN/3.

[13] Ibid.

[14] Voy. également L. Tsourdi, C.J.U.E., 27 septembre 2012, CIMADE et Gisti, aff. C-179/11, Newsletter EDEM, septembre 2012.

[15] C.J.U.E., 27 septembre 2012, CIMADE et Gisti, op. cit., §§ 44-45.

[16] Ibid., § 58.

[17] Ibid., § 57.

[18] Caillol, E., Stevens, J.C., « 2013-05-14-Cour du Travail de Liège (référé)- R.G. n° 2013/CN/3 », CIRE Newsletter Juridique Nr. 50.

[19] C.J.U.E., 27 septembre 2012, CIMADE et Gisti, op. cit., § 56.

[20] Cour trav. Liège, sect. Namur, 13e ch. (réf.), 28 mai 2013, op. cit., § 6.2.2.

[21] Voy. M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, req. n° 30696/09, § 263.

[22] C.J.U.E., 27 septembre 2012, CIMADE et Gisti, op. cit., § 53, ainsi que article 7 Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.

[23] Considérant 11 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte). 

[24] Considérant 8 Directive 2013/33/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte).

[25] Considérant 25, articles 2(c), 2(e), 9, 46, Directive 2013/32/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte). 

Publié le 16 juin 2017