Des membres de l’équipe RESO ont assisté à la 4e édition de l’Atelier mondial de santé communautaire. Elles vous proposent ci-après les messages-clés issus de deux conférences inspirantes pour les acteur·ices de terrain et les chercheur·es en promotion de la santé et prévention.
Pauvreté, pouvoir et inégalités de santé : quel rôle pour l’action et la santé communautaires ?
Conférence de Jennie Popay – Professeure émérite de sociologie et de santé publique à la division de la recherche sur la santé, Université de Lancaster, Royaume-Uni
Le mardi 4 juin 2024, 10h -13h (CEST)
Texte rédigé par Léa Champagne
« Inequalities are not random ! »
Les inégalités ne sont pas aléatoires ! C’est sur cette affirmation qu’a débuté la conférence de Jennie Popay, enthousiaste à l’idée de lancer les activités de la 4e édition de l’Atelier mondial de santé communautaire, organisé par la Chaire Unesco Educations et Santé. Cette professeure émérite de sociologie et de santé publique de l’Université de Lancaster (UK) contribue par ses travaux et ses recherches de terrain à ce que Joseph Wresinski a appelé la lutte la plus fondamentale à laquelle le monde est confronté aujourd’hui, celle de libérer les gens de la pauvreté ! La pauvreté couplée au manque de contrôle et de pouvoir qu’elle entraîne privent les populations des ressources dont elles ont besoin pour mener une vie exempte de maladie, de douleur et de mort prématurée.
D’abord, un rappel nécessaire sur ce que sont les inégalités de santé : elles sont les différences systématiques des expériences de santé (« health experience ») entre les groupes sociaux, selon des facteurs comme l’âge, le sexe, le genre, l’origine, le statut socioéconomique, etc. Les causes principales sont les inégalités dans les conditions de vie et de travail, dans l'accès aux ressources nécessaires à la promotion de la santé et dans le pouvoir de changer les choses. Ces inégalités sociales et structurelles peuvent être modifiées par une action politique et sont donc injustes. Pour Jennie Popay, les inégalités sociales de santé relèvent de la l’injustice sociale.
Sur la notion de « pouvoir », Popay reprend à dessein les mots de Martin Luther King, « Power is the ability to achieve purpose » (« Le pouvoir est la capacité d’atteindre un but ! »). Dans un cadre d’actions visant la promotion de la santé, le pouvoir peut être émancipateur ou limitatif ; visible ou invisible ; se déployer dans différents types d’espaces (fermés, ouverts, revendiqués, etc.) et à différents niveaux (local, national, mondial). Le concept de communauté est au cœur de ses travaux : les communautés de lieu et/ou d'intérêt auront toujours certaines formes de pouvoir, étant donné leur existence même et leur mode d’organisation. D’un autre côté, les gouvernements, les institutions, les entreprises ont également des pouvoirs, dont certains amènent la production d’inégalités (elle nous invite à consulter le dernier rapport d’Oxfam à ce sujet : Multinationales et inégalités multiples : nouveau rapport 2024).
Ses recherches montrent que le fait d'avoir plus de pouvoir dans et sur sa vie (empowerment) est bénéfique pour la santé des individus. Le « pouvoir » collectif peut améliorer la santé des communautés en permettant d'utiliser la connaissance expérientielle de l'injustice, pour créer des services et des politiques plus appropriés et plus acceptables ; en réduisant l'isolement social et en augmentant le soutien et la cohésion sociale ; en créant une solidarité d'action pour améliorer les conditions sociales, économiques et matérielles qui ont un impact sur la vie et la santé ;en améliorant la compréhension du politique en organisant la transmission des connaissances correspondantes et en promouvant plus de formation civique et citoyenne.
Son exposé s’est ensuite poursuivi autour de l’analyse de différentes initiatives communautaires contemporaines, incluant l’identification des angles morts récurrents quand il est question de travailler « avec », et non « sur » ou « vers », les communautés, comme celui de confier la responsabilité d’action sur les inégalités sociales et sanitaires aux communautés les plus défavorisées (voir projet « I am not resilient »). Ses expériences d’enquête de terrain lui ont permis également de pointer les différentes inégalités potentielles pouvant être créées par certaines formes d’action communautaire, et toute l’importance de ne pas négliger le "regard extérieur" sur les changements sociaux et politiques nécessaires à une plus grande équité et qui ne sont pas modifiables par l'action locale.
Jennie Popay a proposé en fin de conférence sept recommandations pour impliquer les communautés dans l'action locale dans un but d’amélioration de la situation sociale, économique et sanitaire :
- Développer des changements dirigés par le système (« system-led ») plutôt que par la communauté, en se concentrant sur la capacité de tous ceux et celles qui travaillent et vivent dans un quartier et des institutions ayant un intérêt dans un lieu à améliorer leur capacité collective à répondre et à influencer les changements sociaux, économiques et environnementaux dans un contexte d'incertitude et d'adversité ;
- Éviter de stigmatiser les personnes et les lieux. En attirant par exemple l’attention sur les comportements et attributs positifs et en remettant en question les récits négatifs des personnes/lieux défavorisés ;
- Prendre au sérieux le savoir expérientiel des personnes. La démystification de l'expert·e est une étape importante dans l'histoire des communautés démocratiques ;
- Concevoir des initiatives qui libèrent et renforcent les capacités en cartographiant la dynamique du pouvoir et en mettant en place des stratégies pour y résister et la modifier ;
- Se concentrer sur les principaux facteurs et « drivers » d'inégalités ;
- Légitimer le plaidoyer en tant qu'élément essentiel de la pratique professionnelle en promotion de la santé et en santé communautaire ;
- Intégrer une perspective d'équité (« equity lens ») dans toutes les initiatives de promotion de la santé et de santé communautaire.
Enfin, ces nombreuses pistes peuvent certainement inspirer le travail de terrain qui se déploie aux quatre coins de la Belgique en matière de projets et d’interventions en promotion de la santé. Et vous, qu’est-ce que vous aimeriez changer dans votre pratique et dans celles des institutions ?
Pour aller plus loin ...
Jennie Popay est membre de l’Académie des sciences sociales du Royaume-Uni et membre avec distinction de la Faculté de santé publique du Royaume-Uni. Elle a créé The Other Front Line Global Alliance, qui recueille les témoignages de groupes victimes d’injustices sociales, et a produit plusieurs ressources en ligne pour aider les gens à renforcer l’accent mis sur l’équité dans leur travail :
Lutter contre les « drivers » locaux des inégalités en matière de santé
Ressources autour de l’équité en santé dans le déploiement de projets territoriaux (en anglais seulement)
Le portail européen « Health Inequalities », qui contient plusieurs ressources dont des outils de mesure et des données nationales (plusieurs langues)
Un dossier thématique incluant un ensemble de ressources documentaires sur la question des inégalités sociales de santé et sur leur réduction produit par Culture & Santé
Un outil de veille documentaire des inégalités de santé en France produit par Promotion Santé Normandie
Le pouvoir du plaidoyer et de l’engagement pour la réduction de la pauvreté – système de soins de santé et actions politiques
Texte rédigé par Camille Guiheneuf
Inspiré de la présentation du Dr Iffat Elbarazi, ce texte met en lumière le pouvoir du plaidoyer et de l'engagement dans la lutte contre la pauvreté et l'amélioration de l'accès aux soins de santé.
Le plaidoyer : une voix pour les plus vulnérables !
La pauvreté constitue un obstacle majeur à l'accès aux soins de santé et touche particulièrement les populations déjà fragilisées par des problèmes de santé (maladies chroniques par exemple). C'est pourquoi le plaidoyer s'avère un outil essentiel pour amplifier leur voix, influencer les décisions en matière de santé et améliorer la répartition des ressources en fonction de leurs besoins. C’est ainsi que le plaidoyer permet l’amélioration des politiques de santé.
Il permet également d’impliquer les communautés concernées dans les processus décisionnels, notamment dans la définition des problèmes et dans l’élaboration des solutions. Cela favorise une appropriation des enjeux, une participation active à la lutte contre la pauvreté et l'amélioration de l'accès aux soins de santé de tous et toutes.
S'adapter aux contextes, saisir les opportunités et surmonter les obstacles
La maximisation de l'impact du plaidoyer requiert une compréhension fine du processus décisionnel des politiques de santé (identification des problèmes, formulation des politiques, adoption, mise en œuvre, évaluation et adaptation). De plus, un plaidoyer efficace nécessite de s'adapter aux contextes politiques (changeants) et de saisir les opportunités qui se présentent pour surmonter les divers obstacles le rendant parfois inaudible. Pour les dépasser, Iffat Elbarazi[1] s’est référée à 6 stratégies pour concevoir un plaidoyer efficace (Faster Capital, s.d) :
- Construire des relations
- Mener des recherches pour soutenir le plaidoyer
- Créer des coalitions pour amplifier la voix et mobiliser la société civile
- Utiliser une multitude de canaux de communication pour toucher un large public
- S'adapter aux changements de contexte et aux nouvelles réalités
- Évaluer le processus du plaidoyer et en tirer des leçons pour s'améliorer
Selon Iffat Elbarazi, l’évaluation du processus (6eme stratégie) est souvent mise de côté, alors qu’elle devrait être considérée comme une étape faisant partie intégrante du plaidoyer. L’évaluation du processus et de ses résultats permet d’identifier les éléments qui facilitent ou au contraire, contraignent la démarche.
Cette troisième et dernière journée de la Chaire UNESCO Éducations & Santé s’est poursuivie vers 2 autres présentations :
- Renforcer la santé communautaire pour lutter contre la pauvreté : une analyse basée sur des projets communautaires au Bénin (présenté par AngeMarie Nicodème-Esse).
Cette seconde présentation a repris plusieurs exemples d’interventions axées sur des thématiques telles que l’alimentation, l’entrepreneuriat, l’éducation et l’accès aux soins de santé, dans le but de montrer comment ces initiatives renforcent la résilience des communautés et améliorent leur bien-être.
- Perspectives intersectionnelles sur la pauvreté, l’activisme, la défense des droits et la santé communautaire : protéger les droits humains des personnes intersexuées (présenté par Amets Suess Schwend).
Cette troisième présentation a abordé le rôle de l’activisme dans la défense des droits et de la santé des personnes intersexuées. La présentation s’est déroulée au travers d’une analyse de la situation actuelle depuis la perspective de l’intersectionnalité, des déterminants sociaux de la santé et de la dépathologisation, des cadrages utiles pour comprendre des problématiques complexes emprises aux inégalités structurelles, à des problèmes de santé et à la pauvreté.
Pour aller plus loin...
Pour plus d’information et pour aller plus loin sur la thématique du plaidoyer, l’équipe du RESO vous invite à prendre connaissance du guide « Osez le plaidoyer pour la santé ! Balises pour une démarche communautaire » de l’Asbl Cultures & Santé qui y dédie un chapitre sur l’évaluation.
Pour en savoir plus sur le plaidoyer de la Fédération Bruxelloise de la Promotion de la Santé (FBPS) et sur le plaidoyer de la Fédération Wallonne de la Santé (FWPS)
Pour en savoir plus sur l’événement annuel
[1] Lors de sa présentation, la Dr Iffat Elbarazi s’est référée à 6 stratégies qui ne sont pas propres au secteur de la santé, y compris de la promotion de la santé. Ces 6 stratégies proviennent d’un site de conseils pour la gestion de projets pour des entreprises. Faster Capital. (s.d). "Strategies For Advocacy and Change."