C.C., 26 septembre 2013, n°124/2013

Louvain-La-Neuve

Personnes qui sont autorisées à séjourner en Belgique pour raison médicale en vertu du 9ter, régime de protection subsidiaire et allocations aux personnes handicapées : deux questions préjudicielles posées à la Cour de justice.

Par son arrêt du 26 septembre 2013, la Cour constitutionnelle pose deux questions préjudicielles à la Cour de justice. La première concerne la relation entre le séjour pour raison médicale visé par l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 et le régime de la protection subsidiaire énoncé aux articles 2, e) et f), 15, 18, 28 et 29, de la directive qualification (directive 2004/83/CE). La deuxième porte sur le degré de différenciation permis par la directive entre les bénéficiaires de la protection subsidiaire, en particulier quand ce sont des personnes vulnérables en raison d’un handicap, et les réfugiés. La réponse de la Cour de justice pourrait avoir de grandes répercussions sur le contenu de ce statut ainsi qu’indirectement sur la procédure d’examen et le statut des demandeurs de régularisation pour cause médicale en Belgique.

Art. 3 CEDH - Art. 10, 11, 191 Const. - Art.2 e) et f), 15, 18, 28 et 29 directive qualification - Art. 9ter, 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 - Art. 4 de la loi du 27 février 1987 - Séjour pour raison médicale - Protection internationale - Différence de traitement entre les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les réfugiés - Allocations aux personnes handicapées.

A. Arrêt

Le Tribunal du travail de Liège a posé à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle par laquelle il s’interrogeait sur la compatibilité de l’article 4 de la loi du 27 février 1987 avec les articles 10, 11 et 191 de la Constitution lus en combinaison avec l’article 28, paragraphe 2, de la directive 2004/83/EC (ci-après directive qualification). Ledit article exclut les étrangers qui ont été autorisés à séjourner en Belgique pour raisons médicales sur base de l’article 9ter du bénéfice des allocations aux personnes handicapées. Le Tribunal du travail souligne que ces personnes bénéficient d’un statut de protection internationale prévu par la directive qualification puisqu’elles relèvent du champ d’application de la protection subsidiaire. Or, le même article 4 ouvre le bénéfice des allocations aux handicapés à la personne reconnue réfugiée. Après une analyse des faits, de sa précédente jurisprudence ainsi que des enjeux juridiques qui se posent au niveau national et européen, la Cour constitutionnelle décide, avant de statuer au fond, de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles pour éclaircir les points qui relèvent de l’application du droit de l’Union.

Les faits à l’origine de cet arrêt peuvent être résumés comme suit : une personne de nationalité mauritanienne qui a obtenu une autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sollicitait le bénéfice des allocations octroyées aux personnes handicapées. Vu que la loi nationale exclut cette catégorie de personnes du bénéfice des allocations aux personnes handicapées, tout en accordant le même bénéfice aux réfugiés, le requérant faisait valoir que ces dispositions créaient une discrimination.

La Cour constitutionnelle rappelle sa précédente jurisprudence. Par son arrêt 114/2012, la Cour avait jugé que l’article 4 de la loi du 27 février 1987 ne violait ni la loi nationale, y compris la Constitution belge, ni la Convention des droits de l’homme[1]. Cette affaire concernait une requérante d’origine albanaise qui avait été régularisée et était autorisée au séjour illimité en raison de son état de santé. La Cour a basé son raisonnement sur une affaire antérieure où elle avait observé :

« le champ d’application de la loi n’a pas été étendu aux étrangers qui, par suite d’une autorisation ou d’une admission à séjourner dans le Royaume pour une durée de plus de trois mois, sont inscrits au registre des étrangers, dès lors que le statut administratif de ces personnes montre qu’elles présentent un lien avec la Belgique que le législateur a pu juger moins important que celui que présentent les personnes inscrites au registre de la population »[2].

Compte tenu du fait que les étrangers concernés peuvent prétendre au bénéfice d’une aide sociale prenant leur handicap en considération, la Cour a en outre jugé que cette différentiation ne porte pas atteinte au droit à la dignité humaine.

La présente affaire est différente dans la mesure où la Cour est invitée à prendre en compte le droit européen et notamment la directive qualification[3] et, partant, à analyser la loi nationale qui transpose le régime de la protection subsidiaire. La Cour rappelle que, par un arrêt du 8 mars 2012[4], elle avait observé que l’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 constitue la transposition en droit belge des articles 2, point e), 15 et 17, de la directive qualification. Elle note, également, que le législateur national a considéré que les étrangers qui souffrent d’une maladie grave au regard de l’article 9 ter sont couverts par l’article 15, b), de la directive[5]. Néanmoins, le législateur a légitimement décidé de prévoir une procédure différente pour l’octroi d’une autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980. Finalement, la Cour fait référence aux articles 28 et 29 de la directive qualification qui fixent les règles relatives à l’assistance sociale et aux soins de santé pour des bénéficiaires de la protection internationale[6]

Eu égard aux éléments précédents, la Cour constitutionnelle décide, avant de statuer au fond, de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice. La première vise à clarifier si les personnes qui sont autorisées à séjourner en Belgique en vertu de l’article 9ter relèvent du champ d’application de l’article 15, b), de la directive qualification, et s’ils sont, ou non, bénéficiaires de la protection internationale. La deuxième question se focalise sur le degré de différenciation permis par la directive entre les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les réfugiés, concernant le niveau de la protection sociale et les soins de santé, en particulier quand il s’agit de personnes vulnérables en raison d’un handicap. Plus spécifiquement, la Cour demande si les obligations qui découlent des articles 20, § 3, 28, § 2, et 29, § 2, impliquent que les allocations prévues par la loi du 27 février 1987 doivent être accordées aux personnes handicapées qui résident en Belgique sur base de l’article 9ter.

B. Éclairage

Le statut des demandeurs ainsi que des bénéficiaires d’un droit de séjour sur la base de l’article 9ter a déjà fait l’objet de plusieurs arrêts de la Cour constitutionnelle. Notamment, plusieurs requérants ont contesté la différentiation entre ce statut et le statut de la protection subsidiaire en vertu de l’article 48/4. La réponse de la Cour de justice pourrait avoir des répercussions importantes sur le contenu de ce statut ainsi qu’indirectement sur la procédure d’examen et le statut des demandeurs de régularisation pour cause médicale en Belgique.

Dans un arrêt du mois de mars 2013, précédemment analysé[7], la Cour constitutionnelle a prononcé que les articles 9ter et 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 constituent, ensemble[8], la transposition en droit belge de l’article 15 de la directive 2004/83/EC[9]. Néanmoins, la Cour a d’ores et déjà estimé que le choix du législateur de mettre en œuvre une procédure légale spécifique et distincte de la procédure d’asile, afin d’évaluer les demandes de protection subsidiaire pour raison médicale, n’était pas, en soi, contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution[10]. En outre, elle a jugé que suite au refus de leur demande et en raison du caractère illégal de leur séjour, il convenait de restreindre à l’aide médicale urgente l’aide sociale octroyée aux demandeurs de la protection subsidiaire sur base de l’article 9ter pendant l’examen de leur recours auprès du C.C.E.[11].

Dans la présente affaire, la Cour constitutionnelle sollicite l’interprétation de la Cour de justice pour confirmer que l’article 9ter relève du champ d’application de la protection subsidiaire, plus spécifiquement de l’article 15, b), de la directive qualification. K. Hailbronner considère, prenant en compte le considérant 9 de la directive qui exclut du champ d’application de la directive les personnes autorisées à séjourner « par bienveillance ou pour des raisons humanitaires », que les notions de « torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants » doivent être interprétées en reflétant l’entièreté de la jurisprudence de la Cour eur. D.H.[12]. Cette jurisprudence concerne également les cas dits médicaux[13].Une telle interprétation est en conformité avec le raisonnement de la Commission concernant le contenu de cette disposition[14] qui n’était pas contesté par les États membres. En outre, la Cour de justice a déjà considéré, dans l’affaire Elgafaji, que l’article 15, b), de la directive correspond en substance, à l’article 3 CEDH[15].

Vu l’analyse qui précède, il apparait qu’il existe plusieurs arguments juridiques pour défendre la position selon laquelle l’article 9ter relève du champ d’application des directives européennes concernant l’asile. De cette position découlent plusieurs conclusions. Premièrement, la refonte de la directive relative aux conditions d’accueil, qui a été adoptée en juin 2013, élargit son champ d’application ratione personae en précisant qu’elle est également applicable aux personnes demandant la protection subsidiaire[16]. En outre, la refonte de la directive relative aux procédures d’asile est également applicable aux personnes demandant la protection subsidiaire et établit une procédure unique pour l’examen des demandes de protection internationale[17]. Par conséquent, dans un futur proche, toutes les garanties des deux directives devraient également être applicables pour cette catégorie de demandeurs et les présentes différences de traitement ne seront plus juridiquement défendables.

La deuxième question posée à la C.J.U.E. touche la problématique des différences de traitement permises entre les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire, en particulier, quand il s’agit de personnes vulnérables. La refonte de la directive qualification, pour laquelle le délai de la transposition expire en décembre 2013, a essayé de réduire ces distinctions[18]. Notamment, la refonte supprime toute différence en ce qui concerne les soins de santé qui doivent être accessibles pour tous les bénéficiaires de la protection internationale dans les mêmes conditions que pour les ressortissants des États membres[19].

Cependant, la refonte n’a pas apporté de modifications à la dérogation concernant le niveau d’assistance sociale pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire qui pourrait être limitée aux prestations essentielles[20]. Un considérant de la refonte précise : « [l]a possibilité de limiter l’assistance aux prestations essentielles doit s’entendre comme couvrant au minimum l’octroi d’une aide sous la forme d’un revenu minimal, d’une aide en cas de maladie ou de grossesse et d’une aide parentale, dans la mesure où de telles prestations sont accordées aux ressortissants au titre du droit national[21]».

La réponse de la Cour précisera si l’obligation de prendre en compte la situation particulière des personnes vulnérables implique une interprétation plus restrictive de cette possibilité de déroger de la règle générale, à savoir l’octroi à tous les bénéficiaires de la protection internationale des mêmes droits et avantages que ceux dont jouissent les réfugiés.

L.T.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C., 26 septembre 2013, n° 124/2013.

Jurisprudence

- Cour eur. D.H., D. c. Royaume-Uni, 2 mai 1999, req. n° 30240/96.

- Cour eur. D.H., N. c. Royaume-Uni, 28 mai 2008, req. n° 26565/05.

- C.J., 17 février 2010, Elgafaji, aff. C-465/10.

- C.C., 21 mars 2013, n° 43/2013.

- C.C., 4 octobre 2012, n° 114/2012.

- C.C., 8 mars 2012, n° 42/2012.

- C.C., 26 juin 2008, n° 95/2008.

Législation

- Directive qualification (Proposition de la Commission), COM(2001) 510 final.

- Directive qualification (refonte), 2011/95/UE.

- Directive relative aux procédures d’asile (refonte), 2013/32/UE.

- Directive relative aux conditions d’accueil (refonte), 2013/33/UE.

Doctrine

- HAILBRONNER, K., « Articles 11-19 Qualification Directive" in HAILBRONNER, K., (ed.), EU Immigration and Asylum Law: A Commentary, Műnchen: C.H.Beck/Hart/Nomos, 2010, pp. 1093-1164.

- TSOURDI, L., « Demandeurs de protection subsidiaire pour raison médicale et demandeurs de protection subsidiaire du fait d’une situation de violence généralisée : la différence de traitement est raisonnablement justifiée », Newsletter EDEM, mai 2013.

Pour citer cette note : L. TSOURDI, « Personnes qui sont autorisées à séjourner en Belgique pour raison médicale en vertu du 9ter, régime de protection subsidiaire et allocations aux personnes handicapées : deux questions préjudicielles posées à la Cour de justice », Newsletter EDEM, octobre 2013.


[1] C.C., 4 octobre 2012, n° 114/2012, B.2.2.

[2] Ibid., B.5.

[5] Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2478/001, p. 9.

[6] C.C., n° 124/2013, précité, B.8.

[8] Nous soulignons.

[10] C.C., 26 juin 2008, n° 95/2008, B. 10- B. 14.

[11] C.C., n° 43/2013, précité.

[12] K. Hailbronner, « Articles 11-19 Qualification Directive » in K. HAILBRONNER (ed.), EU Immigration and Asylum Law : A Commentary, Munich, C.H.Beck/Hart/Nomos, 2010, pp. 1141-1142.

[13] Voy. Cour eur. D.H., D. c. Royaume-Uni, 2 mai 1999, req. n° 30240/96 ; Cour eur. D.H., N. c. Royaume-Uni, 28 mai 2008, req. n° 26565/05.

[14] Voy. Proposition de directive du Conseil concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers et les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d'autres raisons, a besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, COM(2001) 510 final, p.26.

[15] C.J., 17 février 2010, Elgafaji, aff. C-465/10.

[16] Considérant 13 ainsi qu’article 3, para 1, Directive relative aux conditions d’accueil (refonte), 2013/33/UE.

[17] Considérants 7, 11, ainsi qu’articles 3, para 1, et 10, para 2, Directive relative aux procédures d’asile (refonte), 2013/32/UE

[19] Ibid., article 30.

[20] Ibid., article 29, para 2.

[21] Ibid., considérant 45.

Publié le 16 juin 2017