C.C.E., 15 décembre 2015, n°158.621

Louvain-La-Neuve

La situation délicate et évolutive prévalant en Hongrie exige une grande prudence lors de l’examen préalable à la décision de transfert Dublin.

Dans l’arrêt commenté du C.C.E. du 15 décembre 2015, le requérant sénégalais a notamment introduit en détention un recours contre une décision de transfert Dublin vers la Hongrie prise par l’O.E. Se fondant sur le constat d’un défaut de garanties d’accueil et de traitement normal de sa demande d’asile en Hongrie, notamment au regard des évolutions législatives récentes du système d’asile hongrois, il invoquait un risque de violation de l’article 3 CEDH ainsi qu’un défaut de motivation traduisant un examen défaillant des éléments à la cause. Il invoquait aussi le risque d’être renvoyé immédiatement vers la Serbie, par où il avait transité, sans examen de sa demande d’asile puisque selon la nouvelle législation hongroise ce pays est désigné comme « pays tiers sûr ». Le C.C.E. va centrer son contrôle sur le moyen sérieux d’annulation pris à l’encontre du transfert vers la Hongrie. Il juge que l’O.E. a fait une lecture lacunaire des informations versées au débat, notamment en se fondant sur des rapports anciens et, à tout le moins, antérieurs aux récentes modifications législatives hongroises de juillet et septembre 2015. Pour ces raisons, la décision contestée est entachée d’une motivation inadéquate et traduit un examen qui n’est pas suffisamment rigoureux du risque de violation de l’article 3 CEDH, prima facie, et doit être suspendue en extrême urgence.

Règlement n°604/2013 dit « Dublin III » (RD III) – Article 3 CEDH – Article 4 CDFUE – Transferts Dublin vers la Hongrie – Récentes modifications législatives – Impact certain sur le système d’asile hongrois – Exigence d’un examen rigoureux et actualisé (article 3 CEDH) – Motivation formelle inadéquate (suspension en extrême urgence).

A. Arrêt

Le requérant, de nationalité sénégalaise, a introduit une demande d’asile en Belgique le 30 septembre 2015. Suite à la consultation de la base de données EURODAC, l’Office des étrangers (O.E.) a constaté que le requérant aurait introduit une demande d’asile en Hongrie et l’a placé en procédure Dublin. D’après l’O.E., le requérant déclare lors de son audition que les conditions d’asile sont meilleures en Belgique et qu’elle a reconnu le droit des homosexuels. L’O.E. demande la reprise en charge de sa demande d’asile aux autorités hongroises le 12 octobre 2015. Sans réponse expresse des autorités hongroises, l’O.E. leur indique qu’elles ont tacitement accepté la reprise en charge du requérant.

Le 27 novembre 2015, l’O.E. prend une décision de transfert Dublin vers la Hongrie (Annexe 26 quater). La décision de transfert comporte une référence à certains rapports sur la situation des demandeurs d’asile en Hongrie (AIDA, EASO 2015) mais conclut que « bien qu’ils mettent l’accent sur certains manquements, (ils) ne mettent pas en évidence que la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Hongrie ont des déficiences structurelles qui exposeraient ces derniers à un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 CEDH et de l’article 4 de la Charte ». L’O.E. assure ensuite que rien n’établit que la demande d’asile du requérant serait clôturée en Hongrie et qu’il aura accès aux conditions matérielles d’accueil. De même, d’après l’O.E., il n’y aurait pas un risque systématique de recours à la détention. Pour ce qui concerne les changements administratifs, l’O.E. indique que seules les personnes arrivant d’un pays tiers en Hongrie pourraient être inquiétées mais « en aucune cas les demandeurs d’asile transférés » en application du règlement Dublin III. Le 9 décembre 2015, l’O.E. prend un nouvel ordre de quitter le territoire sur le fondement de l’article 7 de la loi du 15 décembre 1980 (Annexe 13 septies) avec maintien en centre fermé.

Dans ce contexte de détention, le requérant introduit simultanément un recours en suspension d’extrême urgence contre la décision de transfert Dublin du 27 novembre 2015 (Annexe 26 quater) et contre un nouvel ordre de quitter le territoire avec maintien du 9 décembre 2015. Contre l’Annexe 26 quater, le requérant invoque principalement un défaut de motivation et d’examen suffisamment rigoureux face à un risque d’atteinte à l’article 3 CEDH en cas de renvoi en Hongrie. Il s’appuie sur les jurisprudences MSS et TARAKHEL de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) pour dénoncer les défaillances du système d’asile hongrois accentuées par les récentes réformes législatives. Il évoque l’actualité en faisant référence à divers rapports d’ONG (ECRE, HHC, AI), à la dernière visite du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe en Hongrie qui décrivent une grave dégradation de la situation des demandeurs d’asile.

Dans un premier temps, le Conseil du contentieux des étrangers (C.C.E.) écarte l’argument de l’O.E. qui invoquait un recours hors délai contre l’Annexe 26 quater, puis reconnaît la connexité des décisions. Dans un second temps, il centre son contrôle sur le moyen sérieux d’annulation pris à l’encontre du transfert vers la Hongrie. Il juge que l’O.E. a fait une lecture lacunaire des informations versées aux débats, notamment en se fondant sur des rapports anciens et, à tout le moins, antérieurs aux récentes modifications législatives des mois de juillet et septembre 2015. Or, d’après le C.C.E., ces réformes récentes « ont un impact certain sur l’examen des questions relatives au traitement au fond des demandes d’asile, aux conditions d’accueil prévalent actuellement dans le système hongrois et au recours à la détention des demandeurs d’asile dans ce pays » (§ 4.3.2.2.3). A la lumière de ces informations et « vu la situation délicate et évolutive prévalant actuellement en Hongrie », le C.C.E. vérifie si l’O.E. a procédé « avec une grande prudence, ce qui implique à tout le moins, un examen complet, rigoureux et actualisé des informations sur lesquelles elle se fonde » avant de prendre le transfert Dublin vers la Hongrie.

Le C.C.E. affirme que l’O.E. ne s’est pas livré à un examen suffisant, notamment des conséquences de ces dernières évolutions législatives sur la question de l’accès aux procédures d’asile, de l’application du concept de pays tiers sûr aux demandeurs d’asile ou encore du risque de refoulement qui en résulte (§ 4.3.2.2.3.4). Il réfute l’argument de l’O.E. selon lequel ces réformes ne concerneraient pas les demandeurs d’asile transférés en application du Règlement Dublin III, le jugeant de « lecture erronée des informations présentes dans le rapport AIDA – octobre 2015 figurant au dossier administratif » (§ 4.3.2.2.4). Le C.C.E souligne que l’O.E. ne remet pas non plus en cause les circonstances que le requérant soit entré par la Serbie avant d’arriver en Hongrie.

En conséquence, le défaut de motivation formelle est qualifié prima facie de moyen sérieux. Les trois conditions de la suspension en extrême urgence sont réunies (détention, moyen sérieux et préjudice grave difficilement réparable). Pour conclure, il ajoute qu’il revient à l’O.E. de se prononcer sur l’existence ou non d’un risque de traitement contraire à l’article 3 CEDH, sur la base d’informations actualisées, avant de décider du transfert du requérant vers la Hongrie.

B. Éclairage

Par cet arrêt, le C.C.E. démontre qu’il poursuit son contrôle de légalité des transferts Dublin à la lumière de la jurisprudence de la Cour EDH depuis l’arrêt MSS[1] de 2011[2]. Il fait preuve d’un contrôle minutieux de l’examen mené par l’O.E. quant au risque de violation de l’article 3 CEDH. Il rappelle, en l’espèce, que cet examen doit être entouré d’une « grande prudence » lorsque le pays de renvoi connaît une « situation délicate et évolutive » influant sur son régime d’asile. Il avait retenu cette solution pour des transferts Dublin vers l’Italie[3], il fait désormais application de cette jurisprudence pour suspendre, en extrême urgence, ce transfert Dublin vers la Hongrie. D’autres juges nationaux se sont appuyés sur cette actualité qui fragilise le régime d’asile hongrois pour suspendre ou annuler de tels transferts vers ce pays, notamment suite à l’ouverture d’une procédure d’infraction à l’encontre de la Hongrie par la Commission européenne[4] et à l’intervention du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans une procédure devant la Cour EDH en décembre 2015[5].

- L’exigence de qualité posée à l’examen préalable au transfert Dublin.

L’arrêt, sous l’angle du contrôle effectué sur la légalité de l’Annexe 26 quater, est intéressant en ce que le C.C.E. centre son attention autour de la qualité de l’examen mené par l’O.E. avant transfert Dublin, cette fois vers la Hongrie. Pour contester la légalité de l’Annexe 26 quater, le requérant invoque principalement un défaut de motivation et d’examen suffisamment rigoureux face à un risque d’atteinte à l’article 3 CEDH en cas de renvoi en Hongrie. Il fait référence aux jurisprudences MSS et TARAKHEL[6] de la Cour EDH pour dénoncer l’insuffisance de motivation et d’examen des défaillances du système d’asile hongrois, accentuées par les récentes réformes législatives. La partie requérante reproche à l’O.E. un examen pas assez « rigoureux », au sens de la jurisprudence de la Cour EDH, et obsolète au regard de la situation très évolutive en Hongrie.

Dans un premier temps, le C.C.E. fait un renvoi assez détaillé aux enseignements tirés des jurisprudences de la Cour EDH en matière de transfert Dublin (§ 4.3.2.2.1). Il rappelle le principe selon lequel un transfert Dublin peut soulever un problème au regard de l’article 3 CEDH et qu’en cas de doute sérieux, le transfert doit être suspendu. Afin d’apprécier le sérieux du risque de mauvais traitements, il y a lieu d’examiner les conséquences prévisibles du transfert compte tenu de la situation générale de ce pays et des circonstances propres à la situation individuelle du requérant. La Cour EDH attache une importance, lors de l’examen de la situation générale du pays, aux rapports récents des organisations internationales indépendantes de défense des droits de l’homme telles qu’Amnesty International ou de sources gouvernementales. En ce qui concerne l’examen des circonstances propres au requérant, le risque invoqué présente un caractère individualisé dès lors qu’il s’avère suffisamment concret et probable[7]. Toutefois, si le requérant démontre appartenir à un « groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements », il n’aura pas à rapporter la preuve d’autres caractéristiques particulières. Cet examen est mené à la lumière du récit du requérant et des informations disponibles sur le pays de destination pour le groupe en question. En outre, le requérant doit avoir été mis en mesure de faire valoir ces circonstances en temps utile. Partant, l’examen de ce risque doit être effectué en fonction des éléments dont la partie adverse avait ou devait avoir connaissance au moment de prendre la décision de transfert Dublin. Enfin, l’examen des éléments indiquant l’existence d’un risque réel de violation de l’article 3 CEDH doit être aussi rigoureux que possible.

Dans un second temps, le C.C.E. applique ces enseignements européens au cas d’espèce. Sur la situation des demandeurs d’asile en Hongrie, il constate une motivation lacunaire de la décision contestée qui ne se réfère qu’à trois rapports anciens. Il considère que la motivation, en l’état, l’empêche de se prononcer sur la gravité des manquements relatifs à divers aspects de la procédure d’asile et, partant, sur la question du risque de subir un traitement contraire à l’article 3 CEDH « au vu des circonstances particulières de l’espèce et du profil particulier du requérant ». Il en déduit que l’O.E. ne s’est pas prêté à un examen assez rigoureux de l’ensemble des éléments indiquant l’existence d’un risque réel de traitement interdit par l’article 3 CEDH. Le premier niveau d’exigence de l’examen préalable au transfert n’est pas garanti en l’espèce. Le C.C.E. ajoute que ce constat s’impose d’autant plus depuis les dernières réformes législatives qui ont un « impact certain » sur le régime d’asile hongrois (traitement de la demande, conditions d’accueil, détention). L’O.E. répondait que les demandeurs d’asile sous procédure Dublin ne seraient pas concernés par ces réformes. Toutefois, le C.C.E. cite le rapport AIDA de 2015 qui considère que les réformes législatives de juillet 2015 engendrent des obstacles à l’accès à la procédure d’asile en Hongrie, notamment la liste de pays tiers sûr qui permet à la Hongrie de déclarer non admissible une demande émanant d’un ressortissant de ces pays (Serbie). Il constate que le second niveau d’exigence attendu n’est pas davantage garanti.

- L’émergence d’un critère aggravant face à la « situation délicate et évolutive » du pays de renvoi.

Ajouté au principe de l’examen aussi rigoureux que possible des éléments indiquant un risque de violation de l’article 3 CEDH, le C.C.E. ajoute qu’en l’espèce la partie adverse aurait dû tenir compte des dernières modifications législatives qui ont un « impact certain » sur le régime d’asile hongrois. Le C.C.E. reproche à l’O.E. de ne pas avoir tenu compte de l’actualité de la situation en Hongrie alors qu’elle « devait savoir » au regard des informations à sa connaissance que « de nombreuses questions sont soulevées par les récentes changements législatifs intervenus en Hongrie » (§ 4.3.2.2.3.3). Le C.C.E reprend les plus importantes « questions » posées par les rapports récents : notamment en termes d’accès à la procédure d’asile, d’accueil et de détention des demandeurs d’asile, mais aussi compte tenu de la crainte de refoulement via la Serbie (pays tiers sûr). Il souligne en outre que ces « carences » sont le fruit de « la volonté d’instaurer une politique de dissuasion délibérée et à long terme » qui traduit une « attitude rigide du gouvernement hongrois à l’égard des demandeurs d’asile » (§ 4.3.2.2.3.3.2). Par conséquent, le C.C.E. exige que l’examen du risque de violation de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE mené par l’O.E. soit à la hauteur de cette « situation délicate et évolutive » en Hongrie. Cet examen doit en effet être mené « avec une grande prudence, ce qui implique à tout le moins, un examen complet, rigoureux et actualisé des informations sur lesquelles elle se fonde » avant de prendre une décision de transfert Dublin vers la Hongrie.

Le contrôle du C.C.E. sur l’examen mené par l’O.E., en l’espèce, peut être rapproché de celui qu’il a mené face à une autre « situation délicate et évolutive », celle prévalant en Italie. En effet, un arrêt du 20 février 2015[8] avait impulsé une jurisprudence du C.C.E. attentive à l’examen mené par l’O.E. en amont de la procédure Dublin avant renvoi vers l’Italie[9], puis plusieurs arrêts de suspension en extrême urgence en avaient résulté, y compris pour des demandeurs d’asile célibataires, dès lors que l’examen était trop « parcellaire »[10]. Le C.C.E. insistait pour rappeler que l’O.E. doit mener un « examen complet, rigoureux et actualisé » de l’état du système d’asile du pays de renvoi Dublin, incitant les autorités compétentes à une « grande prudence » lorsqu’il s’agit de l’Italie. Les raisons et conséquences des carences constatées des régimes d’asile italien et hongrois ne sont pas comparables, toutefois, dans les deux cas le C.C.E. fait le constat d’une « situation délicate et évolutive (y) prévalant actuellement ».

Cette exigence de prudence n’est pas sans rappeler l’arrêt TARAKHEL, du 4 novembre 2014, où la Grande Chambre de la Cour EDH est venue clarifier l’examen qui doit être mené quant au risque de violation de l’article 3 CEDH dans la perspective d’un transfert Dublin vers l’Italie[11]. La Cour EDH a, pour sa part, précisé que le seuil de gravité de l’article 3 CEDH peut être atteint même sans « défaillances systémiques » au sens de l’arrêt N.S.[12] de la Cour de Justice de l’UE (CJUE). L’Etat requérant n’est donc pas exempté d’un examen précis de ce risque et doit tenir compte de la situation générale du pays de renvoi et de la situation individuelle des requérants.

Dans l’espèce commentée, le principal reproche formulé à l’O.E. est la qualité de l’examen mené qui ne tient pas compte des dernières évolutions législatives et qui écarte les possibles conséquences sur la situation individuelle du requérant au seul motif qu’il ne serait pas concerné car renvoyé en application du Règlement Dublin III. Pour le C.C.E., il s’agit d’une « lecture erronée » sur « un point essentiel dans le cas d’espèce » alors même que la partie adverse ne remet pas en cause le fait que le requérant est entré via la Serbie. Ainsi, le contrôle mené par le C.C.E. est minutieux. Il reprend tous les rapports et éléments à la cause avec détail pour conclure que cette situation générale et évolutive du pays de renvoi (Hongrie) incite à une « grande prudence » car elle peut avoir des effets sur la situation individuelle du requérant « demandeur d’asile ». Le moyen de suspension retenu prima facie par le C.C.E. est une motivation formelle inadéquate et un examen dont il n’est pas démontré qu’il a été mené avec la rigueur attendue. A noter que le C.C.E. précise in fine qu’il ne lui revient pas de se prononcer lui-même sur l’existence ou non d’un risque de violation de l’article 3 CEDH. Il renvoie à l’O.E. pour qu’il procède à cet examen actualisé de la situation en Hongrie et qu’il en démontre la qualité au travers d’une motivation adaptée.

*

En conclusion, le C.C.E. suspend en extrême urgence faute de trouver dans la motivation du transfert la trace d’un examen « rigoureux, actualisé et complet » de l’état des carences invoquées du régime d’asile de l’Etat responsable. Dans son arrêt TARAKHEL[13], la Cour EDH a précisément reproché aux autorités suisses de ne pas avoir obtenu de garanties individuelles adaptées dans un contexte de « doute sérieux » du système d’accueil italien, même en deçà des « défaillances systémiques », et d’une particulière vulnérabilité des requérants (famille avec enfants). A défaut, il y aurait risque de violation de l’article 3 CEDH. En l’espèce, c’est la « situation évolutive et changeante » qui a « un impact certain » sur le régime d’asile hongrois qui incite à cette « grande prudence », finalement même sans autre facteur de vulnérabilité que celui inhérent au statut de demandeur d’asile. Comme déjà évoqué, sans mécanisme généralisé et temporaire de suspension dans le Règlement Dublin III, il revient aux autorités nationales, y compris aux juridictions, d’évaluer au cas par cas la situation du système d’asile du pays de transfert Dublin. Toutefois, le système belge comporte toujours une limite majeure en terme d’accès au juge, puisque les demandeurs d’asile sous procédure Dublin n’ont pas un accès aussi direct à cette procédure de suspension en extrême urgence, sauf s’ils sont détenus (condition d’éloignement imminent), mais à celle du recours en annulation classique[14].

D’autres juridictions administratives nationales ont annulé des transferts Dublin vers la Hongrie[15], en raison de cette actualité, notamment : le Tribunal administratif du Grand-Duché du Luxembourg a retenu des « défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs » d’asile en Hongrie, de nature à entraîner un risque de traitement contraire à l’article 4 de la CDFUE[16] ; le Tribunal administratif de Melun (France) a retenu qu'il est probable que le couple requérant n'ait pas accès à la procédure d'asile en cas de transfert en raison de leur transit par la Serbie, pays considéré comme d'origine sûre par la Hongrie ; le Tribunal administratif de Nantes (France) a retenu « qu’il n’est pas établi que (la requérante) sera traitée par les autorités hongroises dans des conditions conformes à l’ensemble des garanties exigées par le respect du doit d’asile »[17]. Enfin, le 20 janvier 2016, la Cour EDH a décidé d’indiquer au gouvernement français, en vertu de l’article 39 du Règlement intérieur de la Cour, de ne pas renvoyer les requérants en transfert Dublin vers la Hongrie et lui a posé deux questions : une relative à l’état de santé de la requérante, l’autre pour savoir si des garanties ont été obtenues en matière d’accueil « et tout particulièrement la prise en compte de son état de vulnérabilité allégué »[18].

E.N.

C. Pour en savoir plus

Lire l’arrêt :

C.C.E., 15 décembre 2015, n°158.621

Doctrine :

Rapport sur les Règlements Dublin II et III :

- S. SAROLEA (dir.), E. NERAUDAU, La réception du droit européen de l’asile en droit belge. Le règlement Dublin, Louvain-la-Neuve, CeDIE, 2014.

Cas des transferts Dublin vers la Hongrie :

- ECRE, Case Law Fact Sheet: Prevention of Dublin Transfers to Hungary, January 2016.

Pour citer cette note : E. Neraudau, « La situation délicate et évolutive prévalant en Hongrie exige une grande prudence lors de l’examen préalable à la décision de transfert Dublin », Newsletter EDEM, janvier 2016.


[2] Cet éclairage ne porte que sur le contrôle de légalité mené par le C.C.E. sur la décision de transfert Dublin vers la Hongrie (Annexe 26 quater).

[5] « En raison des changements radicaux apportés ces derniers mois en Hongrie à la législation et à la pratique relatives à l’asile, les demandeurs d'asile qui sont renvoyés dans ce pays courent un risque considérable de subir des violations des droits de l'homme », a déclaré aujourd'hui le Commissaire Muižnieks, en rendant publiques les observations écrites qu’il a présentées le 17 décembre 2015 à la Cour européenne des droits de l'homme du conseil de l’Europe dans deux affaires contre l’Autriche qui concernent le transfert des requérants de l’Autriche vers la Hongrie en vertu du règlement « Dublin III », Risque de violations des droits de l’homme pour les demandeurs d’asile renvoyés en Hongrie, 13 janvier 2016.

[7] Cour EDH, MSS, précité,  § 359 in fine.

[8] Dans un arrêt du 20 février 2015, deux jours auparavant, le C.C.E était aussi confronté à un transfert Dublin vers l’Italie pour un demandeur d’asile célibataire et en détention. Il avait développé le même raisonnement fondé sur l’enseignement tiré de l’arrêt TARAKHEL de la Cour EDH (précité) et posé l’exigence d’ « un examen complet, rigoureux et actualisé des informations sur lesquelles se fonde l’O.E. pour prendre sa décision » (C.C.E., 20 février 2015, n°138.943, § 3.3.3.2).

[9] Il faut préciser que le C.C.E., dans un arrêt du 30 janvier 2015, avait ouvert la voie à cette jurisprudence : « (La partie requérante) cite notamment l’arrêt du Conseil n°137.696 du 30 janvier 2015 et fait valoir que par cet arrêt, « le CCE reproche à la partie défenderesse, qui faisait référence au rapport AIDA pour conclure que les conditions d’accueil des demandeurs dasile en Italie ne présentent pas un caractère tel qu’elles constituent un traitement inhumain et dégradant, de faire lecture très partielle du rapport AIDA » (requête, p. 6). Elle ajoute que « dans ce même arrêt, le CCE considère qu’on ne peut aujourd’hui affirmer, sur base de ce rapport, qu’il n’existe aucun problème d’accueil des demandeurs d’asile en Italie dont pourrait être victime le requérant. » (Ibid.) (Extrait de l’arrêt du C.C.E. du 20 février 2015 n°138.943). Voy. pour un commentaire de cet arrêt : M. LYS, « Au-delà de l’arrêt Tarakhel : le Conseil du contentieux des étrangers impose une analyse individuelle et approfondie de la situation d’un demandeur d’asile renvoyé en Italie, indépendamment de la vulnérabilité de son profil », Newsletter EDEM, janvier 2015.

[14] Il faut toutefois préciser que le législateur belge a réformé le recours devant le C.C.E. par une loi du 14 avril 2014. Une des modifications importantes concerne la procédure de suspension d’extrême urgence, comme en l’espèce. Le délai pour introduire une demande de suspension en extrême urgence est passé à dix jours et, si les autres conditions demeurent (notamment la condition d’un « éloignement imminent » donc la détention), il faut souligner un assouplissement de l’appréciation du « préjudice grave » qui est présumé dans le cas où la violation invoquée porte sur un droit « indérogeable » (articles 2, 3 ou 4, §1er, et 7 C.E.D.H.) et une exigence d’examen rigoureux des griefs invoqués.

[15] Voyez pour plus de détails et d’exemples cette note d’ECRE : Case Law Fact Sheet: Prevention of Dublin Transfers to Hungary, January 2016.

[16] Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg, 1re chambre, 14 octobre 2015, n°36966.

[17] Tribunal administratif de Nantes (France), 14 janvier 2016, n°1600244.

[18] Cour EDH, Mesures provisoires du 20 janvier 2016, requête n°4409/16.

Publié le 09 juin 2017