Le partage de la charge de la preuve en matière d’asile.
Le C.C.E. rappelle le partage de la charge de la preuve et les obligations qui pèsent sur le C.G.R.A. en matière de collecte d’informations.
Art. 42 de la directive qualification – Art. 48/6 loi 1980 (annulation).
A. Arrêt
La requérante, de nationalité rwandaise, introduit une première demande d’asile qui est rejetée. Elle invoque y être accusée de collaborer avec des groupes basés à l’extérieur du pays. Sa présence au procès de Victoire Ingabire serait à la base de cette accusation.
Elle introduit une seconde demande d’asile après avoir adhéré au Rwanda National Congress (R.N.C.). Elle invoque craindre des persécutions en cas de retour au Rwanda en raison de son activisme au sein de ce parti. Elle prouve sa qualité de membre actif par un témoignage du secrétaire général intermédiaire, une carte de membre et une photo d’une manifestation sur laquelle elle apparaît.
Le Conseil relève qu’il n’est pas contesté que la requérante soit membre du R.N.C. Le Commissaire général a estimé que l’adhésion de la requérante au R.N.C. était opportuniste et sans conviction. Le Conseil répond que l’article 48/3, § 5, de la loi du 15 décembre 1980 prend en compte l’opinion politique imputée en soulignant qu’il est indifférent que le demandeur d’asile possède ou non la caractéristique qui lui est attribuée par l’auteur de la persécution. Le Conseil relève que la partie requérante cite des cas concrets de membres du parti qui ont été inquiétés au Rwanda. L’arrêt regrette que le Commissaire général ne dépose aucun document d’information quant à ce parti. À ce sujet, il souligne que « Si la charge de la preuve repose pour l’essentiel sur les épaules de la partie requérante, il n’en demeure pas moins que la partie défenderesse, en sa qualité d’instance spécialisée, seule chargée de l’instruction de demandes d’asile et ayant un important service de documentation, devait apporter des informations sur le parti RNC et sur les conséquences actuelles d’un engagement en son sein avant d’écarter tout risque pour la requérante ».
Eu égard à la nécessité d’instruction complémentaire, le Conseil annule la décision négative et renvoie le dossier au Commissaire général pour instruction complémentaire.
B. Éclairage
Cet arrêt aborde, sans toutefois l’analyser comme telle, la situation d’une réfugiée sur place, puisque les craintes invoquées lors de la seconde demande sont fondées sur l’adhésion à un parti politique d’opposition en Belgique. L’arrêt ne fait pas référence aux articles 5(3) et 4(3) de la directive qualification et à la possible présomption de mauvaise foi du candidat réfugié qui invoque pour fondement de sa crainte de persécution des actes posés postérieurement au départ de son pays d’origine. Ces dispositions n’ont pas été transposées en droit belge.
Cet arrêt est centré sur la question de a charge de la preuve. Il est l’occasion de rappeler la nécessité d’une juste répartition de celle-ci entre les demandeurs d’asile et le C.G.R.A. Si la loi belge dans la lignée de la directive qualification pose pour principe que la charge de la preuve repose sur les épaules du déclarant, la jurisprudence européenne souligne que cette charge est partagée. Le Conseil s’aligne sur cette jurisprudence[1].
Les dispositions consacrées à la charge de la preuve en droit belge sont les articles 48/6 et 48/7 de la loi organique. L’article 48/6 de la loi organique souligne que le demandeur d’asile doit présenter aussi rapidement que possible les éléments nécessaires pour étayer sa demande. L’alinéa 2 précise dans quelle condition le bénéfice du doute peut être reconnu à défaut de preuves documentaires des déclarations du demandeur d’asile. L’article 48/7 instaure la présomption de risque futur en cas où les persécutions passées ont été établies.
La directive qualification aborde la question de la charge de la preuve à l’article 4 intitulé « Évaluation des faits et circonstances ». Là aussi, il est souligné que « Les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale ». Il s’agit bien d’une possibilité tout en précisant ensuite qu’il appartient à l’État membre d’évaluer, cette fois en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande. Les dispositions qui suivent soulignent que l’examen des dossiers doit être individuel et que s’il appartient au demandeur d’étayer sa demande, il est possible qu’il ne soit pas en mesure de le faire. Ses seules déclarations pour autant qu’elles soient cohérentes et plausibles, serviront alors de preuves.
Il se déduit de ces dispositions que si pour l’essentiel, la charge de la preuve repose sur les épaules du demandeur d’asile, cette unilatéralité est tempérée par l’évaluation de la demande qui doit se faire en coopération avec le demandeur et sur l’obligation pour l’État d’accueil de procéder à une évaluation individuelle. La notion même d’évaluation inclut la recherche de documentation.
La mesure de la charge de la preuve en matière d’asile doit se faire en tenant compte de la vulnérabilité du demandeur d’asile et des difficultés pratiques et psychologiques auxquelles il peut être confronté lorsqu’il s’agit d’établir un risque et de réunir des preuves. Les conditions d’accueil, l’état physique et mental d’un demandeur d’asile, son niveau de scolarité, son isolement, le fait de parler une langue étrangère, l’absence de moyens financiers, sont d’autant d’éléments qui doivent être pris en compte lorsqu’il s’agit d’évaluer l’aptitude d’un demandeur d’asile à réunir les preuves et à se documentation fut-ce pour obtenir une documentation générale. La comparaison entre la « force procédurale » du demandeur d’asile et celle de l’administration suffit à se convaincre de la nécessité d’une compréhension réaliste des obligations mutuelles des parties. La vulnérabilité inhérente au statut de demandeur d’asile a été mise en exergue par la Cour eur. D.H. dans deux arrêts où l’accès effectif des demandeurs d’asile aux procédures de détermination était en cause, les affaires M.S.S. c. Belgique (où les conditions d’accueil en Grèce ont été jugées contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme) ou encore l’arrêt Hirsi c. Italie où il a été relevé que les demandeurs de protection n’avaient même pas eu d’accès à la procédure d’asile.
Outre cette prise en charge de la vulnérabilité du demandeur d’asile, il y a lieu d’attirer l’attention sur deux arrêts, l’un prononcé par la Cour eur. D.H., l’autre par la C.J.U.E. Dans l’arrêt Singh c. Belgique, la première fait grief aux instances d’asile belges de ne pas avoir analysé l’existence d’un risque au sens de l’article 3 de la convention. La Cour soulignait que cet examen avait été occulté au niveau du commissariat général par l’analyse de la crédibilité et par le doute quant à la sincérité des déclarations (§ 100). La Cour rappelle que l’analyse de la crédibilité relève de l’appréciation de la demande d’asile mais n’exempte pas le Commissaire général de poser des actes d’instruction nécessaires à l’examen du dossier tels que l’authentification des documents d’identité dès lors que cette authentification aurait permis de vérifier ou d’écarter de manière certaine l’existence de risques (§ 100). Pour suivre, la Cour soulignait que le Conseil du contentieux des étrangers n’avait pas remédié à cette lacune alors que des documents avaient été produits devant le juge pour lever les doutes quant à la nationalité. La Cour fait la synthèse au § 103 des obligations des autorités en charge de l’examen des demandes d’asile. Celles-ci doivent effectuer un examen aussi rigoureux que possible et doivent analyser de manière attentive les griefs au regard de l’article 3 et ne peuvent se contenter d’écarter des documents qui étaient au cœur de la demande de protection sans vérifier préalablement leur authenticité alors qu’il leur est loisible de le faire – notamment, dans cette affaire Singh, auprès du H.C.R.
La Cour de Luxembourg dans l’affaire M.M. du 22 novembre 2012 se prononce également quant à la charge de la preuve en matière d’asile et souligne qu’il est exigé de l’État d’accueil qu’il coopère avec le demandeur d’asile. L’exigence de coopération « signifie dès lors concrètement que, si, pour quelque raison que ce soit, les éléments fournis par le demandeur d’une protection internationale ne sont pas complets, actuels ou pertinents, il est nécessaire que l’État membre concerné coopère activement, à ce stade de la procédure, avec le demandeur pour permettre la réunion de l’ensemble des éléments de nature à étayer la demande. D’ailleurs, un État membre peut être mieux placé que le demandeur pour avoir accès à certains types de documents ». À ce sujet, la Cour de justice renvoie à l’article 8, § 2, b), de la directive 2005/85 dite « directive procédures » non encore révisé selon lequel les États membres veillent à ce que des informations précises et actualisées soient obtenues sur la situation générale existante dans les pays d’origine des demandeurs d’asile et dans les pays par lesquels ils auraient transité. L’application à la procédure d’asile du principe de l’égalité des armes fait partie des préoccupations du législateur européen, comme l’a souligné l’arrêt M.S.S. Faisant référence à la refonte de la directive procédure, il est souligné que les modifications apportées « visent à renforcer la cohérence du système avec l’évolution de la jurisprudence relative au droit de la défense, au principe de l’égalité des armes et au droit à une protection juridictionnelle effective » (M.S.S., § 85).
L’enseignement de ces deux arrêts excède le stade de l’examen du recours en degré d’appel. Il existe certes une abondante jurisprudence quant à l’effectivité du recours. Toutefois, dès lors que l’effectivité porte sur l’ensemble de la procédure d’asile et que la question qui se pose est l’effectivité de l’accès à la protection internationale, cette exigence de coopération vise tant l’analyse de la demande d’asile en première instance qu’en degré d’appel.
La nouvelle directive procédures n° 2013/32/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 consacre plusieurs articles aux principes de base et garanties fondamentales dans le cadre de la procédure d’asile. L’article 10 confirme l’obligation pour l’État de disposer d’informations précises et actualisées en s’appuyant notamment sur le bureau d’appui européen. Lorsque les informations obtenues sont d’ordre médical, la directive impose à l’autorité responsable, si elle le juge pertinent et sous réserve du consentement du demandeur, de prendre des mesures nécessaires pour qu’il soit procédé à un examen médical réalisé par un professionnel de la santé qualifié.
L’arrêt commenté met en exergue les moyens de recherche dont dispose le C.G.R.A. En effet, le C.G.R.A. peut s’appuyer sur un important centre de documentation, le CEDOCA, et, au niveau européen, sur le bureau européen d’appui, plus communément EASO[2], dont la mission est d’être un centre d’expertise à la disposition des instances nationales d’asile des pays de l’Union.
L’arrêt ne fait pas expressément mention de la disproportion des moyens qui sépare le demandeur d’asile, qui au mieux peut s’appuyer sur ses connaissances, son conseil et des associations et O.N.G., des instances d’examen étatiques, mais celle-ci est en filigranes[3]. Le premier fait figure de petit poucet à côté d’autorités spécialisées et bien mieux armées que lui pour disposer d’informations actualisées. Si l’on peut attendre du demandeur d’asile qu’il réunisse la documentation qui est propre à son parcours, le rapport de forces en présence justifie que l’on attende du C.G.R.A. de réunir la documentation générale. Cette obligation est d’autant plus importante que, comme le souligne le C.C.E., ce dernier n’a pas de pouvoir s’instruction.
Plus que l’égalité des armes, qui sied notamment à la procédure pénale et impose au juge instruction d’agir à charge et à décharge, le réfugié qui n’est pas poursuivi mais demande une protection, doit pouvoir bénéficier d’une procédure au service du besoin de protection. L’égalité des armes, entendue de manière effective, c’est à dire en tenant compte de la situation réelle de l’intéressé, est alors un minimum minimorum.
S.S.
C. Pour en savoir plus
Pour consulter l’arrêt : C.C.E., arrêt n° 126 484 du 30 juin 2014.
Sur l’arrêt Singh, voy. notamment :
Luc LEBOEUF, « Le manque du demandeur d’asile à son devoir de coopération ne dispense pas d’un examen complet des griefs défendables tirés de l’article 3 CEDH », Newsletter EDEM, octobre 2012.
- L. LEBOEUF, « Les suites de l’arrêt Cour eur. D.H. Singh. Le dépôt d’un passeport ne dispense pas le demandeur ‘manifestement réticent’ à coopérer avec les autorités d’établir son dernier lieu de résidence », Newsletter EDEM, août 2013.
Voyez également la proposition de loi du 11 octobre 2013 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur les étrangers en vue d’ouvrir l’accès au Centre de documentation et de recherche aux demandeurs d’asile : « Toutefois, il est étonnant que ce CEDOCA ne soit pas accessible aux personnes extérieures. Or, les demandeurs d’asile sont censés, dans la mesure du possible, apporter la preuve des faits qu’ils allèguent. Il est fréquent que des décisions négatives soient rendues sur la base d’éléments qui auraient pu faire l’objet d’une vérification par le demandeur, s’il avait eu accès aux services du CEDOCA, en amont de la décision ».
Cette coopération en matière de preuve doit également être adaptée à la situation des demandeurs d’asile qui ont des besoins particuliers. Il faut à ce sujet attirer l’attention sur les demandeurs d’asile particulièrement vulnérables et, à leur sujet, à l’avis du Haut-commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés relatif à l’évaluation des demandes d’asile de personnes ayant des besoins particuliers et notamment celles qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violences psychologiques, physiques ou sexuelles.
Pour citer cette note : S. SAROLEA, « Note sous C.C.E., arrêt n° 126 484 du 30 juin 2014. Le partage de la charge de la preuve en matière d’asile », Newsletter EDEM, août 2014.
[1] Voy. par exemple en ce sens l’arrêt n° 20.184 du 9 décembre 2008, s’agissant d’un requérant détenu, qui utilise une formule désormais de style dans la jurisprudence: « 3.2. Dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 39/77 de la loi, tant les parties que la juridiction sont tenues au respect de délais de procédure encore réduits. La partie requérante est, en outre, placée dans une position de fragilité particulière du fait de son maintien en un lieu déterminé, de nature à lui rendre plus difficile la collecte d’éléments de preuve. Lorsque le Conseil est saisi d’un recours dans le cadre de cette procédure accélérée, il doit, par conséquent s’attacher, tout particulièrement à éviter que les contraintes spécifiques à cette procédure n’entraînent une rupture de l’égalité des armes entre les parties ou n’empêchent une instruction suffisante de l’affaire. 4.5. […] il incombe aux deux parties de mettre en œuvre tous les moyens utiles afin de contribuer à l’établissement des faits ».
[2] Créé par le règlement (UE) n° 439/2010 du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 portant création d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile, J.O., L132/11, 19 mai 2010.
[3] Voy. par exemple en ce sens l’arrêt n° 20.184 du 9 décembre 2008 qui utilise une formule désormais de style dans la jurisprudence : « 4.5 […] il incombe aux deux parties de mettre en œuvre tous les moyens utiles afin de contribuer à l’établissement des faits ».