Ch. conseil Bruxelles, 7 mars 2014

Louvain-La-Neuve

Privation de liberté des demandeurs d’asile et mise en œuvre du Règlement Dublin III : une obscure clarté ?

La Chambre du conseil du Tribunal de Première Instance (ci-après « TPI ») de Bruxelles est saisie d’une requête de mise en liberté d’un requérant, demandeur d’asile sous procédure Dublin, placé en détention. La décision de maintien en détention se fonde sur la législation nationale qui prévoit une telle possibilité le « temps strictement nécessaire » à la détermination de l’État responsable de la demande d’asile (article 51/5, § 1). Les autorités belges ajoutent qu’elles ont un doute que l’intéressé n’exécute pas le transfert vers la Hongrie de son propre gré. Le requérant reproche à cette décision de ne pas être conforme aux nouvelles dispositions du Règlement Dublin III, désormais applicable. Il invoque également un risque de violation de l’article 3 CEDH en cas de transfert en Hongrie, notamment en raison des défaillances d’accueil des demandeurs d’asile. Le juge judiciaire considère que la décision est conforme aux exigences légales et maintient le demandeur d’asile « dubliné » en détention.

Règlement n° 604/2013 dit Règlement « Dublin III » (RD III) – Article 28 RD III – Placement en rétention des demandeurs d’asile sous procédure Dublin III – Principe et conditions du RD III – Articles 9 à 11 directive 2013/33 (Accueil) Conformité de la loi et de la pratique belges avec le droit de l’UE.

A. Arrêt

Le requérant, de nationalité turque, a introduit une demande d’asile en Belgique le 14 février 2014. Les autorités belges constatent, sur consultation de la base d’empreintes digitales EURODAC, que l’intéressé a préalablement introduit une demande d’asile en Hongrie avant de passer par l’Italie. L’Office des étrangers (OE) décide de placer le requérant en détention et prend, le 19 février 2014, une décision de maintien en centre fermé sur le fondement des articles 51/5, § 1, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 et de l’article 71/2bis de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 (Annexe 39ter). La décision de placement mentionne que des démarches vont être entreprises en vue du transfert vers l’Etat responsable de cette demande d’asile. La motivation comporte également une référence à l’interview du requérant à l’OE au cours de laquelle il a indiqué être passé par la Hongrie, sans avoir introduit de demande d’asile, avant de se rendre en Italie : « L’intéressé ayant volontairement fait le choix d’introduire une demande d’asile en Belgique, on peut douter qu’il retourne, de son propre gré, dans un État où il nie avoir fait une telle demande (…), au contraire de la Belgique qu’il considère comme étant plus accueillante (…) ». Le 20 février 2014, l’OE adresse une demande de reprise en charge aux autorités hongroises.

Par une requête de mise en liberté, introduite le 28 février 2014 auprès de la Chambre du Conseil du TPI de Bruxelles, le requérant invoque principalement :

  • une violation de l’article 28 du RD III qui prévoit que les États membres « ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle fait l’objet de la procédure établie par le présent règlement » (§ 1) ;
  • un risque de violation de l’article 3 CEDH en cas de retour en Hongrie, notamment en raison des défaillances d’accueil dans les centres de demandeurs d’asile, s’appuyant sur l’arrêt M.S.S. de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « Cour eur. D.H. »).

Par Ordonnance du 7 mars 2014, la Chambre du Conseil juge la mesure privative de liberté conforme aux exigences légales :

  • D’abord, le juge indique que « ce n’est pas parce que l’intéressé a demandé l’asile qu’il est placé en détention mais parce qu’il se trouve dans le cadre d’une demande de reprise de l’examen de sa demande, situation expressément prévue par la disposition légale invoquée à la décision querellée » ; ensuite, il précise que l’intéressé avait nié avoir introduit une demande d’asile dans un autre État, « ce qui justifiait la crainte des autorités que l’intéressé ne retourne pas de son propre gré en Hongrie ».
  • Ensuite, sur la crainte d’une violation de l’article 3 CEDH, le juge répond que l’arrêt M.S.S. est un rappel d’une jurisprudence constante de la Cour eur. D.H. lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé courra, dans le pays de destination, « un risque réel d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains et dégradants ». Il conclut que les éléments produits par la partie requérante « ne permettent pas d’établir » ce risque.

Le juge judiciaire maintient la mesure privative de liberté du demandeur d’asile placé sous procédure de détermination de l’État membre responsable.

B. Éclairage

L’ordonnance commentée intervient alors que la refonte du Règlement Dublin III s’applique aux demandes introduites depuis le 1er janvier 2014[1] (ci-après « RD III »). Le juge judiciaire belge est interrogé sur la légalité du placement en détention[2] d’un demandeur d’asile sous procédure Dublin (ci-après « dubliné »). Cette décision invite à se pencher sur le cadre posé par le nouveau RD III en matière de placement en rétention des demandeurs d’asile (1) et à observer, au travers du cas d’espèce, sa mise en œuvre par les autorités nationales (2).

(1) Le placement en rétention du demandeur d’asile sous procédure Dublin III

- Le règlement n° 343/2003 dit « Dublin II »[3] ne comportait pas de dispositions spécifiques relatives à la possibilité ou aux conditions de détention du demandeur d’asile placé sous procédure Dublin[4]. Les États disposaient d’une marge de manœuvre pour prévoir ou non dans leur droit national la cette possibilité. En Belgique[5], le législateur a accordé aux autorités compétentes, « pendant le temps strictement nécessaire » de cette phase de détermination, la possibilité de placer en détention le demandeur d’asile durant un mois au maximum[6]. Ce délai pouvant être prolongé si la procédure s’avère « particulièrement complexe »[7].

- Depuis le 1er janvier 2014, le règlement n° 604/2013 dit « Dublin III » s’applique aux demandes d’asile et demandes de prises/reprises Dublin. Cette refonte du Règlement Dublin, s’il conserve en grande partie la logique générale du système de détermination de l’Etat responsable et des transferts conséquents, apporte quelques clarifications et parfois des modifications.

Une nouvelle section est consacrée au placement en rétention aux fins de transfert. L’article 28, § 1, RD III[8] énonce expressément le principe selon lequel un demandeur d’asile ne peut être placé en rétention « au seul motif » qu’il fait l’objet d’une procédure Dublin. Le § 2 de l’article 28 RD III[9] énumère ensuite le cas où une telle détention peut avoir lieu en cas de procédure Dublin : lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite « sur la base d’une évaluation individuelle » et uniquement lorsque « le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées ». Le § 3 de l’article 28 RD III apporte des précisions sur la durée « aussi brève que possible » du placement en rétention s’il doit avoir lieu et impose aux États des délais de procédure raccourcis[10]. À défaut de respecter ces délais, le demandeur d’asile doit être libéré. Le § 4 de l’article 28 RD III[11] prévoit que les « dublinés » doivent se voir appliquer les mêmes conditions et garanties que celles de tout demandeur d’asile au titre de la directive 2013/33 (articles 9 à 11 de la refonte directive dite « Accueil »), notamment « un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité du placement en rétention d’office et/ou à la demande du demandeur », ainsi que répété « à intervalles raisonnables ».

Ces dispositions s’appliquent directement dans les États membres sans étape de transposition puisqu’il s’agit d’un règlement UE. On peut souligner que ces règles relatives à la détention comportent une partie spécifique aux demandeurs qui se trouvent dans le champ du Règlement Dublin III et un renvoi aux dispositions générales en vigueur pour tout demandeur d’asile. En tout état de cause, un demandeur d’asile ne peut être privé de liberté au seul motif de l’introduction d’une demande d’asile ou d’une procédure Dublin. Un demandeur d’asile peut être placé en détention « si nécessaire », s’il n’y a pas d’autre mesure moins coercitive et dans des cas strictement énumérés (article 8, § 3, directive Accueil précitée). Le RD III précise le cas où ce placement est possible dans son champ d’application : l’existence d’un « risque de fuite non négligeable » sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement si la mesure privative de liberté est proportionnelle et qu’aucune autre mesure ne pouvait être appliquée (article 28, § 2, RD III).

(2) En l’espèce, les autorités belges et les règles de détention Dublin III

Les dispositions légales nationales précitées n’ont pas été modifiées depuis l’entrée en vigueur du RD III. Dans le cas d’espèce, la décision de maintien en détention du requérant a donc pour base légale les articles 51/5 de la Loi précitée et 71/2 de l’Arrêté royal précité (Annexe 39ter). La décision ne vise pas expressément les nouvelles dispositions du règlement Dublin III en matière de détention. Faut-il y voir une poursuite de la pratique antérieure consistant à priver de liberté une majorité des demandeurs « dublinés »[12], sur la base de ces dispositions, au motif d’une procédure Dublin initiée ?

Dans le cas d’espèce, les conditions posées par le RD III ne ressortent avec acuité ni de la décision de placement, ni de l’ordonnance commentée : l’OE ne fait pas mention de l’existence d’un « risque de fuite non négligeable » – tout au plus d’un « doute » – ni même d’un examen de proportionnalité et de subsidiarité de la mesure coercitive décidée (a). La crainte en cas de transfert vers la Hongrie est rejetée sans motivation propre à l’espèce (b).

a) Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 28, § 1, RD III

Le juge judiciaire répond que le motif de placement en détention se trouve être la procédure Dublin initiée : « parce qu’il se trouve dans le cadre d’une demande de reprise de l’examen de sa demande ». Or, l’article 28, § 1, RD III stipule expressément que ce seul motif ne peut suffire aux États pour priver de liberté un demandeur d’asile « dubliné ». Il s’agit d’une première difficulté, même si le juge ajoute que cette situation est « expressément prévue par la disposition légale invoquée à la décision querellée ». En effet, le juge national est juge de droit commun du droit de l’UE, il doit donc appliquer le droit de l’UE au titre du principe de primauté, voire même laisser inappliquée une disposition de la loi nationale qui serait contraire[13]. Ainsi, l’argument tiré de ce que la possibilité de placer en détention un demandeur « dubliné » est prévue par la loi nationale n’est pas suffisant. Encore faut-il que ces dispositions nationales soient conformes au droit de l’UE.

Ce dispositif national peut être discuté à l’aune des nouvelles dispositions du RD III. D’une part, l’article 51/5 de la Loi précitée affirme sans détour que la détention du demandeur d’asile peut avoir lieu « à cette fin », soit au service d’une procédure de détermination du RD III. Ce constat questionne la compatibilité entre la loi nationale et l’article 28, § 1, RD III. Or, la Chambre du conseil semble conforter la possibilité offerte par la loi de placer en détention sur le fondement d’une procédure Dublin[14]. Le fondement légal retenu dans le cas d’espèce pour placer l’intéressé en détention ne semble pas conforme au droit de l’UE. D’autre part, l’article 51/5 de la loi précitée ne fait aucune mention du seul motif pouvant être désormais invoqué par les États, à savoir l’existence d’ « un risque de fuite non négligeable » sur la base d’une évaluation individuelle. Il n’y a aucune mention non plus des exigences de proportionnalité et de subsidiarité de la mesure de placement de l’article 28, § 2, RD III. Pourtant, c’est « uniquement » si toutes ces conditions sont réunies qu’un tel placement peut être envisagé dans le champ d’application du RD III. Dans le cas d’espèce, la décision de placement et l’ordonnance commentée semblent insuffisamment répondre aux conditions posées par le droit de l’UE :

- Sur « l’existence d’un risque de fuite non négligeable »

Dans la décision de placement, comme dans l’ordonnance commentée, il n’est fait aucune mention à cette notion. L’OE évoque « un doute » que le requérant exécute son transfert qui repose sur les déclarations du requérant quant à sa demande d’asile en Hongrie. Pourtant, l’article 28, § 2, RD III pose des conditions cumulatives, parmi lesquelles l’existence d’un risque non négligeable, seul motif pouvant justifier une telle privation de liberté. La motivation de la décision de placement ne paraît pas suffisante. D'autant que l’article 2, n), RD III dispose que les autorités doivent démontrer « dans un cas individuel, l’existence de raisons, fondées sur des critères objectifs définis par la loi, de craindre la fuite d’un demandeur (…) qui fait l’objet d’une procédure de transfert ». Dans la loi nationale, une définition du « risque de fuite » est donnée à l’article 1 de la loi du 15 décembre 1980[15], issue de la transposition de la directive « Retour »[16]. Comme le souligne Tristan Wibault[17], la liste des situations susceptibles de constituer des indices du risque de fuite se trouve dans l’exposé des motifs de la loi de transposition, non dans la loi elle-même, ce qui avait été fortement critiqué par le Conseil d’État dans son avis de juillet 2011[18]. On peut ainsi également se demander si la loi est suffisamment précise sur les « critères objectifs » dès lors qu’il s’agit de privation de liberté[19].

En outre, le risque de fuite du demandeur d’asile « dubliné » ne devrait être rapproché en tous points de la situation du ressortissant tiers soumis à une procédure de retour (directive Retour). D’une part, le RD III en fait le seul motif possible et vise expressément « l’existence » d’un risque « non négligeable » et « uniquement » s’il n’y a pas d’autres mesures possibles. D’autre part, l’intéressé est un demandeur de protection dans l’espace de l’UE, l’examen individuel requis par le RD III devrait inciter les autorités à tenir compte de cette spécificité. La Cour eur. D.H. ne cesse de rappeler que ce statut est « particulièrement vulnérable » et la CJUE, depuis son arrêt N.S., demande aux États de veiller à ne pas aggraver une situation de violation des droits fondamentaux du demandeur d’asile « dubliné », notamment en respectant des délais raisonnables (N.S., pts 98 et 108). D’autant qu’un demandeur d’asile qui se déplacerait vers un autre État membre, se trouverait toujours en prise avec la procédure Dublin. La motivation de la fuite et ses conséquences semblent devoir être adaptées à ce contexte spécifique. Pour exemple, dans le cas d’espèce, le fait de « nier » avoir déposé une demande d’asile dans le pays où il indique être passé (Hongrie) n’a pas d’incidence sur les critères de détermination de l’État responsable de sa demande. En conséquence, le lien n’est pas clair entre l’argument avancé et le risque de fuite. De plus, à suivre l’argument avancé par l’OE pour justifier son « doute », à savoir « l’intéressé a volontairement fait le choix d’introduire une demande d’asile en Belgique », toute demande d’asile introduite dans un second État membre pourrait motiver un placement en détention. Or, l’article 28, § 1, RD III pose un principe contraire. En l’espèce, le juge judiciaire ne conteste pas cette logique et confirme qu’elle peut justifier une « crainte des autorités », quoique sans rattachement et précisions quant à la notion de « risque de fuite non négligeable ».

- Sur les impératifs de proportionnalité et de subsidiarité de la mesure privative de liberté

La décision contestée et l’ordonnance sont muettes sur ces conditions impératives posées par l’article 28, § 2, RD III. Il s’agit pourtant de garanties essentielles qui traduisent le principe selon lequel la détention doit être la dernière mesure envisagée, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un demandeur de protection et d’autant plus placé sous procédure Dublin. Le cadre posé par le RD III et la directive Accueil, en termes de garanties et de conditions en cas de placement, devrait inciter les autorités nationales à motiver leurs décisions[20]. Ainsi, le juge compétent pourrait opérer un contrôle précis portant sur l’ensemble des conditions posées par le RD III[21].

Le RD III indique expressément qu’un placement ne peut intervenir que si d’autres mesures moins coercitives « ne peuvent être appliquées ». Cette assertion semble poser un impératif à l’autorité qui examine la situation individuelle du demandeur d’asile en terme de charge de la preuve de l’examen des mesures moins coercitives[22] et de leur compatibilité avec la situation donnée. En l’espèce, le silence de l’OE dans la motivation de sa décision de placement laisse supposer qu’aucun examen n’a été fait ni sur la proportionnalité ni sur les autres mesures possibles dans le cas précis du requérant[23].

Pourtant, le contrôle de cette condition de proportionnalité devrait faire « partie intégrante du contrôle de légalité de ladite détention. Aussi le contrôle de la chambre du conseil et de la chambre des mises en accusation porte également sur cet aspect »[24]. Ainsi, le juge judiciaire pourrait être amené à conclure, en matière de placement dans le cadre de Dublin III, qu’à défaut d’« une analyse de la nécessité de la détention en centre fermé, en lieu et place d’autres mesures moins coercitives (…), la décision n’est pas légalement motivée et ne peut fonder une détention », dans le même sens qu’un avis récent du Procureur général[25].

b) Sur le moyen tiré du risque de violation de l’article 3 CEDH

Le juge, en l’espèce, répond que la partie requérante « ne permettent pas d’établir » un risque en cas de transfert en Hongrie. Force est de rappeler que la jurisprudence M.S.S. est une jurisprudence très spécifique de la Cour eur. D.H. intervenue dans le champ d’application du RD II et qui condamne notamment la Belgique pour ses défaillances lors d’un transfert vers la Grèce[26]. Or, au regard de la situation des demandeurs d’asile en Hongrie, le Conseil du contentieux des étrangers a suspendu en extrême urgence des transferts Dublin vers ce pays[27]. Plus récemment, le Conseil d’État français a fait échec à une décision de transfert vers la Hongrie, s’appuyant essentiellement sur la situation individuelle des intéressés lors de leur passage en Hongrie[28]. La question de la nature et de l’étendue du contrôle exercé par le juge judiciaire au stade de l’examen de la légalité de la détention en Belgique semble de nouveau faire écho[29].

Conclusion

La compatibilité du droit et de la pratique belges en matière de détention avec le RD III ne saurait être évaluée à la lumière d’une seule décision du juge judiciaire et faute de recul suffisant. Toutefois, il est possible de souligner certaines difficultés comme supra. Le principe selon lequel nul ne devrait être placé en rétention au seul motif d’une procédure Dublin aurait pu être posé de manière plus radicale dans le cadre de la procédure Dublin, comme le proposait la Commission européenne[30], soit seulement à partir de la décision de transfert. Cela aurait eu le mérite de clarifier l’objectif affiché de la privation de liberté « en vue de garantir les procédures de transfert » (article 28, § 2, RD III). On peut regretter aussi l’insertion expresse de la possibilité de priver de liberté un demandeur d’asile « dubliné » dans le RD III. Il n’en demeure pas moins qu’il institue un cadre à ces placements en rétention (conditions, charge de la preuve, délais) et rappelle qu’ils doivent répondre aux garanties générales posées aux États pour tout demandeur d’asile (décision motivée, recours juridictionnel, respect de délais). Comme dérogation à une garantie fondamentale, ces règles de placement en détention devraient être appliquées strictement par les autorités nationales[31] sous le contrôle du juge national compétent, rouage essentiel du Régime d’Asile Européen Commun (RAEC), et du juge de l’UE par la voie de l’interprétation[32]

E.N.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt :  T.P.I. Bruxelles, ch. conseil, 7 mars 2014.

Pour citer cette note : E. NERAUDAU, « Privation de liberté des demandeurs d’asile et mise en œuvre du Règlement Dublin III : une obscure clarté ? », Newsletter EDEM, avril 2014.


[1] Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (J.O.U.E., 29 juin 2013, L180/31).

[2] Le règlement Dublin III utilise la terminologie « rétention », alors que le droit belge utilise la terminologie « détention ». Pour plus de clarté, le présent commentaire conserve cette distinction selon qu’il traite du RD III ou du droit belge, même s’ils visent tous deux la privation de liberté pour des motifs administratifs.

[3] Règlement n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, J.O., L50, 25 février 2003, p. 1.

[4] Seul l’article 17, § 2, RD II faisait référence au cas où « le demandeur d’asile est maintenu en détention » ouvrant la possibilité à l’État requérant de solliciter une réponse en urgence de l’État requis.

[5] Pour une analyse comparée des législations en matière de détention Dublin II : Rapport final du « Transnational project Dubin », 2011, p. 12.

[6] L’article 51/5, § 1, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 prévoit la possibilité d’un placement en cas de procédure Dublin : « À cette fin, peut être maintenu dans un lieu déterminé le temps strictement nécessaire, sans que la durée de ce maintien ou de cette détention puisse excéder un mois : 1° l’étranger qui dispose d’un titre de séjour ou d’un document de voyage, revêtu d’un visa ou d’une attestation tenant lieu de visa, dont la durée de validité est expirée, délivré par un État tenu par la réglementation européenne relative à la détermination de l’État responsable du traitement de la demande d’asile, ou 2° l’étranger qui ne dispose pas des documents d’entrée visés à l’article 2 et qui, d’après ses propres dires, a séjourné dans un tel État, ou 3° l’étranger qui ne dispose pas des documents d’entrée visés à l’article 2 et dont la prise d’empreintes digitales conformément à l’article 51/3 indique qu’il a séjourné dans un tel État. (…) »

[7] « Le CIRÉ relève essentiellement trois champs d’application problématiques de cette réglementation en Belgique : la détention systématique des "cas Dublin", la situation de mineurs étrangers accompagnés ou pas, et le manque de souplesse dans l’application des clauses humanitaire et de souveraineté », CIRE, « Le Système Dublin », novembre 2009, p. 4.

[8] Article 28, § 1, RD III : « Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle fait l’objet de la procédure établie par le présent règlement » (nous soulignons).

[9] Article 28, § 2, RD III : « 2. Les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément au présent règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées » (nous soulignons).

[10] Un mois pour former la demande de prise/reprise ; deux semaines pour répondre sinon acceptation tacite ; un mois et demi pour procéder au transfert effectif à moins d’une contestation devant un tribunal.

[11] Article 28, § 4, RD III : « 4. En ce qui concerne les conditions de placement en rétention et les garanties applicables aux personnes placées en rétention, afin de garantir les procédures de transfert vers l’État membre responsable, les articles 9, 10 et 11 de la directive 2013/33/UE s’appliquent » (nous soulignons).

[12] Une étude du CIRE de 2009 indique que près de 79 % des demandeurs d’asile placés sous procédure Dublin fait l’objet d’une détention (CIRE, « Le système Dublin », op. cit.). Pour l’année 2012, la moitié des décisions de transfert Dublin ont fait l’objet d’un maintien en détention sur le territoire (858 détenus pour 1604 annexes 26quater) et, pour les demandes à la frontière, les demandeurs se voient délivrer une décision de transfert (82 annexes 25quater) et sont a priori « maintenus dans un centre situé à la frontière » (Rapport d’activité de l’Office des étrangers, p. 144).

[13] Voy. C.J.U.E., 22 juin 2010, Aziz Melki, C-188/10, Sélim Abdeli, C-189/10, § 43 : « (…) le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale (…) ».

[14] Comme déjà évoqué, dans l’ordonnance commentée, le juge s’appuie sur le fait qu’ « il est placé en détention (…) parce qu’il se trouve dans le cadre d’une demande de reprise de l’examen de sa demande, situation expressément prévue par la disposition légale invoquée (…) ».

[15] Article 1, 11°, de la loi précitée : « risque de fuite : le fait qu'un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet d'une procédure d'éloignement présente un risque actuel et réel de se soustraire aux autorités. Pour ce faire, le ministre ou son délégué se base sur des éléments objectifs et sérieux ».

[16] Directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

[17] T. WIBAULT, « La transposition de la directive Retour en droit belge », R.D.D.E., n° 169, 2012, p. 386.

[18] C.E., section législation, avis 49.947/2/V du 27 juillet 2011 : « Dans la mesure où la reconnaissance d’un risque de fuite peut conduire au maintien de l’étranger ou à son assignation à résidence et donc impliquer une restriction de liberté, c’est au législateur qu’il appartient de définir les critères objectifs servant à déterminer s’il existe des raisons de penser qu’un ressortissant d’un pays tiers peut prendre la fuite » (nous soulignons).

[19] Au sens de la jurisprudence de la Cour eur. D.H., elle doit être prévue par la loi et appréhendée de manière restrictive, comme une exception à une garantie fondamentale qu’est la liberté individuelle. « La Cour rappelle que l’article 5, § 1, dresse la liste exhaustive des circonstances dans lesquelles les individus peuvent être légalement privés de leur liberté, étant bien entendu que ces circonstances appellent une interprétation étroite puisqu’il s’agit d’exceptions à une garantie fondamentale de la liberté individuelle (Quinn c. France, arrêt du 22 mars 1995, série A n° 311, p. 17, § 42). », Cour eur. D.H., John c. Grèce, requête n° 199/05, 10 août 2007, § 26 ; T. WIBAULT, op. cit., p. 387, note 90.

[20] « Le placement en rétention des demandeurs est ordonné par écrit par les autorités judiciaires ou administratives. La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée » (article 9, § 2, directive Accueil). « Les demandeurs placés en rétention sont informés immédiatement par écrit, dans une langue qu’ils comprennent ou dont on peut raisonnablement supposer qu’ils la comprennent, des motifs du placement en rétention et des procédures de recours contre la décision de placement en rétention prévues par le droit national, ainsi que de la possibilité de demander l’assistance juridique et la représentation gratuites » » (article 9, § 4, directive Accueil).

[21] L’article 9 de la directive Accueil insiste sur l’accès à « un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité du placement en rétention d’office et/ou à la demande du demandeur », ainsi que répété « à intervalles raisonnables ».

[22] « Lorsqu’ils envisagent l’application d’autres mesures moins coercitives aux fins du paragraphe 2, les États membres prennent en considération les alternatives à la rétention telles que l'obligation de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière ou de demeurer en un lieu déterminé, ou d’autres mesures destinées à éviter tout risque de fuite », article 27, § 3, de la Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale présentée dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, 3 décembre 2008, COM(2008) 820 final.

[23] Pour un aperçu des mesures moins contraignantes et alternatives à la détention en droit belge, voy. T. WIBAULT, op. cit., p. 385 ; Rapport UNHCR, « Pour des alternatives à la détention des demandeurs d’asile en Belgique », novembre 2011.

[24] Avis du Procureur Général, contre le maintien du placement en détention (directive Retour), qui n’a pas été suivi par la Cour d’appel de Liège, Ch. mis. acc., 22 avril 2014, n° 2014/ET/40, p. 3. Voy. à cet égard M. Lys, « Le droit d’être entendu et la détention d’un étranger en séjour irrégulier : une application bancale de la jurisprudence européenne par le juge belge », Newsletter EDEM, avril 2014.

[25] « En l’espèce, la décision de l’Office des étrangers du 19 mars ne mentionne pas qu’il a été procédé à l’examen du principe de proportionnalité énoncé par l’article 7 al. 3 de la loi du 15 décembre 1980, et ne mentionne dès lors pas en quoi il a été nécessaire de recourir à la détention plutôt qu’à d’autres mesures moins coercitives », Avis du Procureur Général qui n’a pas été suivi par la Cour d’appel de Liège, Ch. mis. acc., 22 avril 2014, n° 2014/ET/40, p. 3.

[26] Voy. notamment : F. MAIANI et E. NERAUDAU, « L’arrêt M.S.S. / Grèce et Belgique de la Cour eur. D.H. du 21 janvier 2011 : De la détermination de l’État responsable selon Dublin à la responsabilité des États membres en matière de protection des droits fondamentaux », R.D.E., 2011.

[27] C.C.E., 15 mai 2012, n° 81368, 6 juillet 2012, n° 84290.

[28] C.E., Ord. réf., 29 août 2013, M. Xhafer G., Req. n° 371572. Voy. notamment : E. NERAUDAU, « Le Conseil d’Etat français suspend une procédure de transfert Dublin vers la Hongrie, en raison du risque sérieux d’un traitement défaillant des demandes d’asile », Newsletter EDEM, septembre 2013.

[30] Article 27, § 4, de la Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil, op. cit., COM(2008) 820 final.

[31] La détention – qui plus est d’un demandeur d’asile – devrait être ramenée à sa stricte place d’exception à la liberté individuelle. Les textes précités incitent les autorités compétentes, qui entendent placer en détention un demandeur d’asile « dubliné », à effectuer un examen individuel et approprié (« risque de fuite non négligeable », caractère proportionné et indispensable de la mesure la plus coercitive). A défaut, non seulement les nouvelles règles posées par le RD III se trouvent atteintes, mais aussi celles relatives à la détention de tout demandeur d’asile.

[32] Voy. la chronique de jurisprudence C.J.U.E. du Professeur Jean-Yves Carlier : « La justice de la Cour, en ce domaine sensible des migrations, est pour sa part marquée par la recherche d’un équilibre entre souveraineté et droits fondamentaux, avec une importance particulière accordée à ces derniers », J.-Y. CARLIER, « Droit européen des migrations », J.D.E., 2014, pp. 105 à 114.

Publié le 15 juin 2017