CORR. BXL (CH.CONS.), 26 avril 2019, inédit

Louvain-La-Neuve

Le principe de l’inviolabilité du domicile : limite effective à l’exécution d’une mesure de privation de liberté d’un étranger à éloigner ?

Contrôle de légalité des mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire – Non-respect du principe de l’inviolabilité du domicile – Illégalité de l’arrestation administrative – Irrégularité de la détention

La chambre du conseil de Bruxelles est appelée à statuer sur une requête de mise en liberté déposée par un étranger détenu sur la base d’un ordre de quitter le territoire avec maintien en vue de l’éloignement. Elle constate qu’il lui est impossible de vérifier, vu les déclarations contradictoires déposées au dossier, que cette interpellation a été effectuée dans le respect du principe de l’inviolabilité du domicile. Elle considère dès lors que la régularité de l’interpellation n’est pas établie, et ordonne la remise en liberté de l’intéressé.

Christelle Macq

A. Décision

Aux termes de la décision commentée, la chambre du conseil de Bruxelles était appelée à se pencher sur la légalité d’une mesure de maintien en détention en vue de l’éloignement.

Le requérant sollicitait sa remise en liberté, invoquant l’irrégularité de son arrestation administrative, celle-ci ayant, selon lui, été opérée en violation de son droit à la protection du domicile alors que la police ne disposait pas d’une autorisation expresse et écrite d’entrer ou d’un mandat en bonne et due forme.

Il déposait, à l’appui de ses dires, une attestation de son épouse exposant en substance que 4 personnes affirmant être de la police avaient pénétré de force dans leur domicile pour procéder à l’arrestation de son mari. L’épouse expliquait que celui-ci avait été tiré de son lit pour ensuite être emmené sous la contrainte par les services de police.

Le procès-verbal de police, déposé à l’audience de la chambre du conseil par le ministère public, faisait, à l’inverse, mention de ce que le requérant avait été privé de sa liberté devant son domicile et avait volontairement suivi les services de police.

A l’issue de son analyse, la chambre du conseil s’estime dans l’impossibilité, vu les contradictions existantes entre les différentes versions en présence, de déterminer si l’interpellation du requérant a été ou non opérée dans le respect du principe de l’inviolabilité du domicile. Elle juge par conséquent qu’il n’est pas établi par les éléments du dossier que l’interpellation du requérant a été effectuée de manière régulière et ordonne sa remise en liberté.

Cette décision a ensuite, sur appel du ministère public, été réformée par la chambre des mises en accusation par arrêt du 14 mai 2019. La juridiction d’appel, à l’inverse de la chambre du conseil, accorde un poids prépondérant à la version donnée par les services de police. Elle estime la version donnée par l’étranger et son épouse peu crédible pour divers motifs, en ce compris le fait que cette version ait été rédigée ultérieurement ainsi que le fait que « rien ne permet de mettre en cause la bonne foi des inspecteurs de police qui n’ont aucun intérêt personnel à faire valoir dans cette affaire ». La chambre des mises en accusation juge, par conséquent, la privation de liberté régulière, celle-ci ayant, à son estime été effectuée, conformément aux déclarations des services de police, à l’extérieur du domicile de l’intéressé qui a accepté de les suivre sans opposer de résistance.

Cet arrêt de la chambre des mises en accusation a fait l’objet d’un pourvoi en cassation introduit par le conseil de l’étranger. Par arrêt du 14 juin 2019, la Cour de cassation rejette ce pourvoi le jugeant irrecevable. Elle ne se penche pas sur le contenu des moyens soulevés devant elle, jugeant le mémoire déposé par la partie requérante irrecevable car déposé tardivement. Elle motive cette décision en renvoyant à l’article 429 alinéa 1er du Code d’instruction criminelle qui subordonne la recevabilité du mémoire à la condition qu’il soit remis au greffe de la Cour quinze jours au plus tard avant l’audience. 

B. Éclairage

Le principe de l’inviolabilité du domicile protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 15 de la Constitution empêche les services de police de pénétrer le domicile de l’étranger sans son consentement ou sans mandat aux fins de procéder à son arrestation administrative. La Cour de cassation a condamné, à plusieurs reprises, les arrestations d’étrangers en séjour illégal effectuées par les services de police à domicile en violation de leurs droits. Elle a rappelé que la poursuite des finalités que leur assignent les articles 21 et 34, § 3, de la loi du 5 août 1992 et 74/7 de la loi du 15 décembre 1980 qui autorisent les services de police à contrôler l’identité d’un étranger et à le soumettre à une mesure d’arrestation administrative dans le cas où il ne dispose pas d’une pièce d’identité en règle ne suffit pas, à elle seule, à autoriser les services de police à exécuter une visite domiciliaire au domicile des personnes concernées[1].  La Cour de cassation a rappelé que les juridictions d’instruction ont pour mission de veiller au respect du principe de l’inviolabilité du domicile lorsqu’elles sont appelées à statuer sur la légalité d’un maintien en détention. Ainsi, elles doivent ordonner la remise en liberté d’un étranger dont l’arrestation administrative aurait été effectuée en violation de ce principe[2].

Encore faut-il, pour que l’étranger confronté à ce type de comportements puisse remettre en cause la légalité de l’arrestation effectuée en violation du principe de l’inviolabilité du domicile, qu’il prouve la réalité de l’intrusion illégale dans son domicile. Dans le cas d’espèce, les services de police soutenaient, en contradiction avec ce qui était rapporté par l’étranger, avoir procédé à son arrestation devant son domicile et non à l’intérieur de celui-ci. La décision commentée met en exergue les difficultés auxquelles peut se retrouver confronté l’étranger qui soutiendrait, en contradiction avec ce qui est rapporté par les services de police, avoir été arrêté à son domicile en violation de ses droits (I).

L’affaire commentée est, en outre, l’occasion de revenir sur une ultime difficulté à laquelle l’étranger qui conteste la légalité de sa détention administrative est susceptible de se retrouver confronté : la détermination et le calcul des délais applicables à la procédure en cassation. La Cour de cassation fait application en matière de détention administrative des délais de droit commun, alors qu’une détention préventive ordonnée dans un cadre pénal est soumise à des délais de procédure plus courts. Ceci avait déjà été critiqué dans les présents Cahiers[3]. Nous reviendrons en quelques lignes sur les difficultés que soulève cette jurisprudence (II).

Enfin, plus généralement, la décision commentée est l’occasion d’attirer l’attention du lecteur sur le retour à l’agenda du projet d’introduire dans la loi du 15 décembre 1980 un article autorisant le recours aux visites domiciliaires, ainsi que sur les implications de cette modification législative. Le gouvernement, déplorant le fait que des arrestations administratives ne puissent être effectuées au domicile de l’étranger ou sur son lieu de résidence sans mandat ou sans le consentement de l’habitant, avait déposé un projet de loi visant à introduire dans la loi du 15 décembre 1980 un article autorisant le recours à cette pratique[4]. Un projet de loi déposé au mois de décembre 2017[5] avait soulevé un tollé de protestations émanant tant de la société civile que du monde associatif et du monde académique[6]. Ce projet officiellement abandonné a récemment été remis à l’agenda par le biais du dépôt d’une proposition de loi au mois de juillet 2019[7] (III).

1. La parole de l’étranger vs. la parole des services de police : une appréciation en fait

L’étranger ne dispose bien souvent que de son témoignage ou du témoignage de ses proches pour démontrer l’illégalité d’une arrestation administrative effectuée à l’intérieur de son domicile sans son consentement ou sans mandat. Lorsque son témoignage et/ou celui de ses proches est conforme à ce qui est rapporté par les services de police, faire entendre sa parole ne posera pas grande difficulté. Cela s’avèrera plus compliqué lorsque son témoignage ou celui de ses proches n’est pas conforme à ce qui est rapporté par les services de police.

Rappelons que le procès -verbal de police n’est pas censé se voir conférer un poids plus important en termes de preuve que le témoignage de l’étranger, ce procès-verbal n’ayant pas de force probante particulière[8].  Ainsi, le juge n’est pas tenu par le contenu du procès-verbal qui peut être, en outre, valablement contredit par d’autres éléments du dossier[9].

La juridiction reste, toutefois, libre d’apprécier en fait les différents éléments de preuve soumis à son appréciation et pourra, à l’issue de son examen, conférer un poids plus important au témoignage des services de police pour autant que cela soit justifié.

Le présent dossier illustre à merveille le côté nécessairement subjectif de cette appréciation. La chambre du conseil décide, dans le doute, de donner prépondérance à la version de l’étranger tandis que la chambre des mises en accusation, mettant en doute la validité du témoignage de l’étranger ainsi que de son épouse, les écarte tout bonnement et simplement. La juridiction d’appel accorde un poids plus important aux constatations policières au motif notamment que les services de police n’auraient aucun intérêt à faire valoir dans ce type d’affaire, à l’inverse de l’étranger. Elle estime, par ailleurs, que l’absence de dépôt de plainte par l’étranger pour violation de domicile décrédibilise son témoignage. Ces motifs pour lesquels la chambre des mises en accusation accorde, dans le cas d’espèce, un poids prépondérant aux constatations policières sont, à notre estime et pour les raisons exposées ci-dessous, critiquables. Ce type de raisonnement illustre à quel point il peut être difficile pour l’étranger qui affirme, en contradiction avec ce qui est rapporté par les services de police, avoir fait l’objet d’une arrestation administrative en violation de ses droits, de se faire entendre.

L’importance (contestable) des constatations policières

La chambre des mises en accusation remet en cause la crédibilité des déclarations de l’étranger et du témoignage de son épouse partant du postulat qu’à l’inverse de l’étranger, les services de police n’auraient aucun intérêt à mentir. Ainsi, elle accorde foi à la version donnée par les services de police au motif, notamment, que rien ne permet de remettre en cause la bonne foi des inspecteurs qui n’ont aucun intérêt personnel à faire valoir. A suivre ce raisonnement, il conviendrait, dans ce type d’affaire, lorsque la version donnée par l’étranger et celle donnée par les services de police diffèrent, d’accorder d’office un poids prépondérant aux constatations policières au motif que les agents n’auraient aucun intérêt personnel à faire valoir, à l’inverse de l’étranger. Un tel raisonnement nous paraît reposer sur un postulat erroné. Les services de police qui s’introduiraient dans le domicile d’un étranger pour procéder à son arrestation administrative en méconnaissance de ses droits encourent une condamnation pénale[10] ainsi que des sanctions disciplinaires et ont tout intérêt à nier avoir contrevenu au principe de l’inviolabilité du domicile. Par ailleurs, un tel raisonnement nous paraît contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation qui estime que le procès-verbal contenant des constatations policières ne doit pas se voir conférer un poids plus important en termes de preuve que le témoignage de l’étranger, ce procès-verbal n’ayant pas de force probante particulière[11].   

Le dépôt de plainte au pénal : une voie d’identification et de dénonciation de ce type de pratiques à ne pas négliger

La chambre des mises en accusation estime, par ailleurs, que l’absence de dépôt de plainte au pénal pour violation de domicile par l’étranger décrédibilise son témoignage ainsi que celui de son épouse.

L’article 148 du Code pénal sanctionne pénalement le fait pour un fonctionnaire de l’ordre administratif ou judiciaire de s’introduire dans un domicile privé contre le gré de l’habitant, en dehors des cas prévus par la loi ainsi que des formalités prescrites par la loi. L’étranger victime de ce type de comportement dispose par conséquent de la possibilité de déposer plainte pour violation de domicile sur pied de l’article 148 du Code pénal. De la même manière, le fait de dresser un procès-verbal contenant de fausses constatations sciemment et de manière frauduleuse est sanctionné pénalement puisque constitutif de l’infraction de faux en écritures publiques punie par l’article 195 du Code pénal. User de ce procès-verbal est, par ailleurs, constitutif de l’infraction d’usage de faux sanctionnée pénalement par l’article 197 du Code pénal.

En l’espèce, la chambre des mises reproche à l’étranger de ne pas avoir déposé plainte pour violation de domicile et estime que cela décrédibilise son témoignage ainsi que celui de sa femme. Nous ne souscrivons pas au raisonnement de la juridiction d’appel. Le fait qu’un étranger ne dépose pas plainte pour violation de domicile dans ce type de dossier s’explique. L’étranger peut ne pas avoir été conseillé en ce sens ou ne pas avoir grande confiance en les autorités judiciaires et douter que sa plainte aboutisse. Ajoutons à cela le fait que l’étranger en situation irrégulière ne maîtrise pas nécessairement les règles, les pratiques ou même la langue dans laquelle il devrait déposer plainte et n’a pas forcément les moyens d’agir en ce sens.

Il n’empêche que le conseil de l’étranger sera bien avisé de lui conseiller d’user des voies légales dont il dispose pour dénoncer ce type de pratiques. Déposer plainte, dans ce cas de figure, outre de corroborer les dires de l’étranger et d’éviter de donner aux juridictions invitées à se pencher sur la légalité de l’arrestation et de la détention administrative matière à douter de leur véracité, constitue une voie d’identification de ce type de pratiques. Ainsi, bien que l’issue de ce dépôt de plainte soit incertaine, l’importance du dépôt d’une plainte au pénal n’est pas à négliger.

2.  Les délais applicables à la procédure devant la Cour de cassation : source d’insécurité juridique et de discriminations

L’étranger qui porte devant la Cour de cassation un litige relatif à la régularité de son arrestation et de sa détention administrative sera confronté à une ultime difficulté, qui est celle de l’identification et du calcul des délais applicables à la procédure devant la Cour de cassation.

Le délai pour se pourvoir en cassation et le délai dont dispose la Cour de cassation pour rendre un arrêt sont prévus par le 4e alinéa de l’article 72 de la loi du 15 décembre 1980 qui renvoie aux dispositions relatives à la détention préventive. Cette disposition précise qu’« il est procédé conformément aux dispositions légales relatives à la détention préventive […] ». La loi actuellement en vigueur qui détermine les délais applicables à la détention préventive est la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive. L’article 31, §§ 2 et 3 de cette loi dispose que le pourvoi en cassation doit être introduit endéans un délai de 24 heures. Par ailleurs, elle oblige la Cour de cassation à statuer endéans un délai de quinze jours à compter de la date du pourvoi. Elle prévoit que « l’inculpé » est remis en liberté si l’arrêt n’est pas rendu dans ce délai. Ce mode de calcul des délais, prévu par la loi de 1990 relative à la détention préventive, n’est pas celui qui est retenu actuellement par la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Cette jurisprudence considère que ce n’est pas la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive qui trouve à s’appliquer aux étrangers en séjour irrégulier mais bien la loi du 20 avril 1874 relative à la détention préventive. Le raisonnement de la Cour de cassation tient dans le fait que la loi du 15 décembre 1980 précède celle du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive et, qu’en 1980, une autre loi relative à la détention préventive était d’application, celle du 20 avril 1874. Partant, pour la Cour de cassation, l’article 72 de la loi du 15 décembre 1980 fait nécessairement référence à la loi relative à la détention préventive en vigueur lors de sa promulgation, soit celle du 20 avril 1874. La loi du 20 avril 1874, restant muette quant aux délais applicables en cas de pourvoi en cassation, la Cour de cassation applique le régime général contenu dans le Code d’instruction criminelle qui prévoit des délais pour se pourvoir en cassation et des délais de traitement du pourvoi en cassation plus longs que ceux prévus par la loi du 20 juillet 1990. C’est ce qu’elle fait dans le cas d’espèce.

Or, comme déjà souligné dans les présents Cahiers[12], l’application des délais de droit commun par application de cette loi du 20 avril 1874, abrogée, nous paraît contraire au bon sens et à la sécurité juridique. « La loi du 20 juillet 1990 remplace la loi de 1874. Ainsi, suite à l’entrée en vigueur de la loi du 20 juillet 1990, la loi du 20 avril 1874 est sortie de l’ordonnancement juridique ». Or, « un juge est tenu par le droit positif, c’est-à-dire le droit en vigueur, soit au moment des faits, soit au moment où il statue, en fonction des cas. Le bon sens veut également que la loi la plus récente prime la loi plus ancienne ». Par ailleurs, l’article 72 de la loi du 15 décembre 1980 ne vise pas spécifiquement la loi du 20 avril 1874, mais bien les dispositions légales relatives à la détention préventive. Cet article contient donc une référence générale à la loi, suffisamment ouverte pour pouvoir prendre en compte les évolutions et modifications apportées à ce texte.

L’application de la loi de 1874 aux étrangers privés de liberté dans un cadre administratif nous paraît, par ailleurs, discriminatoire dès lors qu’elle a pour conséquence que ces derniers se voient appliquer des délais de traitement du pourvoi en cassation plus longs que ceux applicables aux personnes privées de leur liberté dans le cadre d’une détention préventive pénale, ceci alors que ces deux catégories de personnes sont, à l’évidence, placées dans des situations comparables. Il s’agit dans les deux cas d’une personne privée de liberté de manière préventive dont la régularité du maintien en détention n’est contrôlée par le pouvoir judiciaire qu’a posteriori ce qui justifie, dans les deux cas, le besoin d’une procédure accélérée. Ainsi, la différence de traitement qui découle de l’application des règles de droit commun à l’étranger privé de liberté dans un cadre administratif nous paraît contraire aux principes d’égalité et de non- discrimination.

Enfin, comme déjà relevé dans les présents Cahiers, cette jurisprudence de la Cour de Cassation, source d’insécurité juridique, pose question face à l’exigence de qualité de la loi qui se déduit de l’article 5 de la Convention européenne des Droits de l'Homme[13].

On soulignera, en l’espèce, le fait que la Cour de cassation reproche le non-respect d’un délai dont le conseil de l’étranger aurait dû faire le calcul en devinant la date à laquelle la Cour de cassation était susceptible de fixer son affaire. En effet, la Cour reproche au conseil de l’étranger le non- respect de l’article 429 du Code d’instruction criminelle qui subordonne la recevabilité du mémoire à la condition qu’il soit remis au greffe de la Cour quinze jours avant l’audience alors que ce délai de quinze jours était déjà expiré au moment où l’avis de fixation lui a été communiqué. Celui-ci aurait donc été bien en peine de calculer avec précision ce délai.  La Cour de Cassation considère toutefois que le requérant aurait dû anticiper sachant que la cause serait fixée avec célérité, ce type de pourvoi étant examiné sous le bénéfice de l’urgence. Ainsi, suivant ce raisonnement, alors que les délais accélérés prévus par la loi relative à la détention préventive ne sont pas applicables en l’espèce, le conseil de l’étranger devrait anticiper le fait que la Cour applique, néanmoins, en pratique, des délais accélérés, à défaut de quoi il pourra être sanctionné par une décision d’irrecevabilité.

Tout cela plaide pour une application aux étrangers privés de leur liberté sur la base de l’article 72 de la loi du 15 décembre 1980 des délais applicables en matière de détention préventive propres à garantir une identification et un calcul des délais conformes au principe de sécurité juridique et exempts de toute discrimination.

3. Le retour des visites domiciliaires

En décembre 2017, le gouvernement déposait un projet de loi visant à permettre aux fonctionnaires de police et à un agent de l’Office des étrangers d’accéder au lieu de résidence de l’étranger séjournant illégalement en Belgique, sans que le consentement de celui-ci ne soit nécessaire[14]. Le projet prévoyait la possibilité d’arrêter l’étranger présent à cette adresse en vue de son éloignement. Il était par ailleurs prévu la possibilité de fouiller le lieu « visité », afin de saisir tout document de nature à identifier formellement l’étranger qui ne serait pas en mesure de présenter un document d’identité.

Le dépôt de ce projet était motivé par la nécessité de faciliter l’exécution des mesures de rapatriement. D’après l’exposé des motifs, le système législatif en vigueur ne permettrait pas aux autorités belges de procéder efficacement à l’exécution des décisions d’éloignement des étrangers en situation de séjour irrégulier. Le gouvernement regrettait l’absence d’autorisation légale pour les fonctionnaires de police d’entrer dans le lieu de résidence d’un individu en situation de séjour irrégulier, dans le but de l’arrêter administrativement. Il déplorait manquer de moyens d’intervention à l’égard des étrangers « récalcitrants », qui refusent d’ouvrir leur porte aux services de police. En pareille situation, notre droit constitutionnel et, en particulier, le principe d’inviolabilité du domicile s’oppose à ce que les fonctionnaires s’introduisent de force dans l’habitation, aucune loi ne les y autorisant à défaut de consentement clair de l’étranger.

Le gouvernement entendait combler ce « vide législatif ». Il arguait de ce que des garde-fous seraient mis en place afin d’assurer le respect des droits fondamentaux des étrangers visés par cette mesure. Ainsi les services de police ne pourraient pénétrer le « lieu de résidence »[15] d’un étranger qu’à la condition que celui-ci fasse l’objet d’une mesure exécutoire de refoulement ou d’éloignement (1); qu’il ne coopère pas à l’exécution de cette mesure[16] (2) et qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il réside dans un lieu non accessible au public (3)[17]. Enfin, les services de police ne pourraient agir que sur autorisation d’un juge d’instruction (4). Concrètement, il était prévu que l’autorisation du juge d’instruction serait délivrée sur requête de l’Office des étrangers contenant l’identité du ou des étrangers visés, l’adresse de résidence pour laquelle l’autorisation de visite domiciliaire est demandée, la base légale en vertu de laquelle le juge d’instruction est saisi ainsi que tous les documents et renseignements desquels il ressort que les conditions précitées sont réunies. Saisi de cette requête, le juge d’instruction devrait prendre une décision motivée dans un délai de trois jours ouvrables à compter de sa réception. Aucune voie de recours n’était ouverte, par le projet de loi, contre cette décision[18].

De nombreuses voix, parmi lesquelles un consortium de constitutionnalistes[19], s’étaient élevées contre ce projet, à la suite de quoi, il avait été relégué au placard[20].

Parmi les critiques formulées à l’égard de ce texte, était, premièrement pointée son inconstitutionnalité. Autoriser la force publique à pénétrer et fouiller n’importe quel domicile privé pour autant qu’un étranger en séjour illégal soit suspecté d’y résider constitue à l’évidence une ingérence grave dans le droit à la vie privée et à l’inviolabilité du domicile des personnes concernées protégés par notre Constitution. Or, si ces droits peuvent faire l’objet de restrictions, celles-ci outre d’être prévues par la loi doivent poursuivre un objectif légitime et être proportionnées. La proportionnalité d’une mesure qui consisterait à autoriser de pénétrer et fouiller un domicile privé dans l’unique objectif d’assurer la bonne exécution de mesures administratives d’éloignement, de refoulement ou de transfert à l’égard d’étrangers « récalcitrants » est questionnable.

L’instrumentalisation du juge d’instruction en découlant était également dénoncée. Les auteurs du projet de loi soulignaient combien l’intervention préalable d’un juge indépendant et impartial constituerait « une garantie importante du respect des conditions à remplir pour une atteinte à l’inviolabilité du domicile et afin d’éviter tout risque d’abus ou d’arbitraire »[21]. Ce n’était pas l’avis des juges d’instruction, qui se sont publiquement opposés au texte en projet précisant « refuser de devenir le bras armé de l’Office des étrangers »[22]. Le texte ne leur octroyait, à l’inverse des autorités administratives, que peu de marge de manœuvre. Il était prévu que le juge d’instruction n’intervienne que ponctuellement dans le cadre d’une procédure administrative dont le pouvoir exécutif aurait l’initiative et le contrôle plein et entier. Il n’était, par ailleurs, prévu aucun moyen de vérifier l’exactitude des informations communiquées par l’Office des étrangers ou d’obtenir un complément d’informations. Par ailleurs, le projet ne prévoyait pas la possibilité pour ce dernier de se prononcer sur la nécessité voire la proportionnalité de la mesure. Or, si l’on confie au juge d’instruction la casquette de garant du respect des droits fondamentaux dans le cadre d’une procédure pénale, c’est tenant compte de l’indépendance dont il jouit par rapport au pouvoir exécutif et au pouvoir judiciaire ainsi que de son obligation d’impartialité. Il est évident que son intervention ponctuelle dans le cadre d’une procédure administrative n’offre pas les mêmes garanties que celles qu’il présente dans le cadre d’une procédure pénale.

Le gouvernement avait, à la suite des critiques dont ce projet avait fait l’objet, annoncé le reléguer aux oubliettes. Des parlementaires ont récemment décidé de le faire renaître de ses cendres. Il a ainsi été remis à l’agenda au mois de juillet 2019 sous la forme du dépôt d’une proposition de loi visant à autoriser les visites domiciliaires en tous points identique[23]. L’objectif visé par cette proposition ainsi que les motifs invoqués à l’appui de l’introduction dans la loi du 15 décembre 1980 d’un article autorisant les visites domiciliaires n’ont pas changés.

Cette remise à l’agenda du projet de visites domiciliaires nous paraît préoccupante, le texte déposé étant en tous points similaire au texte proposé au mois de décembre 2017. Ainsi, les inquiétudes émises à l’égard du précédent projet de loi sont transposables à la proposition actuellement à l’examen. À la différence que cette proposition est actuellement examinée en toute discrétion ce qui ne fait que renforcer ces préoccupations.

C. Pour aller plus loin

Lire la décision commentée et les décisions subséquentes rendues dans ce dossier :

Corr. Bxl (ch.cons.), 26 avril 2019, inédit

Bruxelles (mis. acc.), 14 mai 2019, inédit

Cass. 12 juin 2019, P. 19.0534.F1

Législation :

Projet de loi du 7 décembre 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de garantir l’exécution des mesures d’éloignement, Doc. Parl., Ch. repr., sess.ord., 2017-2018, n°2798/001.

Proposition de loi du 9 juillet 2019 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de garantir l’exécution des mesures d’éloignement, Doc. Parl., Ch. repr., sess.ord, n°66/001.

Jurisprudence :

Cass., 17 mai 2017, P.17.0517.F, J.L.M.B., 2018, p. 441.

Cass., 20 décembre 2017, RG P.17.1234.F; Rev. dr. étr., 2017, liv. 195, p. 545.

Doctrine :  

Sarolea, S. « Le pourvoi en cassation en matière de privation de liberté d’un étranger soumis à des règles procédurales distinctes de celles relatives à la détention préventive », Newsletter EDEM, août 2016

Farcy, J-B., « Le pourvoi en cassation en matière de privation de liberté d’un étranger demeure soumis à des règles procédurales distinctes de celles relatives à la détention préventive : un formalisme excessif ? », Cahiers EDEM, octobre 2017

Macq, C. et Teper., L., « Visites domiciliaires : Le juge d’instruction bientôt au service de l’Office des Étrangers ?», Rev. dr. étr., 2017, livret n°195, p. 521 et s.

Lenoble-Pinson, M. et Werts, T., « Les visites domiciliaires : regards croisés », J.T., 2018, p. 445

Pour citer cette note : C. Macq, « Le principe de l’inviolabilité du domicile : limite effective à l’exécution d’une mesure de privation de liberté d’un étranger à éloigner? », Cahiers de l’EDEM, décembre 2019


[1]Cass., 17 mai 2017, P.17.0517.F, J.L.M.B., 2018, p. 441.

[2] Cass., 20 décembre 2017, RG P.17.1234.F; Rev. dr. étr., 2017, liv. 195, p. 545.

[5]Projet de loi du 7 décembre 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de garantir l’exécution des mesures d’éloignement, Doc. Parl., Ch. repr., sess.ord., 2017-2018, n°2798/001.

[6] Voy notamment « Visites domiciliaires : une étape de plus dans la criminalisation des sans-papiers », Le Vif l’express du 12 décembre 2017 ; « Sans-papiers : la solidarité criminalisée ? », Alter-échos du 20 décembre 2017 ;  « La plateforme citoyenne ne désarme pas: "Ne votez pas cette loi qui vise à intimider les citoyens solidaires" », La Libre Belgique du 22 janvier 2018 ; « Constitutionnellement, des agents dans un domicile, cela doit être l’exception absolue», Le Soir du 23 janvier 2018 ; « Visites domiciliaires, un rappel des fondamentaux libéraux », L’Echo du 1er février 2018 ; « Visites domiciliaires : 49 communes se prononceront cette semaine en Wallonie et à Bruxelles », La Libre Belgique du 26 février 2018.

[8]M.-A. Beernaert et al., Droit de la procédure pénale, tome II, 8e édition, Bruges, La Charte, 2017, p. 1225 ; L. Kennes.,

Manuel de la preuve en matière pénale, Malines, Kluwer, 2009, p. 160.

[9] Cass., 22 septembre 2010, R.G. P. 10.0226.F, Pas., 2010, n° 538.

[10] Voy supra.

[11] M.-A. Beernaert et al., Droit de la procédure pénale, Tome II, 8e édition, Bruges La Charte, 2017, p. 1225 ; L. Kennes.

Manuel de la preuve en matière pénale, Malines, Kluwer, 2009, p. 160.

[15] Notons que le lieu de résidence de l’étranger est entendu de manière large puisqu’il s’agit, aux termes de l’article en projet « de tout lieu non accessible au public où il est susceptible de résider en ce compris le domicile ou lieu de résidence d’un tiers ». Voy. Exposé des motifs du projet de loi précité, pp.17 et 18.

[16]Voy. plus avant les pages18 et 19 de l’Exposé des motifs du projet de loi précité.

[17] Exposé des motifs du projet de loi précité, p.8. Ces motifs ne sont pas définis plus avant par le projet de loi qui ne précise nullement à quelles conditions et sur base de quelles sources d’informations ce lieu de résidence pourra être établi à suffisance.

[18] Art. 5 §2 du projet de loi précité, p.33.

[19] Frédéric Bouhon (Professeur à l’ULg), Eva Brems (Professeure à l’Ugent), Mathias El Berhoumi (Professeur à l’USL-B), Matthieu Lys (Maître de conférence invité à l’UCL), Julien Pieret (1er assistant à l’ULB), Patricia Popelier (professeur à l’Universiteit Antwerpen), Céline Romainville (Professeure à l’UCL), Jogchum Vrielink (Professeur à l’USL-B). « L’autorisation des visites domiciliaires et la fable de la grenouille », Le Soir du 30/01/2018.

[20] Voy. parmi d’autres : M. Lenoble-pinson et T. Werts, « Les visites domiciliaires : regards croisés », J.T., 2018, p. 445 ; Nous avions nous-mêmes critiqué ce texte et renvoyons pour le surplus à cette contribution écrite à quatre mains :  C. Macq et L. Teper., « Visites domiciliaires : Le juge d’instruction bientôt au service de l’Office des Étrangers ?», Rev. dr. étr., 2017, livret n°195, p. 521 et s.  

[21] Exposé des motifs du projet de loi précité, p.19.

[22]Loi sur les visites domiciliaires : les juges d'instruction refusent de devenir le bras armé de l'office des étrangers », La Libre Belgique du 22 janvier 2018.

[23] Ainsi les articles 1er à 5 de la proposition de loi visant à introduire un article dans la loi du 15 décembre 1980 autorisant le recours aux visites domiciliaires déposée au mois de juillet 2019 sont en un copié collé des articles 1er à 5 du projet de loi déposé au mois de décembre 2017.

Publié le 24 décembre 2019