Cour eur. D. H., 19 décembre 2013, arrêt N. K. c. France

Louvain-La-Neuve

Le renvoi d’un demandeur d’asile de confession amhadie vers le Pakistan entraîne une violation de l’article 3 C.E.D.H.

Le renvoi d’un requérant pakistanais de confession ahmadie vers son pays d’origine l’exposerait à un risque de mauvais traitements au regard de l’article 3 au vu de la situation des Ahmadis au Pakistan et de son profil de prosélyte.

Art. 3 CEDH – Demandeur d’asile pakistanais  Appartenance à un groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements.

A. Arrêt

Le requérant est de nationalité pakistanaise, d’origine sunnite. Il expose avoir fui son pays d’origine en raison des persécutions subies du fait de sa conversion à la religion ahmadie tant par sa famille que par les autorités. Le requérant expose avoir été menacé, agressé et faire l’objet de poursuites pour blasphème par les autorités pakistanaises.

Craignant pour sa vie, il fuit son pays pour la France et y introduit une demande d’asile. Cette demande est rejetée au motif que ses déclarations sont lacunaires et peu crédibles. Placé en détention administrative dans l’attente de son expulsion vers le Pakistan, il saisit la Cour d’une demande de mesures provisoires. La Cour y fait droit en demandant aux autorités françaises de ne pas procéder à l’éloignement du requérant vers le Pakistan.

La Cour examine, entre autres, le risque de violation de l’article 3 CEDH en cas de renvoi du requérant vers le Pakistan de manière très succincte en rappelant les principes suivants :

  • Les États ne peuvent refouler une personne vers un État où elle risque de subir des traitements contraires à l’article 3 sous peine d’engager leur responsabilité ;
  • En ce qui concerne la charge de la preuve :
    • le requérant doit établir le risque qu’il invoque mais le bénéfice du doute doit lui être accordé en raison de sa vulnérabilité ;
    • En cas de sérieux doutes, il doit expliquer de manière satisfaisante les incohérences de son récit et s’il apporte les preuves requises, c’est au gouvernement qu’il appartient de dissiper les doutes éventuels.
  • Il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle des juridictions internes ;
  • Il convient d’analyser le risque de persécution au regard de la situation générale dans le pays d’origine et des circonstances propres à l’intéressé ;
  • La date à prendre en compte est celle de l’examen de l’affaire par la Cour ;
  • Lorsque le requérant allègue faire partie d’un groupe systématiquement soumis à une pratique de mauvais traitements, la protection de l’article 3 doit lui être accordée s’il démontre qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire à l’existence de cette pratique et à son appartenance au groupe visé.

En l’espèce, la Cour ne remet pas en cause le risque de traitements inhumains et dégradants au Pakistan pour les personnes de confession ahmadie. Pour ce faire, elle se fonde sur des rapports internationaux et sur les lignes directrices de l’Upper Tribunal britannique telles que définies dans son jugement du 13 décembre 2012[1] (§§ 18 à 21).

Elle précise que les personnes de confession ahmadie, en particulier les convertis, sont régulièrement persécutées (rejet social, torture, meurtres) et relève que les autorités ne les protègent pas mais participent au contraire aux persécutions, notamment, en les poursuivant pénalement pour blasphème.

Ensuite, la Cour se fonde plus particulièrement sur les lignes directrices de l’Upper Tribunal britannique et établit une distinction entre les risques encourus par les Ahmadis « qui prêchent leur religion en public et font du prosélytisme, à la différence de ceux qui pratiquent leur foi en privé qui ne sont pas inquiétés par les autorités » (§ 42).

La Cour estime donc que « pour qu’entre en jeu la protection offerte par l’article 3, la seule appartenance à la confession ahmadie ne suffit pas. Le requérant doit démontrer qu’il pratique ouvertement cette religion et qu’il est un prosélyte ou, à tout le moins, qu’il est perçu comme tel par les autorités pakistanaises (ce qui est notamment le cas lorsqu’une enquête préliminaire est ouverte) » (§ 43).

En l’espèce, le récit du requérant est circonstancié et étayé par de nombreux éléments de preuve tandis que le gouvernement français reste en défaut de démontrer qu’il existe des raisons suffisantes de remettre en cause l’authenticité des preuves ainsi que la crédibilité du récit. Quant au risque de subir des mauvais traitements en cas de retour, elle estime que les documents remis attestent de ce que la confession ahmadie du requérant est connue des autorités et qu’elle a donné lieu à des poursuites pour blasphème (notamment). Elle en conclut qu’il est perçu, non comme un simple pratiquant, mais comme un prosélyte par les autorités et est susceptible d’attirer leur attention défavorablement en cas de retour.

Elle conclut dès lors à la violation de l’article 3 en cas de renvoi au Pakistan du requérant.

B. Éclairage

La Cour se réfère à la distinction établie dans les lignes directrices de l’Upper Tribunal britannique dans son jugement du 13 décembre 2012 entre les prosélytes (ainsi que ceux perçus comme tels par les autorités) et ceux qui pratiquent leur culte dans la sphère privée, pour conclure que la simple appartenance à la confession ahmadie ne suffit pas pour qu’une personne puisse se prévaloir de la protection de l’article 3 de la Convention.

On suppose que si la Cour utilise un raisonnement lapidaire pour arriver à cette conclusion, c’est parce qu’elle considère, en l’espèce, que le requérant est prosélyte aux yeux des autorités pakistanaises comme en attestent les poursuites pénales pour blasphème intentées à son encontre.

Pourtant, il est important de souligner certaines informations contenues dans ces lignes directrices puisque, si la Cour n’a pas eu besoin de les rappeler toutes en l’espèce, elle s’y réfère expressément dans leur globalité adhérant ainsi à leur contenu.

Premièrement, il y est clairement dit que s’il est moins probable qu’un ahmadi qui n’exerce pas son culte publiquement soit poursuivi en cas de retour par les autorités, cela n’empêche qu’il puisse être persécuté par des acteurs non-étatiques. En outre, la lecture des extraits pertinents des rapports internationaux contenus dans l’arrêt[2]  nous enseigne que les ahmadis sont fréquemment en proie à des mauvais traitements de la part de civils qui se retranchent derrière la législation nationale pour légitimer leurs actes de persécution. On en déduit qu’à défaut d’exercice public de sa confession ou de prosélytisme, les autorités devront, à tout le moins, être attentives à ce que la personne ne soit pas en proie à des persécutions par des particuliers en raison de sa situation personnelle.

Deuxièmement, l’Upper Tribunal britannique juge que si un Ahmadi est capable de démontrer que l’exercice et la manifestation publics de son culte (en contravention avec la législation pakistanaise) est une composante essentielle de son identité religieuse, il ne pourra raisonnablement être exigé de lui qu’il y renonce et il entrera dans les conditions pour bénéficier de la protection internationale.

Cette approche est à mettre en parallèle avec la jurisprudence de la C.J.U.E. En effet, dans ses arrêts X., Y. et Z. et Y. et Z., la C.J.U.E. estime qu’un acte de persécution s’identifie par référence aux sanctions effectivement encourues en cas d’exercice d’un droit fondamental et ce, sans qu’il ne puisse être attendu du demandeur d’asile qu’il soit discret dans l’exercice de son droit fondamental.[3] 

Cependant, la jurisprudence de l’Upper Tribunal britannique est plus restrictive car, s’il n’impose pas de devoir de discrétion à l’instar de la C.J.U.E, le demandeur de protection doit d’abord démontrer que la pratique publique de son culte est une composante essentielle de son identité religieuse. Outre que cette preuve est difficile à rapporter, elle introduit une composante subjective difficile à évaluer par le Juge.

Néanmoins, la Cour se réfère de façon générale aux lignes directrices de l’Upper Tribunal mais ne se prononce pas directement sur cette question. Il serait donc présomptueux d’affirmer que la Cour exigerait d’un requérant qu’il démontre que l’exercice public de son culte soit indispensable pour lui pour qu’il puisse en dépit de cela se prévaloir de la protection de l’article 3.

S.D.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt :  Cour Eur. D. H., 19 décembre 2013, arrêt N. K. c. France.

Jurisprudence

C.J.U.E., 7 novembre 2013, X., Y. et Z., aff. jointes C-199/12 à C-201/12.

C.J.U.E, 5 septembre 2012, Y.et Z., aff. jointes C-71/11 et C-99/11.

Doctrine

L. LEBOEUF, « L’évaluation concrète des demandes d’asiles fondées sur l’homosexualité », Newsletter EDEM, novembre 2013.

L. LEBOEUF, « Évaluation du risque et traitement accéléré d’une demande d’asile : la Cour eur. D.H. allie subsidiarité et protection effective », Newsletter EDEM, juin 2013.

L. LEBOEUF et E. TSOURDI, « Towards a Re-Definition of Persecution? Assessing the Potential Impact of Y and Z », 13(2) Human Rights Law Review, 2013, pp. 402-415.

Pour citer cette note : S. DATOUSSAID, «Le renvoi d’un demandeur d’asile de confession Ahmadie vers le Pakistan entraîne une violation de l’article 3 C.E.D.H.», Newsletter EDEM, janvier 2014.


[1] Upper Tribunal britannique, 13 décembre 2012, arrêt MN and other c. Pakistan.

[2] §§ 18 à 21.

[3] C.J.U.E., 7 novembre 2013, X., Y. et Z., aff. jointes C-199/12 à C-201/12 ; C.J.U.E, 5 septembre 2012, Y.et Z., aff. jointes C-71/11 et C-99/11, §§ 68-80.

Publié le 16 juin 2017