Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Communication 1898/2009, Choudhary c. Canada, 17 décembre 2013

Louvain-La-Neuve

L’obligation d’analyse approfondie du risque en cas d’éloignement vers le Pakistan exclut un formaliste excessif.

Le Comité des droits de l’homme estime que les autorités canadiennes, dans leur ensemble, n’ont pas analysé sérieusement le risque encouru, en dépit d’éléments de preuves nombreux. Le fait que le défaut de preuve de l’identité au stade initial de la procédure n’ait pu permettre une analyse du fondement de la demande d’asile, alors même que cette preuve a pu être rapportée ultérieurement, est pointé.

Art. 6 et 7 PIDCP – Art. 3, 13, CEDH – Absence d’analyse approfondie – Excès de formalisme.

A. Décision

Le requérant, de nationalité pakistanaise, a adressé une requête au comité des droits de l’homme des Nations-Unies (ci-après CDH). Il expose que son éloignement vers le Pakistan, ainsi que celui de son épouse et de ses enfants, viole plusieurs dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après PIDCP), dispositions matérielles et procédurales. Le CDH a demandé au Canada de ne pas procéder à son éloignement pendant l’examen de la communication individuelle dès lors que le dernier recours pendant devant la Cour fédérale du Canada n’était pas suspensif.

D’origine chiite, le requérant explique être victime d’un groupe sunnite extrémiste parce qu’il conteste le fondamentalisme et la violence islamistes. Lui-même et son épouse ont été agressés à plusieurs reprises. Les plaintes auprès des autorités n’ont pas été suivies d’effet. Ses opposants ont déposé une plainte auprès de la police l’accusant d’avoir publiquement insulté la foi sunnite. Il a alors décidé de quitter le Pakistan. Après son départ, il a fait l’objet d’une action pénale pour blasphème. Un mandat d’arrêt a été délivré contre lui dès lors qu’il n’a pas pu être arrêté à son domicile. Son fils resté au pays a été enlevé à titre de représailles et est depuis lors porté disparu. Lui-même fait l’objet d’une fatwa par des radicaux sunnites.

Arrivés au Canada, ils ont introduit une demande d’asile. Celle-ci a été rejetée car ils n’auraient pas prouvé leur identité de façon crédible. L’élément central de leur demande a été jugé non établi en raison de ce doute. La demande de contrôle juridictionnelle ainsi qu’une demande de réouverture du dossier sur la base de nouvelles pièces, établissant notamment l’identité, ont été rejetées. Le requérant a alors introduit une demande pour motifs humanitaires, également rejetée.

Devant le comité, le requérant expose que le groupe qui le menace est une des organisations radicales les plus dangereuses du Pakistan qui échappe à tout contrôle des autorités pakistanaises. L’immunité des groupes qui le menacent est attestée par des organisations de défense des droits de l’homme. La décision de la Cour fédérale prise quant au recours contre le refus de séjour humanitaire ne vise que la légalité de la décision et n’évoque pas le danger pour la vie du requérant. Cette décision ne mentionne pas les articles de presse produits et les preuves relatives à la disparition de son fils. Il conteste le fait que la décision prise dans le cadre de la procédure d’asile ait été essentiellement fondée sur l’absence de documents d’identité. Le requérant souligne également que les dirigeants chiites dans sa ville et au Pakistan ont adressé plusieurs lettres aux autorités canadiennes confirmant le risque qu’il court. De surcroît, il a déposé de nombreux documents prouvant ses dires tels que les rapports de police, un mandat d’arrêt, un rapport médical, la lettre d’un avocat ou des attestations de son temple.

Le CDH examine la recevabilité de la communication. À ce titre, il analyse si tous les recours judiciaires disponibles au Canada ont été utilisés. Ces recours doivent être utiles et disponibles. La seule demande encore en cours d’examen au Canada est une demande pour motifs humanitaires qui ne protège pas son auteur contre une expulsion. Elle ne peut être considérée comme un recours utile. En ce qu’elle vise le risque d’éloignement vers le Pakistan, la communication est dès lors jugée recevable. Les dispositions retenues à ce titre sont l’article 2 (engagement au respect du pacte sans discrimination), l’article 6, § 1 (droit à la vie), l’article 9, § 1 (droit à la liberté et à la sécurité), l’article 13 (possibilité de contester une décision d’expulsion), et l’article 14 (droit à une procédure équitable).

Sur le fond, le comité rappelle l’observation générale n° 31 dont le § 12 oblige les États parties à ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un de son territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudices irréparables.

Le comité synthétise les éléments de preuves déposés par le requérant et les faits qu’il relate. Il relève que la commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande parce qu’il n’avait pas prouvé son identité. La demande de contrôle juridictionnelle a été rejetée ainsi que la demande de réouverture du dossier, de sorte qu’in fine le fondement de sa demande d’asile n’a jamais été analysé. L’auteur n’a pas eu d’autre occasion que le stade initial de la procédure pour prouver son identité alors que celle-ci a été ultérieurement confirmée. L’examen subséquent du risque de torture et de menace de mort dans le cadre de la procédure humanitaire dite ERAR[1] reste un examen limité qui ne peut remplacer l’évaluation approfondie à laquelle il doit être procédé dans le cadre de la procédure d’asile. Il s’en suit que les autorités canadiennes n’ont pas procédé à un examen suffisamment approfondi.

Quant à la réalité du risque encouru, le comité prend en compte la situation qui prévaut au Pakistan et notamment l’augmentation des affaires de blasphèmes en 2012[2]. Même si les condamnations à mort de ce fait ne semblent pas être exécutées, l’on relève des assassinats extrajudiciaires par des acteurs privés de membres de minorités religieuses accusés en vertu de la loi sur le blasphème sans volonté ou capacité de protection des autorités pakistanaises. Le Comité conclut à la violation du droit à la vie et de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants estimant qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres griefs.

Plusieurs membres du comité ont émis une opinion dissidente soulignant que le comité aurait dû respecter l’analyse du risque faite par les autorités nationales. Celles-ci sont mieux placées pour parvenir à des conclusions factuelles. Cette opinion défend le point de vue selon lequel le comité n’a pas à réexaminer les faits ou des éléments déjà effectués par les institutions judiciaires nationales. Il ne pourrait le faire qu’en cas de graves irrégularités dans la procédure interne ou si la décision revêt un caractère manifestement abusif ou arbitraire.

B. Éclairage

La communication du comité des droits de l’homme appelle les réflexions suivantes.

  1. Comme la Cour européenne des droits de l'homme[3], la Cour de justice de l’Union européenne ou encore le Conseil du contentieux des étrangers en Belgique, le Comité insiste sur l’obligation de minutie qui s’impose aux autorités en charge de l’examen des demandes formées par des requérants alléguant un risque en cas d’éloignement dans leurs pays d’origine. Le CDH met en exergue la qualité de l’examen auquel il doit être procédé dans le cadre de la procédure d’asile, qualité qui doit être d’un niveau supérieur aux autres procédures d’analyse du risque. La C.J.U.E. va d’ailleurs plus loin que l’obligation de minutie puisqu’elle impose aux instances d’asile d’effectuer un examen complet des griefs défendables même si le demandeur d’asile devait manquer à son devoir de coopération[4].
  2. La décision semble rejeter un formalisme excessif dans la procédure d’asile, formalisme qui a conduit ici à ce qu’une décision soit prise parce que l’identité n’est pas démontrée ab initio alors qu’elle a pu l’être ultérieurement. Dès lors que la preuve de l’identité a été rapportée et était de nature à dissiper les doutes qui avaient motivé la décision négative initiale, cette pièce devait être prise en compte d’autant que le reproche quant à l’identité avait coupé court à un examen approfondi de la crainte. Le fait que le risque ait pu être évalué ultérieurement, en prenant en compte ces preuves de l’identité, n’est pas suffisant car la qualité de l’examen auquel il est procédé dans le cadre de la procédure d’asile est supérieure à l’analyse effectuée au niveau de la procédure ERAR. Cette dernière n’est pas jugée suffisamment protectrice pour un demandeur d’asile qui invoque un risque pour sa vie ou un risque de torture ou de traitements inhumains et dégradants d’autant que les recours possibles sont des recours de pure légalité. Ce point de vue est partagé par la C.E.D.H. ou la C.J.U.E. Le demandeur de protection doit bénéficier d’un examen qui tient compte de l’ensemble des éléments rapportés sans que des conditions procédurales excessives ne réduisent les possibilités qui lui sont offertes de prouver ses craintes. Le risque doit être analysé à la date de l’éloignement projeté, sur la base d’une analyse de l’ensemble des moyens de faits et de droit. Ajoutons qu’il ne peut y être dérogé même en cas de procédure accélérée ou prioritaire[5]. L’arrêt de la Cour constitutionnelle belge du 16 janvier 2014 abonde en ce sens.
  3. L’opinion dissidente reflète le débat entre les tenants d’un contrôle de plein contentieux et ceux qui souhaitent qu’en matière d’asile et d’immigration, le contrôle soit limité à un contrôle marginal. Ce débat concerne tant le rôle du juge international, ici en cause, que celui du juge national, soit le juge de première ligne en ces matières. La dichotomie prévue par le droit belge entre le juge de l’annulation dont les compétences s’élargissent à chaque réforme et le juge de plein contentieux en est une illustration. Pourtant, la Directive procédures refondue et les évolutions récentes des jurisprudences européennes remettent largement en question l’instauration d’un contrôle juridictionnel limité[6].

En ce qui concerne le juge international, la jurisprudence de Strasbourg, ces dernières années, manifeste une certaine réserve à revoir le fond des dossiers concentrant ses enseignements sur la qualité des procédures à mettre en place. Ceci étant, en insistant sur la qualité des procédures, la Cour entend maximiser les chances d’aboutir à une décision de qualité sur le fond, décision prenant en compte tous les éléments pertinents au terme d’un examen minutieux et rigoureux. Même lorsqu’elle semble revoir une appréciation au fond et se muer ainsi en ultime recours, la Cour y procède surtout lorsqu’un manquement procédural a affecté la décision finale[7]. Cela semble être le cas en l’espèce aussi. Quoi qu’en disent les membres dissidents du comité, celui-ci ne s’est pas départi d’une approche de type marginal puisqu’une des raisons fondamentales à la condamnation du Canada est le refus de prendre en compte les preuves de l’identité rapportées postérieurement alors que celles-ci sont jugées déterminantes. Il s’agit davantage d’une sanction de la méthode que d’une révision au fond.

  1. La présentation d’une communication d’un organe de contrôle de la mise en œuvre d’instruments de protection des droits de l’homme des Nations-Unies attire l’attention sur ces procédures peu utilisées par les pays parties à des mécanismes régionaux telle la Belgique, membre du conseil de l’Europe et signataire de la CEDH. Le mécanisme de plainte devant la Cour de Strasbourg est davantage connu et plus largement utilisé. De surcroît, l’utilisation d’un des mécanismes de contrôle internationaux exclut une seconde plainte dans la même affaire. Il ne faut toutefois pas négliger le recours à ces mécanismes en tenant compte de la spécificité des dossiers.

Une nouvelle voie s’offre aux requérants dans les affaires impliquant des enfants. Il sera possible dans quelques semaines d’adresser une communication individuelle au comité des droits de l’enfant qui contrôle l’application de la Convention de New York. Un mécanisme de plainte individuelle est prévu par le protocole facultatif à la convention relative aux droits de l’enfant. L’article 5 de ce protocole concerne les communications individuelles qui peuvent être présentées par des particuliers ou des groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou de groupes de particuliers relevant de la juridiction d’un Etat partie et qui affirment être victimes d’une violation de l’un des droits énoncés dans la C.I.D.E., dans le protocole facultatif à la convention concernant la vente d’enfants, la prostitution et la pornographie ou encore dans le protocole facultatif concernant l’implication des enfants dans les conflits armés. Ce mécanisme prévoit, comme à Strasbourg, comme dans le Comité contre la torture ou le comité des droits de l’homme, la possibilité de demander que des mesures provisoires soient adoptées avant toute mesure au fond, et ce aux fins d’éviter un préjudice irréparable.

Ce protocole est entré en vigueur depuis le 14 avril 2014 après avoir été ratifié par un 10e Etat. Le processus de ratification par tous les niveaux de pouvoir belges est en passe d’être finalisé.  Des requêtes individuelles pourront être adressées au Comité des droits de l’enfant. Les sujets potentiels sont nombreux : ils vont de la situation des enfants malades qui voient la demande 9 ter de leur famille rejetée, des enfants dont la famille est confrontée à des difficultés en termes d’accueil[8], aux enfants déplacés avec leur famille en centre de retour, parfois loin de leur école, aux mineures alléguant un risque de mariage forcé ou de mutilations génitales, aux demandes de regroupement familial, le cas échéant au sein de familles élargies. Nous rappelons que tout ceci sera seulement envisageable après épuisement des voies de recours internes.

S.S.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Communication 1898/2009, Choudhary c. Canada, 17 décembre 2013.

Sur le recours aux organes de contrôles des Nations-Unies : voyez la jurisprudence disponible en ligne : Comité des droits de l’homme, Comité contre la torture.

Sur la procédure de plainte individuelle devant le Comité des droits de l’enfant, d’application depuis le, voyez le règlement du Comité des droits de l’enfant.

Pour citer cette note : S. SAROLEA, «L’obligation d’analyse approfondie du risque en cas d’éloignement vers le Pakistan exclut un formaliste excessif. Note sous Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Communication 1898/2009, Choudhary c. Canada, 17 décembre 2013 » , Newsletter EDEM, mai 2014.


[1]  La procédure ERAR est une procédure d’examen des risques avant renvoi. Cette procédure est accessible à tout étranger à moins qu’il n’ait déjà présenté une demande d’asile ou qu’il n’a déjà présenté une demande ERAR depuis moins de 12 mois. Cette condition de laisser passer un délai de 12 mois n’est pas applicable pour certains pays considérés comme se trouvant dans une situation de sécurité plus préoccupante (voy. par exemple le Mali, la Syrie, …). D’autres pays sont par contre considérés comme des pays sûrs dont les ressortissants sont assujettis à une interdiction de 36 mois avant de présenter une demande d’ERAR. Il s’agit principalement de pays occidentaux (sur la procédure ERAR, voyez www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/refugies.html).

[2]  Voy. Cour eur. D.H., 19 décembre 2013, N. K. c. France, et S. DATOUSSAID, « Le renvoi d’un demandeur d’asile de confession amhadie vers le Pakistan entraîne une violation de l’article 3 C.E.D.H. », Newsletter EDEM, janvier 2014.

[3]  Voy. notamment Cour eur. D.H., 2 octobre 2012, Singh et autres c. Belgique, req. n° 33210/11 et également L. LEBOEUF, « Le manque du demandeur d’asile à son devoir de coopération ne dispense pas d’un examen complet des griefs défendables tirés de l’article 3 CEDH », Newsletter EDEM, octobre 2012.

[4]  C.J.U.E., 22 novembre 2012, affaire C-277/11, M.M. c. Irlande, § 66.

[6]  Voy. principalement l’article 46 de la nouvelle directive, garantissant un recours suspensif ou au moins la possibilité de demander la suspension même en cas de procédure accélérée.

[7]  Voy. notamment Cour eur. D.H., 18 avril 2013, Mo.M. c. France, req. n° 18372/10 ; Cour eur. D.H., A.A. c. Suisse, 7 janvier 2014, req. n° 58802/12, et S. SAROLEA, « Le réfugié sur place à Strasbourg », Newsletter EDEM, janvier 2014.

[8]  L’on se rappelle à ce sujet de la condamnation de la Belgique par le Comité européen des Droits sociaux (CDS) du Conseil de l'Europe le 23 octobre 2012, pour violation de droits consacrés dans la Charte sociale européenne en raison des manquements dans l'accueil des mineurs étrangers, accompagnés ou non, en séjour irrégulier.

Publié le 15 juin 2017