Michel Dupuis souligne d’emblée la difficulté spécifique qu’il y a à échanger autour d’un sujet comme la maladie, ou l’épidémie. En effet, ce type de discussion oppose immanquablement des faits – a priori scientifiques - à de nombreuses représentations qui introduisent une dimension de subjectivité individuelle et collective importante.
Celles-ci ne sont pas cependant pas « a-scientifiques », car elles se fondent sur la mémoire collective de faits historiques (la grippe espagnole et le SRAS dans ce cas-ci), et sur une culture occidentale marquée par la science. On n’est donc pas ici dans une opposition classique entre faits scientifiques et représentations subjectives, mais face à un « scénario » plus complexe.
Pour Michel Dupuis, l’épidémie de coronavirus nous rappelle que, bon gré mal gré, nous formons un corps social intime et interdépendant. Le milieu de contagion de la maladie - l’air partagé - remet en question notre représentation de la société comme une juxtaposition de corps autonomes et séparés. « En cela, l’épidémie a en commun avec la question du climat qu’elle nous rappelle que nous sommes tous dans le même bain et que nous ne nous en sortirons qu’ensemble. Le désir de survie éveille ainsi une forme élémentaire de conscience citoyenne. »
Dans la foulée, Michel Dupuis émet une hypothèse plus audacieuse : l’épidémie serait en train de battre en brèche une sorte de « norme digitale » universelle, qui serait en train de s’installer. Avec le développement du numérique, nous serions en train de perdre de vue que le monde est d’abord concret, factuel. L’épidémie remet la nature au centre du jeu. « Elle nous rappelle que, nous ‘esprits arrogants’, pouvons aussi mourir ‘bêtement’, de la nature. »
Michel Dupuis
Professeur à l’Institut supérieur de philosophie de l’UCLouvain. Spécialiste en éthique biomédicale, il est membre du Comité consultatif de bioéthique de Belgique.