Entretien avec Thibault Philippette, chargé de cours à l’École de Communication (COMU), membre du Groupe de Recherche en Médiation des Savoirs (GReMS) et co-fondateur du Laboratoire Jeux et Mondes Virtuels et du futur Louvain GameLab.
Existe-t-il des jeux vidéo qui traitent de la thématique des épidémies ou des pandémies ? Quels sont leurs mécaniques ?
Oui. Dans l’univers des jeux vidéo, la thématique des épidémies ou pandémies est souvent associée au genre « survie » (survival) et à des scénarios post-apocalyptiques. C’est le cas par exemple de The Last of Us (Naughty Dog/Sony Interactive, 2013). Le gameplay de ce type de jeu consiste à résister à un monde hostile pour sauver sa vie, mais aussi celle d’autres personnages. Ce qui est intéressant, ce sont les « dilemmes éthiques » que ces jeux soulèvent. Dans les scénarios post-apocalyptiques, le thème des épidémies est souvent associé au mythe des zombies (exemples : Resident Evil, The Walking Dead).
Les médias ont beaucoup parlé du jeu Plague Inc. (Ndemic Creations, 2012), dont le téléchargement a été interdit en Chine en plein pic du covid-19. Ce jeu s’inspire du jeu de plateau Pandémie (Filosofia, 2008). Pandémie est un jeu collaboratif dans lequel les joueurs doivent lutter contre la propagation de quatre virus, en gérant les priorités (découverte d’un vaccin, mises à quarantaine, etc.) tout en résistant à certains événements aléatoires. Dans Plague Inc., vous devez au contraire jouer le rôle d’un virus et infecter un maximum de personnes tout en résistant aux mesures sanitaires. Dans le contexte actuel, on peut comprendre les critiques émises vis-à-vis de ce dernier, même si l’un comme l’autre permet de se rendre compte de certaines choses à travers la simulation.
Assiste-t-on à un regain d’intérêt pour ces jeux en ce moment ?
Le jeu a un effet cathartique et répond à un besoin d’escapisme que nous avons toutes et tous à certains moments. On lit en effet un regain d’intérêt pour ces jeux, tout comme pour La Peste d’Albert Camus ou le film Outbreak de Wolfgang Petersen. Je renvoie la question à mes collègues psychologues mais il me semble que cela traduit une volonté d’exorciser certaines peurs en s’y confrontant dans un univers protégé, celui des fictions.
Est-ce que ces jeux peuvent en quelque sorte « préparer » ces joueurs et joueuses à affronter une épidémie dans la vie réelle ?
Oui et non. Dans le jeu, on apprend avant tout à jouer et à découvrir l’univers du jeu. Cependant, la situation créée peut, même lorsque ce n’est pas visé, devenir éducative. En 2005, dans le jeu en ligne World of Warcraft (Blizzard Inc.), les développeurs ont ajouté un donjon haut niveau dans lequel le boss lançait un sort de maladie (« le sang corrompu ») qui retirait de la vie progressivement à votre personnage et dont l’effet devait rester confiné au donjon. Cependant, les joueurs trouvèrent une astuce pour que ces dégâts soient infligés à leur compagnon animal plutôt qu’à leur personnage, ce que les développeurs n’avaient pas du tout prévu. Les animaux de compagnie sortant toujours infectés du donjon ont répandu la « maladie » dans tout l’univers, causant notamment la mort de nombreux personnages-joueurs moins résistants. Les développeurs ont dû faire plusieurs mises à jour du jeu (« patch ») pour endiguer ce fléau créé par inadvertance. Ce cas d’école, qui n’est pas sans rappeler les enjeux que nous vivons actuellement avec le covid-19, a notamment intéressé des épidémiologistes qui ont observé les stratégies développées ensuite par les joueurs pour éviter d’être infectés.
Peut-on envisager des jeux éducatifs (serious game) pour apprendre les bons réflexes sanitaires ? Peut-être même qu’ils existent déjà ?
Il existe des cas de jeux utilitaires qui ont permis d’aider dans des situations médicales, comme le cas de Foldit qui a permis à des chercheurs d’avancer dans leur lutte contre le virus HIV, ou le jeu PainSquad pour aider à soulager la douleur d’enfants atteints du cancer. La difficulté réside cependant toujours dans deux choses : arriver à équilibrer le serious et le game, et accepter que le cadre de la simulation permet certains comportements, par exemple de bravoure, que la réalité rend plus difficiles à exercer.
Thibault Philippette
Chargé de cours à l’École de Communication (COMU), membre du Groupe de Recherche en Médiation des Savoirs (GReMS) et co-fondateur du Laboratoire Jeux et Mondes Virtuels et du futur Louvain GameLab.